La France confrontée à nouveau à la chute de l’export, un plan de relance devient urgent. « Dans quelques jours, Jean-Yves Le Drian et moi-même allons rencontrer Christophe Lecourtier, le directeur général de Business France, à ce sujet », a indiqué le secrétaire d’État à l’Europe et aux affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, lors d’une conférence téléphonique avec la presse, le 9 juin, à l’issue de réunion informelle par vidéoconférence des ministres de l’Union européenne (UE) en charge du commerce international.
L’idée d’un plan de relance à l’export n’est pas nouvelle. Christophe Lecourtier avait confié au Moci qu’il était en réflexion, après le lancement de l’État d’un plan national de soutien à l’export.
Dans la foulée, Business France avait concocté pour les PME et ETI tricolores son propre plan d’aide. Confinement obligeant, toute une série de webinaires géographiques et sectoriels ont été organisés. Ainsi, dans les boissons alcoolisées, quelque 4 000 exportateurs ont assisté un dizaine de webinaires régionaux (Amérique du Nord-États-Unis, Amérique latine-Brésil, Europe du Sud-Italie, Europe centrale et orientale-Pologne, pays nordiques, zone rhénane, Asie-Vietnam–Inde, Afrique subsaharienne-Kenya…).
« Aujourd’hui, la dégradation de notre commerce extérieur nous interpelle », a reconnu le secrétaire d’État. En avril, dans le contexte de Covid-19, les exportations ont chuté plus lourdement que les importations et le déficit commercial s’est envolé (+ 1,8 milliard d’euros). Au premier trimestre, les premières avaient reculé de 7,3 % et les secondes de 6,2 %. Le Covid-19 avait déjà plombé la balance commerciale au premier trimestre, dont le déficit s’était accru de 0,5 milliard d’euros par rapport au trimestre précédent.
Recul de l’export de plus de 17 %
Sur les quatre premiers mois de l’année, les livraisons à l’étranger ont plongé de 17,27 % par rapport à la période correspondante de 2019, atteignant à peine les 139 milliards d’euros, pendant que les achats ont dégringolé de 16,21 % à 163,2 milliards d’euros.
En matière d’exportations, les secteurs les plus impactés par le Covid-19, l’aéronautique (- 39 %) et l’automobile (- 32 %) font l’objet d’un plan de soutien de l’État (respectivement de 15 et 8 milliards d’euros). Suivent la mécanique (- 19,9 %) et la matériel électrique (- 17,4 %). Mais aussi le poste fer, fonte, acier, (- 28 %), les boissons alcoolisées (- 16,8 %), la parfumerie (- 13,2 %) et les matières plastiques (- 11, 5 %). L’automobile un domaine dans lequel le ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, veut relancer les exportations depuis un moment.
Seules exceptions notables, la pharmacie (+ 17,9 %) et les céréales (+ 14,6 %). Globalement, la filière agroalimentaire s’est relativement bien tenue, avec – 2,77 % à l’export.
Pour Jean-Baptiste Lemoyne, « les chaînes de valeur sont fortement impactées », ce qui rend nécessaire des relocalisations comme la diversification des approvisionnements. « Les fragilités sont réelles », ne contestait pas le secrétaire d’État, tout en insistant sur le contexte particulièrement difficile, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ayant estimé la contraction des échanges de marchandises cette année à près d’un tiers.
J-B. Lemoyne : « conduire des politiques industrielles volontaristes »
Interrogé par Le Moci sur l’éventualité d’une réponse européenne aux nécessaires relocalisations, Jean-Baptiste Lemoyne a affirmé qu’il y avait « un travail de plus en plus commun entre Européens », citant ainsi le thème des batteries électriques dans l’automobile. « Mais aussi on peut imaginer de fonctionner ensemble sur l’hydrogène, qui est une solution d’avenir », a-t-il pointé.
Pour sortir de la trop grande dépendance de certaines filières, il est clair pour le secrétaire d’État qu’il faut réfléchir à « des dispositifs de stockage » sur le territoire national et européen et conduire des « politiques industrielles volontaristes, comme dans l’automobile et l’aéronautique ». Paris, Berlin et Luxembourg étudieraient, par exemple, la meilleure façon de protéger l’acier dans l’UE.
Le 9 juin, le ministre des Affaires étrangères et européennes du Grand Duché, Jean Asselborn, a demandé à ce que toutes les pistes soient envisagées pour préserver la sidérurgie européenne, alors que l’acier européen est confronté à la hausse des importations due aux droits de douane injustifiés mis en place par Washington.
La Commission européenne serait réceptive aux demandes sur l’acier. Une bonne nouvelle, d’autant plus que l’Allemagne, succédant fin juin à la Croatie à la présidence tournante du Conseil de l’UE, devrait organiser un Conseil des ministres du Commerce courant septembre.
Le contexte des élections américaines
Les Européens auraient toujours tendance à tendre la main pour avancer, mais la campagne électorale engagée outre-Atlantique freinerait à l’heure actuelle les discussions. A la phase 1 de l’accord commercial entre Washington et Pékin, signé le 15 janvier, aurait succédé des tensions accrues par rapport au passé, la Chine parlant même de l’avènement d’une « guerre froide ».
Avec les Européens, depuis les taxations de l’acier et de l’aluminium en 2018 jusqu’à l’aéronautique plus récemment (dossier Airbus), les dossiers s’empilent. « Ça ne se fait pas entre alliés », a martelé Jean-Baptiste Lemoyne, qui assure que « les Européens sont assez clairs pour réagir quand ils seront autorisés. En effet, Boeing, comme l’a été Airbus, pourrait être condamné à l’OMC pour avoir reçu des subventions publiques illégales.
« La Commission européenne d’Ursula von der Leyen a, selon Jean-Baptiste Lemoyne, « comme caractéristique en matière commerciale et industrielle d’être réaliste, d’être une commission géopolitique qui veut défendre la souveraineté européenne ».
A preuve, lors de la réunion du 9 juin, l’exécutif européen a souhaité avancer la réunion sur la future stratégie commerciale d’ici à fin 2020. Le commissaire au Commerce, Phil Hogan, devrait présenter la méthode au Conseil européen des Affaires étrangères, qui se réunira le 16 juin.
Paris pour une politique commerciale européenne plus verte
Lors du Conseil des ministres du Commerce, Jean-Baptiste Lemoyne aurait souligné la nécessité d’impliquer pleinement les parlements nationaux, la société civile et le secteur privé. Autre ligne de force pour Paris, le développement durable. A cet égard, un document franco-néerlandais aurait circulé pendant les débats et aurait été cité par la présidence croate et Phil Hogan.
Cette contribution demande notamment qu’un chapitre sur le développement durable soit systématiquement intégré aux accords commerciaux, que des études d’impact plus fouillées, « reprenant une méthodologie sur des filières sensibles mise au place du temps de Nicolas Hulot [ministre de la Transition écologique et solidaire du 17 mai 2017 au 4 septembre 2018] », a précisé Jean-Baptiste Lemoyne, soient également lancées, et que les Accords de Paris sur le climat « soient hissés au même niveau que les droits de l’Homme ».
Un nouveau directeur général pour l’OMC en septembre
La réunion du 9 juin a permis de dresser un bilan de l’OMC, l’actualité étant dominée par la démission, qui sera effective le 31 août, du directeur général, le Brésilien Roberto Azevedo.
A cet égard, si l’UE devra faire la preuve de son unité dans le processus de sélection de son successeur, qui va durer un mois (à compter du 8 juin), le consensus sera « délicat à trouver entre 164 États membres », a rappelé Jean-Baptiste Lemoyne, se contentant de rappeler que Phil Hogan, qui serait intéressé par le poste, avait déclaré qu’il conduisait pour le moment « une démarche exploratoire ». Les jeux ainsi seraient loin d’être faits.
François Pargny