Alors que la conjoncture de l’économie mondiale reste marquée par un ralentissement généralisé, les prix du fret maritime demeurent l’objet de fortes variations. Le Moci fait le point sur les principales tendances qui affectent le marché, avec les avis de deux experts, Pascal Querro (Vincia Consulting) et Philippe Bonnevie (AUTF).
Les armateurs n’ont pas eu cette année le traditionnel sursaut d’activité lié à la perspective des fêtes de fin d’année de la peak season à se mettre sous la dent. « 2012 confirme que la peak season est désormais quasiment inexistante sur le range Asie-Europe. On assiste à un étalement des commandes et nos clients chargeurs ne rencontrent pas de difficultés d’embarquement », relève Patrick Sesboüé, senior vice-Président Sea Freight pour l’Europe du Sud-Ouest du spécialiste de la Supply Chain Kuehne + Nagel France. « Les compagnies maritimes ont d’ailleurs échoué à faire passer les PPS (Peak Season Surcharges).
Les tarifs de fret ont atteint leur maximum juste avant l’été. Depuis, ils se sont effrités avant de connaître ces dernières semaines une baisse plus rapide », confirme Fernando Géa, directeur des opérations de Geodis Wilson, la division « freight forwarding » du groupe Geodis.
Les ténors du petit club qui domine le marché de la conteneurisation – Maersk, MSC, CMA-CGM, Cosco, Evergreen ou Hapag-Lloyd – n’ont pourtant pas à se plaindre du premier semestre 2012. Après une année 2011 pendant laquelle ils ont tous perdu beaucoup d’argent, ils ont réussi à restaurer les taux de fret sur le range Asie-Europe. « Les compagnies ont augmenté les prix alors que le rapport entre la demande et la capacité mise en ligne ne jouait pas en leur faveur. C’est une grande première ! », souligne le spécialiste d’économie maritime Paul Tourret, directeur de l’ISEMAR.
Les volumes n’ont en effet pas été au rendez-vous : les flux d’importation sur l’Europe ont diminué d’environ – 2 % à – 3 % au premier semestre 2012. Et malgré l’accélération du taux de démolition de navires et le dégonflement des carnets de commandes, la croissance de la flotte mondiale s’est poursuivie. Selon le consultant Alphaliner, les effets de la réduction des carnets de commandes ne commenceront à se faire sentir qu’à partir de 2014, au moment où les livraisons commenceront à décliner. Mais les armateurs ont tiré les leçons de la crise. « Ils ont compris que ce n’était pas en se faisant la guerre des prix pour gagner des parts de marché qu’ils amélioreraient leurs bilans et ils ont multiplié les alliances opérationnelles », explique Simon Roy, vice-Président Ocean Freight de DHL Global Forwarding France. La consolidation des lignes régulières est désormais une réalité qui modifie les conditions du marché sur le trade Asie-Europe. La fusion de Grand Alliance et de The New World Alliance a abouti, début février 2012, à la création du G6 (Hapag-Lloyd, NYK, OOCL, APL, HMM) dans la foulée du rapprochement entre les deux géants CMA-CGM et MSC sur les liaisons Asie-Europe du Nord. « Alors que ces deux compagnies se livraient une concurrence féroce, il était inimaginable de voir un conteneur de CMA-CGM voyager sur un navire MSC ou inversement ! », poursuit Simon Roy. Les armateurs ont aussi respecté une discipline collective qui leur a permis de faire passer des hausses en mars et avril et s’y tenir. « On a retrouvé en mai des niveaux de prix records, proches de ceux pratiqués en 2008 », observe Paul Tourret. Les PME négociaient encore en juillet 2012 leur tarif de fret « all in » (toutes surcharges comprises) autour de 3 500 dollars pour un conteneur de 40 EVP entre la Chine et l’Europe du Nord.
Face à un second semestre qui s’annonce plus difficile, les compagnies maritimes ne resteront pas sans réaction. « Les armateurs ont une lecture anticipatrice du marché. La plupart des compagnies, dont CMA-CGM, ont annulé leurs départs pendant la semaine de la Golden Week en Chine (du 1 au 7 octobre 2012, la production chinois s’arrête, NDLR) », indique Nicolas Sartini, directeur central exécutif en charge de la ligne Asie-Europe de CMA-CGM. Le G6 et CKYH (qui associent Cosco, K Line, Yang Ming et Hanjin) arrêteront définitivement deux rotations basées sur des porte-conteneurs de 8000 EVP d’ancienne génération, ce qui amputera la capacité du marché d’environ 6 %. « Les mesures de slow steaming interrompues à partir de la fin de l’année dernière pourraient également reprendre. Nous mettrons aussi peut-être des navires en cale sèche », indique au Moci Gilles P. Braesch, directeur commercial de Coscon France, la filiale de conteneurisation du groupe Cosco qui s’avoue réservé quant à la tenue du marché au second semestre. Quelle sera l’efficacité des mesures que prendront les armateurs ? « Les armements vont jouer sur les trois leviers à leur disposition, la suspension ou l’annulation de rotations, la diminution des capacités et le ralentissement de la vitesse des navires. Mais cela n’empêchera pas les taux de baisser », pronostique Fernando Géa. « Les tarifs de fret ont reperdu environ 15 % depuis le début de l’été. Beaucoup de choses vont dépendre de la capacité des armements à maintenir un front commun sur les tarifs. Les conditions ne sont pas réunies pour une concurrence ouverte entre les compagnies, mais les taux baisseront car le marché n’est pas au rendez vous. Ils ne devraient pourtant pas s’effondrer brutalement ! », espère Patrick Sesboüé. Les professionnels sont nombreux à souhaiter que cesse la tempête dans laquelle sont ballottées depuis désormais quatre ans les entreprises du secteur. « Le transport maritime est une activité cyclique par nature. Mais les fluctuations sont de plus en plus rapides et de plus en plus brusques. Cette instabilité ne profite à personne », regrette Simon Roy. Ni aux compagnies maritimes qui peinent à rebondir. Ni à leurs clients qui ont besoin de visibilité pour asseoir durablement leurs stratégies.
Philippe Desfilhes