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Entreprises : comment réussir en s’adaptant à la donne sociale

Diriger une entreprise au Sénégal est un exercice particulier. D’abord, parce que le pays de la Téranga (hospitalité) est relativement pauvre et, qu’au cœur des PME, la relation humaine se révèle centrale. Ensuite, dans leur vie quotidienne, les sociétés sont confrontées à une administration pesante, ce qui requiert de leur part de faire preuve de ténacité et de patience.

Créer une société au Sénégal n’est pas le plus difficile. « En passant par un notaire et le guichet unique de l’Apix (Agence nationale chargée de la Promotion des investissements et des grands travaux), une semaine a suffi », assure Daniel Bardaji Gabàs, directeur des projets de développement en Afrique de Grupo Marco. Cette entreprise espagnole de BTP a installé à Dakar une filiale à 100 %, après avoir essuyé un échec dans le cadre d’un partenariat avec un acteur local. « Pour constituer une société, il est nécessaire de passer par un notaire et la création est effective au bout de six jours ouvrables, à partir du moment où tous les éléments indispensables sont rassemblés », confirme Gisèle Sabbagh, consultante en Développement des affaires.

Changer la culture de l’administration et améliorer sa productivité sont plus difficiles. Depuis l’alternance politique, qui s’est traduite par l’accession de Macky Sall à la présidence de la République en mars 2012 et la mise en place, après les élections de juillet, d’une coalition au pouvoir qui lui est favorable, « le gouvernement veut aller dans le sens de l’entreprise », constate Gisèle Sabbagh. Reste que l’administration est pesante et que les entrepreneurs doivent s’armer de patience, être persévérants, tenaces jusqu’à l’usure. Pour autant, les Sénégalais sont sympathiques et accueillants. Dans les PME, les relations humaines sont au cœur du projet d’entreprise, comme l’expliquent ci-après les deux principales dirigeantes des sociétés Renov Industries (traitement de l’acier) et Sipasen (polystyrène expansé). Le SMIC au Sénégal ne dépasse pas 100 euros. Et, d’après la Banque africaine de développement (Bad), une personne sur deux vit dans la pauvreté (moins de 2 400 calories par jour).

Dans les grandes entreprises, la communication est plus dure. Les syndicats sont présents, mettent la pression sur les salaires. Au demeurant, pour réduire la masse salariale, le recours aux expatriés est limité. Ils sont remplacés par des Français sous contrat local, des femmes d’expatriés ou des Français venus tenter leur chance au pays de la Téranga (hospitalité).

Un patriotisme économique émerge. Plusieurs chefs d’entreprises commencent à sentir les effets négatifs d’une certaine préférence nationale à l’occasion de marchés publics. Une revendication que la principale organisation d’employeurs, la Confédération nationale du patronat (CNP) du Sénégal, a émise lors de ses dernières Assises en décembre 2012.

Citant Arnaud de Montebourg, ministre français du Redressement productif, selon lequel « la commande publique française, ce n’est pas pour développer les entreprises étrangères, elle est pour les entreprises françaises… », le CNP souhaite que l’Etat sénégalais privilégie « l’intérêt national » dans le code des marchés publics.

« Le gouvernement voudrait aussi encourager les partenariats interentreprises », observe Gisèle Sabbagh. Le jeune gérant de Baobab des Saveurs, Pierre-Gilles Comméat, 33 ans, s’est ainsi associé en 2005 à un travailleur social à Thiès pour développer une offre de produits naturels à base de pulpe de baobab, des poudres de gingembre ou de bissap, des huiles extraites du soump, du moringa ou du touloucouna.

F. P.

Baobab des saveurs : avoir « une utilité sociale »

Le Villeurbannais Pierre-Gilles Comméat, 33 ans, rêvait de créer « sa propre entreprise » et « d’avoir une utilité sociale ».

Un rêve finalement concrétisé en 2005 avec Baobab des Saveurs, une société qui valorise des produits naturels locaux ou africains, créée avec Mama Gueye, un travailleur social sénégalais. Les deux hommes s’étaient rencontrés deux ans plus tôt quand le jeune Français, ingénieur agronome passé par Toulouse et Montpellier, effectuait alors un stage à Thiès (est de Dakar). Mama Gueye avait alors servi de traducteur en wolof auprès des populations rurales.

Baobab des Saveurs livre ainsi des poudres alimentaires et des huiles traitantes ou de massage, vendues sous la marque Trans-Terroirs. Composée de trois permanents et employant entre 3 à 15 journaliers, cette entreprise a notamment apporté une activité supplémentaire à des paysans et des groupements de femmes dans le pays.
L’huile de baobab a été le premier produit vendu en 2007. Il intéresse des sociétés cosmétiques au Sénégal, comme Marie Dialo Laboratoires. Depuis, la petite entreprise a sorti d’autres huiles – un bénéfice certain pour le budget du Sénégal, car elles remplacent l’argan et l’amande douce qui sont importés – et des poudres qui doivent être infusées et filtrées (bissap et gingembre) ou mélangées avec du lait ou de l’eau sucrée (baobab).

Pour creuser son sillon, le duo franco-sénégalais a su innover. Ainsi, sur la base d’un projet soutenu par la Coopération allemande (GTZ), le gérant français et le responsable sénégalais des Approvisionnements et de l’organisation des filières agricoles ont imaginé une nouvelle machine, dont la construction a été confiée à un menuisier métallique de Thiès : des disques meulent des morceaux de pulpe de baobab séché. La poudre de baobab, ingrédient fortifiant de l’organisme, riche en vitamines et calcium, est ainsi utilisée pour les jus et les glaces.

Passés, quant à eux, dans des moulins classiques à marteaux qui propulsent les produits sur des tamis, le bissap et le gingembre donnent aussi une poudre utilisée pour les jus et également pour les sauces, s’agissant du second. En matière d’approvisionnement, si la matière première du baobab est collectée dans le centre du pays, vers Kaffrine, le bissap est le fruit d’une collaboration avec l’ONG Agrecol Afrique, qui favorise l’organisation de groupes de production du bissap. En ce qui concerne le gingembre, il est acheté à Thiès, mais provient du Mali et de Guinée.

Une deuxième ligne de production fournit une dizaine d’huiles : à base de baobab pour l’hydratation et le renforcement des cheveux ; avec du moringa pour combattre les rides ; du touloucouna de Casamance pour lutter contre les douleurs et la fatigue ; du soump qui sert à la constitution d’une huile décontractante, certifiée bio.
S’y ajoutent des huiles de massage antidouleurs, à base de touloucouna et d’huiles essentielles, et pour le bien-être, à base de baobab, mandarine et petit grain. « Ces articles ont été développés sous notre marque avec la spécialiste française des soins traitants et des huiles essentielles Leïla Oils, basée à Dakar », précise Pierre-Gilles Comméat. Ils sont vendus à Dakar à des clients prestigieux comme la Parfumerie l’Effluve et les hôtels Radisson Blu et Terrou-Bi.

Baobab des Saveurs a été lancé sans financement extérieur. « J’avais juste 15 000 euros. Nous avons commencé à travailler dans une chambre dans des locaux appartenant à l’oncle de Mama Gueye, puis dans un garage et, enfin, dans une maison de 90 m2 aménagée », se souvient Pierre-Gilles Comméat. C’est pourquoi, depuis le départ, les deux acolytes ont signé des contrats de conseil avec des ONG ou la FAO. « Nous jonglons constamment entre nos deux métiers », confie, sans amertume, le gérant de la PME de Thiès.

L’an dernier, le capital risqueur Garrigue a accordé un prêt de 14 000 euros à Baobab des Saveurs qui va pouvoir ainsi financer la construction de ses nouveaux locaux dans la zone industrielle de Thiès. S’y sont ajoutés de petits montants de la part de Crédit Agricole Sénégal et d’Ecobank et, surtout, une avance sur héritage dont bénéficie le gérant français pour acheter le terrain (1 400 m2). Une bénédiction pour Baobab des Saveurs, qui veut doubler sa capacité de production à l’entrée dans ses nouveaux murs, prévue en 2014, et améliorer ses conditions de travail et d’hygiène. Toujours majoritaires dans le capital de leur entreprise, les deux associés y ont, toutefois, permis l’entrée de plusieurs actionnaires individuels français et de Garrigue.

Depuis le début, les dirigeants ont estimé l’export comme un impératif pour vendre des volumes. D’ailleurs, les livraisons extérieures (par avion) représentent aujourd’hui 60 % de l’activité totale. En France notamment, un contrat a été conclu avec Racine SA, un distributeur de produits alimentaires africains basé à Montpellier. Aux États-Unis, Baobab des Saveurs négocie avec un distributeur disposant de capacités de stockage et conditionnement. Sur ce marché réputé porteur, la société de droit sénégalais n’hésite pas à se rendre au salon de l’alimentation Fancy Food Show. Comme pour le Salon international de l’alimentation (Sial) à Paris ou Foodex à Tokyo, elle se déplace sous l’égide de l’Association Afrique agroExport (Aafex), créée à Dakar à l’initiative de l’Adepta pendant le Sial 2002. « L’Aafex nous a aussi aidés dans notre démarche qualité », se félicite Pierre-Gilles Comméat, qui mentionne deux autres cibles prioritaires : Royaume-Uni et Pays-Bas.

F. P.


Renov Industries : Travailler « dans l’humain »

Fondé à Dakar en 1999 par des chefs d’entreprise sénégalais et français pour réaliser le sablage peinture des bouteilles de gaz de Total, le spécialiste du traitement de l’acier Renov Industries s’est notamment diversifié dans la chaudronnerie-construction métallique-tuyauterie fin 2002.

Une évolution voulue par sa directrice générale Pascale Alexandre, embauchée quelques mois auparavant pour développer la stratégie commerciale de la société. « Nous ne pouvions pas alors prétendre accéder à certains marchés. Et bien m’en a pris, puisque ce nouveau département à l’époque représente aujourd’hui entre 60 et 70 % de notre chiffre d’affaires », se félicite Pascale Alexandre. Seule expatriée, la directrice générale commande entre 20 et 200 personnes, selon les chantiers. « Je travaille dans l’humain », explique très sérieusement Pascale Alexandre, pour qui le fait d’être une femme n’est pas un handicap. « Bien au contraire, assure-t-elle. Les Sénégalais sont très tolérants vis-à-vis des étrangers et on ne m’affronte jamais comme avec un homme avec la même agressivité. Du coup, si dans le travail il est normal et nécessaire que je me fasse entendre, en même temps je peux faire preuve de souplesse ».

« Il faut être ouvert, respecter les Sénégalais – des hommes fiers et affectifs – et avoir une action sociale », affirme encore la dirigeante française. Offrir un cadeau lors d’une naissance ou d’un mariage, par exemple, accorder un prêt en cas de problème financier, introduire de la flexibilité dans les horaires de l’encadrement quand les objectifs sont atteints.

La patronne exécutive de Renov Industries s’affirme aussi comme une femme laïque respectueuse des religions. Laissant à ses employés musulmans la possibilité de prier dans leur bureau, elle leur demande en contrepartie de s’adapter aussi dans des circonstances importantes pour l’entreprise, notamment en étant présents, le vendredi après-midi, quand des clients étrangers sont reçus dans la société. De même, les fêtes catholiques et musulmanes sont respectées, mais quand il s’agit de travailler sur des chantiers, tard dans la journée ou le week-end, ils doivent être disponibles, en contrepartie, bien sûr, d’un meilleur salaire.

En matière de rémunération, « ne verser que le SMIC à ses manœuvres, ce n’est pas possible. Il y a une paupérisation de la population », observe Pascale Alexandre, qui affirme « offrir des rémunérations nettement supérieures aux taux de bas en vigueur ». Pour autant, il lui faut aussi prendre en compte l’intérêt économique de Renov Industries et donc « équilibrer cette dimension avec le volet social, car la PME doit rester compétitive par rapport à ses concurrents locaux ». Pascale Alexandre ne cache donc pas qu’au
départ elle « négocie âprement les salaires », mais qu’en retour, « ses employés peuvent accéder à un intéressement sous forme de primes représentant jusqu’à deux à trois mois de salaire par an ».

Quant aux qualifications, il y a au Sénégal des soudeurs talentueux, une très bonne école spécialisée. En revanche, le niveau général d’éducation a baissé, ce qui amène Renov Industries à embaucher plutôt des hommes de 40-50 ans avec de l’expérience. Enfin, comme l’entreprise possède plus de 20 employés, la PME dakaroise possède un délégué du personnel. Elle n’a pas à ce jour connu de conflit. Constituer une équipe est d’autant plus important, que certains chantiers sont réalisés hors du Sénégal dans la région, comme le sablage peinture des pertuis du barrage de Manantali au Mali. Renov Industries travaille aussi avec des sociétés françaises en Guinée comme le fabricant de bacs pétroliers Tissot. L’export peut ainsi constituer jusqu’à 50 % de son chiffre d’affaires, ce qui est réconfortant dans la mesure où Pascale Alexandre s’attend à des années difficiles sur le marché domestique. Elle s’intéresse ainsi à la Mauritanie. « Le pays est compliqué », constate la chef d’entreprise. C’est pourquoi elle estime indispensable pour y profiter de l’explosion du secteur minier de trouver un bon partenaire local, à la fois fiable et connaissant bien le marché.

F. P.


Sipasen : valoriser « l’esprit de famille »

Fondé à Dakar en 1988 par Alain Floriet – actuel président du bureau de l’UFE (Union des Français à l’étranger) au Sénégal – le spécialiste du polystyrène expansé Sipasen est aujourd’hui une société de droit local indépendante de son ancienne maison mère Sipa, entreprise familiale créée dans les années soixante en France.
Fille du fondateur, seule femme et seule non Sénégalaise chez Sipasen, Christelle Floriet pilote aujourd’hui cette PME de 10 salariés, dont la livraison de caisses de transport de poissons frais à des sociétés de pêche représente 75 à 80 % de ses ventes globales. « La vraie valeur, c’est l’esprit de famille, affirme-t-elle, ce qui signifie que je préfère toujours un employé en qui j’estime pouvoir placer ma confiance et que je vais former ». Les salariés de Sipasen ne possèdent pas le niveau Bac. « Ils ont généralement travaillé comme journaliers avant d’être embauchés et formés sur le tas », précise Christelle Floriet.

Comme la crise mondiale touche nombre de ses clients, en particulier des sociétés de pêche en Espagne, en Italie et en Grèce, Sipasen, fournisseur aussi de produits pour le bâtiment (isolation…) ou l’agroalimentaire (emballages de crèmes glacées, barquettes de viande…), s’est diversifié plus récemment dans l’événementiel, avec des produits de décoration de vitrines, de stands, de buffets, découpés au fil chaud, comme des enseignes pour Accor.

Sur le marché domestique, malgré la qualité supérieure de ses articles, Sipasen est confronté à un concurrent libanais, Chahine Product, avec des tarifs compétitifs. Or, avec l’élévation des cours du pétrole, les prix de la matière première ou du gasoil indispensable pour faire fonctionner les chaudières ont augmenté.
Malgré l’explosion des coûts de production, Sipasen est parvenu à stabiliser ses prix ces six derniers mois, mais Christelle Floriet reconnaît que l’année en cours est incertaine. Elle craint non seulement les impayés, mais plus encore la disparition de certains clients.

F. P.

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