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Entreprises : comment gagner en Malaisie et en Asie

Trente millions d’habitants, c’est relativement peu, et rares sont les PME qui, à l’instar d’Utilis (défense), visent uniquement le marché national. En créant une plateforme en Malaisie, la plupart ciblent, en effet, l’Asie, au minimum l’Asean.

Hervé de Soultrait en est convaincu. « Petite ou grande entreprise, il faut créer son bureau régional en Malaisie », martèle le directeur général d’EdapTechnomed SDN, un fabricant français de lithotriteurs (appareils de traitement des calculs rénaux par ultrasons), établi à Kuala Lumpur. Les raisons sont multiples, renchérit François Matraire, directeur jusqu’en septembre du bureau d’Ubifrance, rencontré à Kuala Lumpur : « une situation géographique centrale en Asie, une stabilité politique et économique, des coûts de main-d’œuvre intéressants et toute une politique d’incitations avec un organisme très ouvert, Mida (Malaysian Investment and Development Authority) ». Rattachée au ministère du Commerce international et de l’Industrie (Miti), cette agence gouvernementale peut offrir de grosses exemptions d’impôts pendant plusieurs années.

Fabrice Godeau est le directeur général d’Altran Malaysia. Après 19 ans à tourner en Asie, il connaît bien la région : il y a travaillé notamment pour Safran et General Electric et a résidé à Hong Kong, Singapour, au Japon et en Malaisie. « Quand j’ai démarché Altran, fort de mon expérience, j’ai pu convaincre le groupe français de conseil en innovation et ingénierie avancée que le meilleur hub régional n’était pas Singapour mais la Malaisie », relate Fabrice Godeau. Selon lui, « le transport aérien y est facile, grâce aux nombreuses liaisons dans la région de la compagnie aérienne Air Asia, et la Malaisie compte de nombreux talents ». Quand il s’agit de rayonner en Asie, les entreprises pensent d’emblée à l’Asean (Association des nations du sud-est asiatique). Mais, dans la pratique, les exemples ci-dessous de Monin (boissons pour les professionnels), Precia Molen (pesage industriel) et Serac (machines de remplissage, bouchage et de fabrication d’emballages) le démontrent, les bureaux basés à Kuala Lumpur opèrent plus au large : jusqu’en Australie, en Inde ou encore en Chine.

La Malaisie n’est donc pas choisie pour son marché domestique, qui est relativement limité (30 millions d’habitants ; les Indonésiens sont plus de 250 millions !). Sauf dans certains cas, comme celui d’Utilis (tentes militaires et équipement NBC), dont les commandes sont principalement liées aux appels d’offres nationaux. En Malaisie, pour décrocher des contrats publics, il est indispensable d’avoir dans son tour de table (comme associé, membre du Conseil d’Administration, dans son personnel) un ou des Bumiputra, c’est-à-dire les « Fils du sol » : Malais ou indigènes de Bornéo (Ibaw…).

À son indépendance en 1957, la fédération malaisienne, pour maintenir un équilibre entre les Malais et les communautés les plus industrieuses (communautés chinoise et indienne), avait décidé de développer une politique de discrimination positive au bénéfice des premiers. « À l’époque, les Malais étaient des pêcheurs et des agriculteurs », rappelle Michel Lozac’h, le directeur général de la Chambre franco-malaisienne de Commerce et d’Industrie (MFCCI). Une politique qui touche notamment les marchés publics, mais que commencent à contester aujourd’hui les jeunes générations d’origine chinoise et indienne.

C’est un souci pour la fédération malaisienne multireligieuse et multiethnique, au moment où elle a également entamé des discussions avec l’Union européenne (UE) pour la rédaction d’un accord de libre-échange (ALE). À Kuala Lumpur, on se veut pragmatique, prêt à un compromis. Des assouplissements ont déjà été apportés pour des entreprises actives dans certains services ou bénéficiant de statuts particuliers (statut pionnier, zone franche, corridor de développement…). Mais il n’est pas certain que l’UE fasse preuve de la même souplesse au sujet d’une contrainte relative aux marchés publics. Les négociations pourraient alors piétiner pendant un moment.

En dehors de cet écueil, les sociétés françaises, qu’elles exportent ou investissent sur place, ont peu de souci à se faire. Certes, une main-d’œuvre bien formée à des technologies modernes n’est pas toujours disponible – et, « en période de plein-emploi (taux de chômage 3,1 %), il faut savoir se l’attacher », explique-t-on pudiquement sur place. Il convient donc de former ses employés aux méthodes les plus modernes.

Parmi les autres obstacles, trouver un entrepreneur de BTP performant peut, dans certains cas, se révéler « un parcours du combattant », confie un dirigeant français qui a investi dans la construction d’un bâtiment. Par ailleurs, la Malaisie prend toujours comme modèle Singapour, la cité État qui est indépendante d’elle depuis 1965. Du coup, « elle se soucie de criminalité, non pas parce que c’est une préoccupation ici, mais parce que Singapour l’a pratiquement éradiquée », explique Michel Lozac’h.

Il suffit de se reporter au classement Doing Business de la Banque mondiale pour être totalement rassuré sur l’environnement des affaires en Malaisie. « Certes, Singapour est numéro un depuis plusieurs années, mais la Malaisie a, de son côté, progressé de façon sensible, puisque « la Banque mondiale l’a classée au sixième rang pour la facilité à faire des affaires dans son classement 2014, soit deux places de mieux qu’en 2013, douze par rapport à 2012 et 17 par rapport à 2011 », égrène Zainal Amanshah, directeur exécutif d’Invest KL, l’agence publique chargée d’attirer les 500 plus grandes multinationales à Kuala Lumpur.

Fait notable, en 2014 comme en 2013, la Malaisie arrive en tête sur un total de 189 pays classés pour l’obtention des prêts, numéro quatre et cinq pour la protection des investisseurs et le commerce transfrontalier. Quant à l’octroi de permis de construire, elle a clairement amélioré sa position, passant ainsi de la 99e dans le rapport 2013 à la 43e cette année.

 

Monin : arroser jusqu’à la Chine

« Quand nous avons décidé de commander au fabricant français Perrier une nouvelle ligne de production de 12 000 bouteilles par heure, c’est la Chine, déjà un de nos principaux débouchés, qui était le premier marché visé, avec d’autres pays à forte population, comme l’Indonésie, le Vietnam et les Philippines », égrène Christophe Bernard-Bacot, directeur général de Monin Asia, la filiale pour l’Asie et le Moyen-Orient du producteur français de boissons haut de gamme – sirops, purées de fruits, sauces, poudres pour boissons frappées – destinées aux bars et à la restauration rapide (Mc Donald, Costa Coffee…).

La superficie de l’usine, située à Rawang, au nord de Kuala Lumpur – donc relativement bien placée par rapport au port de Kenang – vient d’être doublée, ce qui a permis de construire de nouveaux entrepôts et de dégager de l’espace pour recevoir la nouvelle ligne de production en novembre prochain. Même si le directeur général de Monin Asia reste discret sur le sujet, on comprend bien que l’entreprise française produira un jour directement en Chine. De même, croit-on comprendre que plusieurs usines pourraient aussi arroser d’autres pays de la région.

Avec ses 95 salariés, dont 80 en Malaisie et 15 commerciaux en Asie, Monin Asia réalise 95 % de son chiffre d’affaires dans 30 pays étrangers. Des ventes qui croissent de 25 % par an depuis plusieurs exercices. Seuls trois responsables sont étrangers : outre le directeur général, la directrice du Marketing, Floride Talman, et le responsable de la Recherche & Développement. « Trouver du personnel de production n’est pas simple en période de plein-emploi, car les Malaisiens préfèrent généralement travailler dans l’Administration », reconnaît Christophe Bernard-Bacot. D’où la nécessité d’élever les salaires au-dessus du salaire minimum (220 euros par mois), de proposer à des Malaisiens qui en sont friands des heures supplémentaires. « Ils peuvent ainsi multiplier leur salaire par 1,5, sans compter le bonus qu’ils reçoivent et qui peut représenter tous les ans jusqu’à trois mois de salaires », complète leur directeur général. D’autres avantages, liés au confort et aux conditions de travail, sont aussi offerts : l’air conditionné, la sécurité sociale, les repas et la salle de cantine.

Pour s’implanter en Asie, la PME de Bourges avait préféré à Singapour et à la Thaïlande la Malaisie, pays situé au centre de la région, stable politiquement, offrant des coûts de main-d’œuvre attractifs et des avantages fiscaux. C’est ainsi que lui avait été attribué le statut de pionnier, selon lequel l’impôt sur les bénéfices est réduit de 70 % pendant cinq ans. Aujourd’hui, Monin Asia exportant plus de 85 % de ses ventes, peut accéder à un avantage similaire. Il s’est ainsi adressé au Malaysian Investment Development Authority (Mida) pour obtenir le statut de « distribution régionale ».

 

Precia Molen : faire la bascule jusqu’à Chennai et Sydney

Sébastien Longelin est le directeur (commercial) Asie Pacifique de Precia Molen, leader en France du pont-bascule et spécialiste mondial de la bascule de circuit (pour le pesage et la facturation des grains). En octobre prochain, le bureau régional de la PME de Privas, ouvert en avril dans les locaux de la Chambre franco-malaisienne de Commerce et d’Industrie (MFCCI), accueillera un volontaire international en entreprise (V.I.E) pendant un an. Le temps que le jeune V.I.E soit formé aux techniques du pesage industriel avant de rejoindre la filiale commerciale qui doit être lancée en Chine en 2015.

« Pour notre implantation régionale, la Malaisie était en concurrence avec Singapour, qui s’est finalement révélé trop cher, et la Thaïlande. Mais Bangkok nous est apparu trop excentré par rapport à l’Australie où nous avions ouvert une filiale commerciale en 2013. En outre, Bangkok souffre encore plus des encombrements automobiles que Kuala Lumpur », relate Sébastien Longelin, selon lequel le Grand Kuala Lumpur (7 millions d’habitants) constitue « un bon compromis en termes de prix et d’infrastructures ». Grâce notamment à Air Asia, la compagnie aérienne low cost, qui relie Kuala Lumpur en 3 h 40 à Chennai en Inde, où le groupe de pesage industriel dispose aussi d’une filiale industrielle et commerciale, en 5 h 30 à Shanghai en Chine, en 3 heures à Perth et 7 h à Sydney en Australie et 2 h à Jakarta en Indonésie.

Outre l’enregistrement du bureau régional auprès de Malaysian Investment Development Authority (Mida) et de la mise à disposition d’un bureau de 8 m2, la MFCCI s’est chargée du recrutement de l’assistante de Sébastien Longelin, des permis de travail, de la fourniture d’une liste d’agents immobiliers pour le logement du directeur et de sa famille et de la gestion administrative de la structure. « La domiciliation à la MFCCI est une excellence solution pour commencer, mais aujourd’hui j’ai trouvé auprès de la société privée Incub 8 un logement de 16 m2 à un prix deux fois moins élevé, plus proche de mon domicile dans le quartier d’expatriés de Mont Klara au nord-est », explique Sébastien Longelin, qui va donc déménager dans les mois à venir.

« Precia Molen n’est pas établi à Kuala Lumpur pour le marché malaisien, mais pour la zone Asie Pacifique », insiste le directeur de la structure, qui a engrangé 800 000 euros de commandes en huit mois d’existence auprès d’une société pharmaceutique indienne, implantée à Johor Bahru, capitale de l’État de Johor et donc de la zone économique d’Iskandar, bien connue de la filiale indienne de la PME de Privas. « Nous allons utiliser la plateforme indienne pour des fabrications destinées à l’Asie du Sud-est », explique encore le directeur du bureau de représentation de Precia Molen à Kuala Lumpur, qui précise que la société est « en bonne position pour vendre des bascules de circuit en Chine ».

Les cibles privilégiées du bureau régional sont à l’heure actuelle Singapour, en raison de la présence variée de bureaux ou de sociétés d’ingénierie comme Technip (basé à Kuala Lumpur), ainsi que de groupes internationaux, comme Unilever et General Electric. Autre priorité, l’Indonésie, du fait des investissements prévus dans les mines et l’agriculture.

 

Serac : profiter des ALE pour produire pour l’Asie

« Dès le départ en 1994, nous avons voulu travailler l’Asie à partir de la Malaisie. Certes, à l’époque le marché domestique pouvait sembler petit, mais la Malaisie présentait déjà un minimum de stabilité politique et économique », relate Wilfrid Marie, vice-président du groupe Serac, qui à partir de 2004 a commencé à produire sur place d’abord des machines de remplissage et de bouchage, puis des machines de fabrication d’emballages.
Marié à une Malaisienne, Wilfrid Marie dirige également Serac Asia à Kuala Lumpur, dont le chiffre d’affaires en dix ans est passé de deux à trois millions d’euros à 18-20 millions, dont 15 % en Malaisie. « C’est, selon lui, facile d’exporter dans la région », en raison des accords de libre-échange (ALE) signés au sein de l’Association des nations du sud-est asiatique (Asean) et entre l’Asean et la Chine, la Corée du Sud et le Japon (dit Asean + 3). Par rapport à des biens livrés à partir de France, l’économie serait ainsi de 10 à 15 % sur le coût total, transport compris.

Les clients sont en Chine, en Inde, en Indonésie, en Malaisie ou en Thaïlande des multinationales, des fabricants de produits laitiers, d’huiles ou d’articles d’entretien. D’où l’importance du réseau, constitué d’agents et de bureaux locaux en sus de la force de vente du bureau régional. Serac Asia compte 70 salariés, dont 60 Malaisiens et 10 étrangers détenteurs d’un savoir-faire spécifique. « Le plus compliqué, c’est le service après vente », pointe le vice-président du groupe de la Ferte-Bernard (Sarthe). D’abord, parce qu’il faut un « bon niveau technique », ensuite, « il faut se montrer très autonome ». Or, un responsable commercial peut être amené à voyager pendant deux mois, une situation professionnelle que n’apprécient pas a priori « des Malaisiens, pas très aventuriers ». Comme la Malaisie est en situation de plein-emploi, il est indispensable de « bien rémunérer » les compétences. Au sein du bureau d’études, les salaires s’étagent ainsi de 1 500 à 1 800 euros par mois. Aux charges sociales de 12 %, s’ajoute la couverture sociale étendue à la famille.

 

Utilis : fournisseur de tentes et NBC pour l’Armée et la police

Aurélien Rouvreau et Matthieu Maidon ont lancé la filiale commerciale malaisienne d’Utilis, un fabricant de tentes militaires haut de gamme diversifié dans la fourniture d’hôpitaux de campagne, de camps militaires ou encore de kits de décontamination NBC (Nucléaire Biologique Chimique) basé à Metz. Une consécration pour ces deux jeunes Français qui étaient déjà installés sur place – le premier comme consultant, le second comme responsable chez Eurocopter – et rêvaient de créer leur propre entreprise. Pour se donner toutes les chances dans les marchés publics, Aurélien Rouvreau et Matthieu Maidon se sont associés à l’époque au Malais Azizi Nordin, homme d’expérience bien introduit dans le secteur de la défense. En 2009, le trio s’est envolé pour Londres dans l’espoir de décrocher un contrat de représentation lors du salon de la défense DSEI. C’est alors qu’il y rencontre les dirigeants d’Utilis, en particulier, son patron Philippe Prévost, déjà familier de la Malaisie où l’entreprise lorraine a opéré à une certaine époque avec un agent. Sachant par expérience que pour percer en Malaisie, y assurer un suivi régulier est indispensable, Philippe Prévost accepte alors de confier au trio la représentation de la société dans le pays. Représentation qui sera ensuite prolongée par un accord de distribution exclusive, concrétisée par la fondation de la filiale Utilis Malaysia. Enfin, cette société établie à Kuala Lumpur obtiendra la représentation de la PME lorraine dans toute la zone.

Au départ, les premiers appels d’offres gagnés auprès de l’Armée ou de la police en Malaisie ne suffisent pas au développement d’Utilis Malaysia. Fort heureusement, comme sa maison mère est membre en France du groupement d’intérêt économique (GIE) NBC, sa filiale va pouvoir approcher certains membres du GIE et distribuer ainsi les produits de Proengin, Paul Boyé, Bertin Technolo- gies, NBC-Sys et Mirion Technologies. « Nos activités sont aujourd’hui réparties à part égale entre Utilis et les autres marques », précise ainsi au Moci Aurélien Rouvreau, directeur général d’Utilis Malaysia.

La PME basée à Kuala Lumpur réalise aussi 20 % de son chiffre d’affaires global dans l’Asean, hors Malaisie. « L’idée était dès le départ de fabriquer sur place pour le marché des États de l’Association des nations du Sud-est asiatique (Asean). Produire sur place permet d’échapper au coût élevé du transport de France et aux taxes importantes à l’entrée des produits, non pas en Malaisie, mais en Thaïlande (40 %) ou encore en Indonésie (60 %) », relate Aurélien Rouvreau. Faute de trouver un producteur unique en Malaisie, Utilis Malaysia y a confié la fabrication à douze spécialistes locaux (aluminium, toile PVC, luminaire…), l’assemblage étant exécuté dans un atelier à Kuala Lumpur.

En sous-traitant la production sur place, « nous avons gagné 15 à 20 % sur les prix, la main-d’œuvre étant une partie primordiale du coût de nos tentes, qui sont des équipements complexes, dits ultractatiques pour leur rapidité de montage, leur modularité et leur résistance. La performance d’Utilis Malaysia, qui a aussi recruté des agents dans la zone, a valu à cette société de 7 salariés de recevoir le prix de la meilleure PME en 2013, attribué par la Chambre de Commerce et d’Industrie franco-malaisienne (MFICC).

François Pargny

 

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