La France ne devra pas manquer le train de la Route de la Soie, si elle veut peser à l’avenir en Asie centrale. Tel est le message que les officiels du Kazakhstan – de Yerlan Khairov, président du comité d’État aux investissements, à Saparbek Tuyakbayev, président de la jeune agence Kazakh Invest– ont répété durant le premier Forum d’investissement kazakhstanais-français, qui s’est tenu à Paris, le 28 mai.
Le même appel à participer à l’initiative chinoise de la Route de la soie a dû être adressé par Yerlan Khairov à Jean-Baptiste Lemoyne, lors d’un entretien bilatéral précédent ce forum. Quoi qu’il en soit, le secrétaire d’État français à l’Europe et aux affaires étrangères a, de fait, terminé son discours d’introduction de la manifestation en relevant « les opportunités » qui pouvaient naître « de triangulaires » entre la Chine, le Kazakhstan et la France.
La France, 8e fournisseur, 3e investisseur
L’ex-Empire du Milieu est de loin le premier partenaire commercial du Kazakhstan, notamment son premier fournisseur. Ainsi, d’après la base de données GTA (groupe IHS Markit), la Chine détenait une part de marché (PDM) de 25,88 % au premier trimestre de cette année, en recul, toutefois, sur 2017. L’an dernier, sa PDM s’établissait à 27,45 %, avec des importations de biens du Kazakhstan de l’ordre de 4,14 milliards d’euros.
En comparaison, la France disposait d’une part de marché de 3,14 % et était le huitième fournisseur du Kazakhstan, qui lui avait acheté pour moins de 474 millions d’euros de marchandises : principalement des produits de la pharmacie, de la mécanique, de la chimie et du matériel électrique.
Si la France est en retrait dans les échanges, elle est un investisseur qui compte, le troisième avec un stock de 13,3 milliards d’euros. C’est dire l’importance du futur déplacement d’Emmanuel Macron, annoncé fin 2018-début de 2019 à Astana. A côté des intérêts bilatéraux, la Route de la soie sera certainement évoquée. Lors de son voyage en Chine, le président français avait indiqué aux dirigeants de ce pays que la Route de la soie devait être pratiquée dans les deux sens et pas seulement de Chine vers l’Europe*.
En attendant, « les projets chinois se font ou sont sur la voie de se faire sans nous », constatait un fin connaisseur de la Route de la soie, qui s’inquiète de l’aveuglement de certains pans de l’Administration française.
Khorgos, la porte de l’Est vers l’Europe
Tout au long du forum, Yerlan Khairov et Saparbek Tuyakbayev se sont efforcés d’illustrer la dynamique en marche. Leur pays, qui est déjà favorisé par sa position au cœur de l’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan), est un maillon incontournable sur le chemin vers l’Europe.
De fait, pour relier directement l’Europe, il faut traverser ce vaste territoire de 2 717 300 km2. Saparbek Tuyakbayev a montré sur une carte qu’il ne faut que dix jours pour qu’un train parcourt les 11 500 kilomètres qui sépare le port chinois de Lianyungang, ville du nord-est de la province du Jiangsu, à son pays. Au total, pour relier la côte chinoise et le grand port fluvial allemand de Duisbourg, il faut compter quinze jours, contre environ un mois par bateau entre la Chine et l’Europe.
A la frontière entre les deux pays, la zone économique spéciale (ZES) Khorgos – Porte de l’Est, avec un port sec (129 hectares) et une zone détaxée pour le stockage et la logistique (225 ha) et l’industrie (225 ha), est ainsi devenue stratégique. C’est un centre de transbordement de marchandises. « Hewlett Packard, dont deux à trois trains arrivent ici chaque semaine, va y installer son centre de gestion de ses marchandises pour l’Asie centrale », a révélé Zhaslan Nourtazin, le directeur général de la ZES, qui a aussi cité deux sociétés françaises à Khorgos : Leroy Merlin et CMA CGM, qui y possède un centre de stockage.
« La ZES Khorgos est un hub multimodal route et rail et se trouve seulement à 3 heures par autoroute de l’aéroport d’Almaty », a encore souligné Zhaslan Nourtazin. Président du Comité Attraction et support de Kazakh Invest, le Français François Bernard a incité les entreprises françaises à assister au forum sur la Route de la soie, Global Silk Road Forum, les 2 et 3 juillet à Astana, qui sera « l’occasion parfaite de dialoguer directement avec le Premier ministre, Bakytjan Saguintaïev, et son gouvernement ».
Faire fructifier le « partenariat stratégique »
La volonté d’Astana de s’ouvrir sur l’extérieur n’est pas exclusive. Le géant pétrolier et gazier, qui a tardé à se diversifier ou a manqué d’efficacité, ne souhaite pas être dépendant de la Chine économiquement. « La Russie demeure importante sur le plan sécuritaire, mais n’a pas les moyens financiers suffisants pour peser », confiait un spécialiste de la zone.
D’où une ouverture aussi vers l’Occident. Le Kazakhstan a notamment besoin des technologies de l’Ouest pour moderniser l’ensemble de son appareil économique. Lors du forum de Paris, organisé à l’occasion du 10e anniversaire du partenariat stratégique signé entre Paris et Astana en 2008, Yerlan Khairov a ainsi rappelé que le président du Kazakhstan, Noursaltan Narzabaïev, a fixé comme objectif la numérisation de tous les secteurs d’activité. Jean-Baptiste Lemoyne a émis le souhait que la France contribue à la réalisation du Plan digital Kazakhstan 2020.
L’innovation est au cœur des préoccupations de Noursaltan Nazarbaïev. Le 10 janvier dernier, lors de son discours annuel sur l’état de la nation, ce dernier a estimé « nécessaire d’introduire une gestion globale de l’environnement urbain basée sur le concept de Smart City ». Une bonne nouvelle pour l’Équipe de France de la ville durable, qui a déjà creusé son sillon sur place. Suite à un appel d’offres lancé par l’État français, les opérateurs français ont pu, en effet, à l’occasion de l’exposition internationale Expo Astana 2017, se doter d’un démonstrateur, appelé Astanable, présentant l’ensemble de leur savoir-faire.
Des priorités : énergies renouvelables, agroalimentaire
« En dehors de coentreprises déjà existantes dans le transport, les satellites, l’énergie, il faut encore étendre nos champs de coopération dans le digital, mais aussi l’environnement et plus particulièrement la gestion des déchets », affirmait Jean-Baptiste Lemoyne au forum de Paris. Yerlan Khairov a, pour sa part, cité comme priorité gouvernementale les énergies renouvelables. Autre secteur à privilégier, selon Saparbek Tuyakbayev, l’agroalimentaire.
Des infrastructures des Routes de la soie à l’agroalimentaire, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, aura l’occasion dans les mois qui viennent de s’entretenir avec le gouvernement d’Astana. En effet, il se rendra sur place pour préparer le voyage d’Emmanuel Macron.
François Pargny
* France / Chine : E. Macron en chef de file de l’Europe et des intérêts français
Pour prolonger :
-Kazakhstan / Risque : un rebond économique conditionné par les cours de l’or noir et les réformes structurelles (Credendo)
-Énergies renouvelables / Kazakhstan : les entreprises françaises en force à Expo Astana 2017
-Expo Astana 2017 : Astanable ou comment les entreprises françaises chassent en meute pour un projet “ville durable”
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