Stable politiquement, l’ancienne Gold Coast est aussi une des rares démocraties qui fonctionnent en Afrique. Un atout majeur aux yeux des investisseurs étrangers, qui y sont toujours très actifs, malgré l’approche des élections générales et un certain durcissement des conditions d’investissement. Le Moci fait le point des risques et opportunités du marché ghanéen.
A toute heure du jour, il faut faire preuve de patience : à Accra, la circulation est si lente et les files sont si longues qu’il vaut mieux y limiter les déplacements dans une même journée et anticiper sur les horaires pour honorer ses rendez-vous. Le voyageur de passage a tout le temps de s’attarder alors sur le parc automobile. Un parc à 80 % composé d’occasions en provenance d’Europe et des États-Unis, mais le fait qu’il s’agit toujours de véhicules de qualité en dit long sur l’existence d’une classe moyenne urbaine. D’ailleurs, les concessions automobiles vantant les marques Citroën, Mitsubishi ou Mercedes-Benz sont flambant neuves.
En dix ans, Accra rompant avec son côté « cosy très british » des petites maisons proprettes entourées de verdure, occupées par des entreprises, a fait la place à des immeubles modernes, accueillant des bureaux, des hôtels et des centres commerciaux, comme l’Ibis jouxtant le Marina Mall, avec ses grandes enseignes Benetton, Nespresso ou Façonnable, et un grand supermarché organisé à l’occidentale. Oui, il faut une patience infinie et du temps, y compris pour se rendre à Tema, la cité portuaire, pourtant reliée à la capitale par une deux fois deux voies bien pratique, mais aussi très fréquentée sur ses 34 kilomètres en quasi ligne droite.
Dans les rues d’Accra, on commence déjà à apercevoir des affiches électorales de députés se préparant pour les élections générales de novembre. Dans ce pays exemplaire en matière de démocratie – le Ghana a connu déjà plusieurs alternances politiques depuis que le président Rawlings, conformément à la Constitution, s’est retiré en 2000 – le chef d’État John Dramani Mohamad va se représenter, sans être certain d’être réélu. En effet, la situation économique est grave. Mauvaise gestion des finances publiques et du secteur électrique, piloté par un secteur public inefficace – on prétend que les entreprises d’État sont aussi responsables de l’écroulement de la production cacaoyère, principale ressource avec l’or et le pétrole – toujours est-il que dans un pays qui importe presque tout, la chute du cedi, la monnaie nationale, a été brutale (60 %) et l’inflation a doublé (18 %). Pour résoudre la crise, comme l’exige le Fonds monétaire international (FMI), il va falloir trancher dans les subventions (ce qui est déjà fait dans les carburants), et accroître les taxes (les prix de l’électricité et l’eau ont aussi augmenté de 60 %, à la demande du FMI). Mais le gouvernement social démocrate actuellement au pouvoir semble hésiter entre un dirigisme accru et une libéralisation.
« Nous ne sommes plus un pays socialiste, mais le gouvernement conserve une mentalité socialiste », assène ainsi d’entrée au Moci Nana Osei-Bonsu, le directeur exécutif de la Fédération des entreprises privées (Pef), homologue du Medef, qui accuse l’État de vouloir régenter l’économie, notamment avec les entreprises nationales. Et d’ajouter qu’il « fonctionne comme un think tank qui sait tout, veut tout régenter ». Nana Osei-Bonsu demande encore aux entreprises étrangères de nouer des alliances avec le secteur privé « pour se donner les meilleures chances de percer » et de « créer du contenu local », à l’image de Total et Technip. Pas question pour autant d’appliquer des « pourcentages précis » pour les quatre critères importants en matière de contenu local : participation au capital, services, emploi et matières premières utilisées. « Il ne faut pas être rigide », tempère Nana Osei-Bonsu pour rassurer les investisseurs.
« Le gouvernement a compris qu’il faut produire localement », se félicite, pour sa part, le président de la section Ghana des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), Patrick Prado, selon lequel il est « normal » qu’il y ait des discussions sur le contenu local, « l’emploi, la formation, le capital et les services ». Mais, s’il juge « logique » que « les investisseurs étrangers accordent une place à des actionnaires locaux », les opérateurs internationaux « doivent, toutefois, conserver la majorité du capital », soutient-il encore.
En 2013, le niveau minimal d’investissement étranger avait été relevé à 200 000 dollars (1 million pour les sociétés de trading), entraînant une première réaction de la communauté d’affaires, y voyant une tentative d’exclure les petites et moyennes entreprises (PME). Une lecture que l’on rejette catégoriquement au Ghana Investment Promotion Centre (GIPC). Edward B. Ashong-Lartey, qui dirige le service Investisseur au GIPC, explique que le nouveau seuil requis tient compte du « capital minimum qu’il faut injecter dans la pratique pour s’implanter (capital de la société, bureau, maison individuelle, équipement, usine) » et « des enjeux et priorités économiques et sociaux du pays qui exigent des fonds et une taille minimale quand on investit dans l’industrie manufacturière, que l’on doit aussi réaliser du transfert de technologie et développer l’exportation ou l’emploi ».
Ensuite, dans un projet de loi, il était question d’imposer un capital local de 100 % dans le marketing et la distribution de carburant, une mesure entraînant l’éviction des deux leaders du marché, Total et Shell (20 % du marché local à eux deux), ainsi que dans d’autres secteurs dits stratégiques : mines, aviation, énergie. « Certes, la loi ne serait pas rétroactive, mais, dans les faits, il est à peu près certain que si le texte passait, les entreprises clientes, par prudence, ne voudront plus alors faire appel aux deux étrangers », commente Gwénolé Jan, conseiller économique et commercial à Accra.
Enfin, il y a eu en 2015 plusieurs mesures visant à exclure du contrôle de qualité des marchandises des spécialistes internationaux, comme Bureau Veritas, et des opérations en douane une quinzaine de sociétés étrangères, comme DHL, Bolloré ou Maersk, au profit de sociétés dites « indigènes ». La situation a été jugée suffisamment grave par la France, rejointe ensuite par d’autres pays (Allemagne, Royaume-Uni…), pour que l’Union européenne adresse alors une lettre au président John Dramani Mohamad.
Le message a-t-il été entendu ? Partiellement. En fait, la situation n’est pas claire. La loi a été votée, mais les opérateurs non ghanéens bénéficient d’une licence d’un mois qui est régulièrement renouvelée. « Des décisions qui ne sont pas pro business peuvent être prises, reconnaît Edward B. Ashong-Lartey, alors que l’agence GIPC est là pour justement garantir aux investisseurs qu’ils ne risquent pas d’être expropriés ». Selon lui, les discussions au sein du gouvernement pour une révision du texte sont « en bonne voie » et une solution « pérenne, permanente » devrait être trouvée, mais « cela devrait prendre un peu de temps, car il faut repasser au Parlement ».
Jusqu’à présent, la stabilité politique a largement servi un pays en quête d’investissements directs étrangers (IDE). De fait, l’État anglophone figure toujours dans les premiers récipiendaires, avec, notamment, en 2014 un montant de 3,36 milliards de dollars, d’après la Cnuced. Toutefois, si l’on compare aux chiffres annoncés par GIPC, l’année 2015 serait légèrement en retrait, avec une baisse des nouveaux projets d’investissements enregistrés, soit -14 (à 170, représentant 2,68 milliards de dollars, dont 2,33 milliards d’IDE).
Plus inquiétant, au quatrième trimestre 2015, les investissements directs étrangers ont chuté de 80,47 % à 332 millions de dollars par rapport au dernier trimestre 2014. Une situation sans doute liée au recul des prix du pétrole, dont le Ghana est devenu un petit producteur, qui pourrait être aggravée si le pays effraie les opérateurs extérieurs. Entre « indigénisation » et IDE, la balance devra être équilibrée.
De notre envoyé spécial au Ghana, François Pargny
Chiffres clés
Superficie : 238 540 km²
Population : 26,6 millions d’habitants
Produit intérieur brut : 37,68 milliards de dollars en 2015
PIB par habitant : 1 500 dollars par habitant
Croissance économique : (e) 3 % en 2015, (p) 4,5-5 % en 2016
Dette publique : 78 % du PIB en 2015
Inflation : 17,7 % en décembre 2015
Importations : (e) 13,9 milliards en 2015
Exportations : (e) 10,5 milliards en 2015
Investissements directs étrangers (**) : 3,23 milliards de dollars en 2013, 3,36 milliards en 2014
Stock d’IDE (**) : 23,2 milliards de dollars fin 2014
Sources : chiffres, estimation et prévision du FMI, sauf (**) Cnuced
Pour voir la carte sur les principaux grands projets d’infrastructures cliquer ici.
Cette carte reprend l’essentiel des grands projets, à l’exclusion de l’extension et la modernisation du réseau électrique national sur l’ensemble du territoire du pays. La plupart des nouvelles infrastructures seront concentrées au sud, le long de l’océan Atlantique et du golfe de Guinée, à proximité ainsi, à l’ouest, de l’usine de traitement de gaz d’Atuabo, et à l’est, du port de Tema ou encore de la capitale Accra. Principaux secteurs concernés : l’énergie, le transport et la santé, avec l’exploitation du gaz offshore, la construction et l’extension de centrales électriques, les infrastructures de transport de gaz, de marchandises et de passagers et la santé, avec la réalisation d’une série d’hôpitaux.