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Japon 2015 : les secteurs porteurs

Si le Japon conclut l’accord de libre-échange en négociation avec l’Union européenne, alors le marché s’ouvrira largement aux Européens. Raison de plus de ne pas baisser les bras dans une série de secteurs encore protégés, correspondant à l’excellence française, comme l’agroalimentaire. Mais aussi le film d’animation et l’armement.

 

Agroalimentaire : s’organiser pour percer sur un marché encore protégé

« À l’évidence nous devons faire des progrès dans l’agroalimentaire » : cette observation de Louis Schweitzer, représentant spécial pour le partenariat franco-japonais du ministre des Affaires étrangères et du développement international (Maedi), frappe tout habitué des supermarchés japonais. Parmi les (rares) marques étrangères, les produits français sont quasi-inexistants, en particulier au regard des produits italiens et espagnols. Un contraste saisissant avec l’offre pléthorique de restaurants français dans les villes japonaises. Force est de le constater : les producteurs de l’Hexagone demeurent à la porte du deuxième marché agroalimentaire mondial (240 milliards d’euros). Ce malgré l’amour inouï des Japonais porté à notre gastronomie, « premier contact avec la culture de notre pays », comme l’indiquait souvent Philippe Faure du temps de son ambassade au Japon.

Le Japon protège son industrie nationale au moyen de barrières tarifaires et non-tarifaires. Les premières dressent un mur autour de cinq « vaches sacrées » : riz, céréales (orge et blé), sucre, produits laitiers, viande (bœuf et porc). Le riz est taxé à 778 %, et le beurre à 35 %. Avec de tels taux, beaucoup de producteurs ne se donnent même pas la peine de tenter leur chance. « On trouve bien du beurre d’Échiré au Japon, mais à des prix stratosphériques », explique un importateur. Les prix du beurre français sont trois fois plus élevés à Tokyo qu’à Hong Kong, estime-t-il. Les producteurs de lait nippons, sanctuarisés, ne sont plus compétitifs et mettraient la clé sous la porte si les droits de douane tombaient.

Les barrières non tarifaires sont multiples, et parfois difficiles à déceler : contrôles en douane très tatillons, refus d’importations d’additifs alimentaires acceptés partout ailleurs, refus de reconnaître la validité des contrôles des autorités étrangères… « L’agneau de pré-salé, élevé sur les pâturages du Mont Saint-Michel, n’est pas autorisé au Japon, toujours sous le choc de la crise sanitaire de la vache folle et de la tremblante du mouton », se désole un importateur. Grand classique de la barrière non tarifaire japonaise : l’interdiction de la lécithine de tournesol, essentielle dans beaucoup de produits de confiserie. « Elle est autorisée partout sauf au Japon, dont la confiserie utilise plutôt de la lécithine de soja », explique un spécialiste. Aujourd’hui, la part européenne dans les importations agroalimentaires du Japon n’est que de 16 %, alors qu’elle est de 21 % dans le monde, observe la Commission Européenne. Cette criante absence n’est donc pas le seul fait des producteurs français. Mais ils y ont leur part. Écoutons Pierre Oteiza, un des rares producteurs français à avoir pénétré le Japon avec son fameux jambon Kintoa. Pour cet homme de terrain, la filière française ne s’est pas encore organisée pour l’exportation, surtout en comparaison de la concurrence italienne et espagnole. « En Australie, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis, la France est sous-représentée. Tout le monde ne jure que par l’exportation, mais l’État français ne va pas assez vite », avertit-il. « Nous n’avons pas encore la culture d’exportation des producteurs de jambon de Parme ou de jambon Serrano », reconnaît Pierre-Emmanuel Brotelande. « Nous avons obtenu notre indication géographique en 1998, puis nous avons bâti notre marque en nous conformant à un cahier des charges serré. Nous n’avons commencé à travailler sur l’exportation qu’en 2008 », explique-t-il.

Un spécialiste français de l’agroalimentaire qui travaille au Japon explique : « Le problème spécifique de la France est que nous avons une industrie agroalimentaire où les filières ne sont pas intégrées. Si un producteur de jambon veut que ses produits soient autorisés au Japon, chaque entreprise de sa filière doit être agréée par les autorités sanitaires japonaises, de l’abattage du cochon à la salaison. Pour des producteurs importants, qui travaillent avec une dizaine d’abattoirs, c’est un effort trop important ». Robert Volut, président de la Fédération nationale des industriels charcutiers, ajoute : « Nous avons en France des entreprises moyennes et un marché intérieur important, qui fait vivre le secteur : 99,8 % des Français mangent de la charcuterie. Ils mangent en moyenne 15 kg par habitant et par an. Aujourd’hui, 7 % seulement de la production de charcuterie française est exportée ». La diplomatie française fait des progrès, cela dit. Les ambassadeurs parlent désormais de nos produits. François Hollande m’avait invité à le suivre pour sa visite officielle en Chine en 2013.

 

Animation : profiter des ouvertures de la forteresse nipponne

Travailler dans l’animation au Japon ? Et pourquoi pas des Japonais s’essayant au vin dans le Bordelais ? A priori le Japon n’attend pas les étrangers pour sa gigantesque industrie du jeu vidéo. Secteur né dans ce pays, il est encore largement dominé par Sony, Nintendo et les centaines de développeurs nippons qui produisent des jeux. Le Japon a aussi donné naissance à une nouvelle génération de producteurs de jeux, cette fois en ligne, en concurrence directe de l’industrie qui fournissait les consoles. Et à un nouveau modèle commercial, fait de jeux gratuits, de biens virtuels… et de bénéfices réels. Les réussites sont encore rares. Aucun titre étranger n’est entré dans le TOP 100 des jeux les plus populaires au Japon, observe l’analyste du secteur Serkan Toto. Ses conseils : « ne pénétrez le marché japonais que si vous avez un contenu innovant, un partenaire local et des techniques de paiement qui vous permettent des revenus même avec peu de joueurs ».

Pourtant la forteresse craque. Il y a dix ans déjà, les studios japonais recrutaient des illustrateurs français pour produire des séries de dessins animés d’un style nouveau. Aujourd’hui les entreprises françaises s’engouffrent dans la brèche. Comme Ankama, une PME ultra-dynamique d’animation basée à Roubaix à l’origine des univers de Dofus et de Wakfu. Ankama a débarqué en fanfare à Tokyo en 2010 en rachetant un immeuble entier à Nakano, quartier-Mecque de l’animation. Il a depuis pris le contrôle de Wizcorp, développeur spécialisé sur le jeu pour smartphone et tablette. Ankama a fait école : Emmanuel Martin, délégué général du SELL (syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) déclarait récemment à BPI France que l’industrie française visait désormais « les marchés coréens et japonais, où les jeux sur mobiles explosent ». Le studio de création français Kobojo, ainsi, a installé une partie de ses développeurs au Japon. Tokkun Studio est le dernier né de cette French wave : le fondateur Benoît Ferrière a quitté sa ville natale d’Annecy pour venir s’installer à Kyoto il y a quelques mois. Studio de design haut de gamme, ses clients les plus fidèles et les plus exigeants ont toujours été les Japonais. « Une grosse partie des productions et de la sous-traitance artistique du secteur a été délocalisée en Chine, en Inde, au Vietnam, pour des raisons de coût. Mais paradoxalement mon positionnement haut de gamme m’a sauvé. Des nombreux studios asiatiques nous ont contactés pour améliorer leurs projets. L’Asie est ainsi devenue mon principal marché, avec plus de la moitié de mon chiffre d’affaires. J’ai toujours été fasciné par la culture nippone, et j’ai choisi de m’installer à Kyoto », explique-t-il. « Je commence avec une équipe réduite, mais j’espère à terme employer 15 à 25 personnes et faire de Kyoto un de nos pôles de production principaux. Je souhaite aussi ouvrir une boutique de produits et une galerie d’art. Je me donne cinq ans. À plus long terme, j’envisage de créer la Tokkun Academy », rêve-t-il.
Aujourd’hui le marché japonais du jeu vidéo représente 1 104 milliards de yens, dont la moitié sur mobile. Il est déjà plus gros que le marché américain.

 

Armement : tenter une offensive à long terme

L’industrie française de la défense n’a pas encore percé la muraille japonaise. Le Japon, protégé par le « parapluie » américain, s’est toujours fourni aux États-Unis pour son matériel militaire. L’industrie militaire européenne, donc française, demeure par conséquent largement exclue de la demande du troisième budget militaire de la planète. Un exemple : Airbus Hélicoptères contrôle plus de la moitié du marché civil pour ses produits, mais moins de 10 % du marché militaire. Les quelque 4 000 PME françaises travaillant dans le domaine de la défense auraient cependant tort de tirer un trait sur le Japon. C’est même le moment de regarder ce marché avec des yeux neufs. Pour le camp des réformateurs au ministère de la Défense, l’armée française est un modèle pour son indépendance géopolitique et son avance technologique, explique un diplomate européen en charge des questions de défense.

L’archipel veut se libérer de sa dépendance à l’Amérique et lorgne vers le Vieux continent. Il est de plus en plus contraint sur le plan budgétaire. Il est, enfin, conscient de ses faiblesses à l’exportation après cinquante ans de pacifisme tant en matériel qu’en réseau de distribution commerciale. 85 % de la production japonaise d’équipement militaire est à destination du Japon. Il recherche donc des solutions innovantes et souhaite multiplier les codéveloppements en partenariat avec des industriels étrangers pour réduire la facture de ses approvisionnements et s’ouvrir une fenêtre de tir à l’international. D’où la multiplication de voyages du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian depuis deux ans. D’où l’organisation de salons de l’armement chaque année plus étoffés au Japon, une nouveauté dans ce pays encore sanglé par sa Constitution pacifiste.

Plusieurs entreprises tentent déjà l’aventure : ECA par exemple, dont le bateau-robot de surveillance est adapté à la géographie de l’archipel. Ou Paul Boyé, dont les vêtements de protection antinucléaire peuvent intéresser les sociétés travaillant à la décontamination des environs de Fukushima. Ou la société SAPL, qui propose des armes « non létales » adaptées à cette nation « pacifiste » qu’est le Japon.

Régis Arnaud

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