L´élargissement du canal de Panama et son ouverture en 2015 aux porte-conteneurs géants de dernière génération, capables d´embarquer 12 000 EVP (conteneurs équivalent vingt pieds), sont en passe de modifier profondément le schéma d´approvisionnement en conteneurs de la région, notamment celle de la côte Est des États-Unis.
En effet, toutes les compagnies maritimes vont butter sur un problème de fond : la côte Est des États-Unis n´a pas connu de développement portuaire majeur depuis longtemps.
Et pour cause : « Le canal de Panama ne permettant pas le passage de ces grands porte-conteneurs, 70 % des volumes destinés au marché de la côte Est sont débarqués dans les ports de la côte Ouest, Los Angeles et Long Beach notamment, puis acheminés par trains », explique François Peigné, directeur des opérations de CMA-CGM.
La question de la capacité des ports de la côte Est à absorber le surcroît de trafic qu´entraînera mécaniquement le passage par Panama de navires deux à trois fois plus gros se pose donc cruellement. « Le principal problème de ces ports réside dans leur tirant d´eau. Nous avons fait quelques escales avec des navires de 8 500 EVP et il s´avère que c´est la taille de navire maximum que peuvent accueillir Savannah ou New York », indique le spécialiste de CMA-CGM.
Norfolk, Houston et Miami ont eux aussi des limites de tirants d´eau qui sont de vraies contraintes, au point qu´on ne sait pas aujourd´hui où les navires de 12 000 EVP qui franchiront Panama pourront débarquer aux États- Unis. Les très gros navires qui arriveront à pleine charge d´Asie auront donc besoin de hubs de transbordement dans la zone Caraïbes, où le port de Kingston a atteint aujourd´hui ses limites. Voilà pourquoi, Rodolphe Saadé, président de CMA-CGM Antilles Guyane, vient d´annoncer que son groupe travaille actuellement sur un projet de hub de transbordement de conteneurs dans la région. « Fort-de-France, Pointe-à-Pitre, Haïti, Cuba et la Jamaïque font partie des options étudiées car le triangle Bahamas-Panama-Trinidad apparaît comme le triangle optimum pour le positionnement d´un hub dans cette zone », indique-t-on chez CMA-CGM.
À ce stade, le groupe étudie différents scénarios d´organisation de ses futures lignes maritimes (rotation des lignes, taille des navires, nombre d´escales) et évalue les besoins correspondants en matière de capacités d´infrastructures (linéaire de quai, espace de stockage, tirant d´eau minimum, portiques de manutention). Grâce à ce hub dans lequel escaleront les plus gros navires, les marchandises pourront être transbordées sur des navires feeders* desservant les marchés voisins, Golfe du Mexique, Amérique centrale, Nord de l´Amérique du Sud et bien sûr côte Est des États-Unis. Outre le projet de CMA-CGM, des travaux sont menés notamment à Haïti ainsi qu´au niveau du canal lui-même, côté Pacifique et côté Atlantique. Mais en l´état actuel de leur avancement, il paraît difficile d´imaginer pouvoir y traiter dès 2015 des volumes de transbordement suffisant pour éviter que ne se posent des problèmes sérieux de desserte de toute la côte Est des États-Unis.
Philippe Desfilhes
* Navire de petit tonnage permettant l´éclatement sur différents ports d´une cargaison apportée par un grand bâtiment faisant peu d´escales.
L´Inde redoute la congestion portuaire, pas la Chine
L‘Inde souffre d´un manque chronique d´infrastructures. Le gouvernement indien en est conscient : il vient d´annoncer un programme visant à investir 50 milliards de dollars pour tripler la capacité de ses ports et leur permettre d´atteindre 3,2 milliards de tonnes par an. Les principaux ports à conteneurs, Munra, Pipavav, dans la région de Bombay, et Chennai plus au sud, seront les premiers à en profiter. « Mais les mises en route de nouveaux terminaux sont toujours très longues. L´Inde courra longtemps derrière son besoin de surcroît de capacités portuaires, d´autant que se pose également un important problème d´acheminement et de post-acheminement des marchandises », pronostique François Peigné, directeur des opérations de CMA-CGM.
En revanche, la Chine ne rencontrera pas de problèmes de congestion : les ports de Hong Kong, de Shanghai ou de Shenzhen construisent en permanence de nouveaux quais. Malgré la surchauffe de l´économie chinoise, les ports chinois seraient sur capacitaires de 35 à 40 % ! « Ils se sont en effet équipés d´emblée pour accueillir les plus gros porte-conteneurs, ce que certains ports pionniers dans les pays occidentaux où la conteneurisation est née ont tardé ou tardent encore à faire », explique François Peigné.
Ph. D.