L’Interprofession du vin de Bordeaux s’inquiète de la déconsommation en France et sur des marchés voisins comme la Belgique. Cette mise au premier plan d’un phénomène déjà ancien sonne comme un cri d’alerte à l’intention des professionnels bordelais, alors que persistent les nuages de la conjoncture mondiale.
Le vin français, sans y avoir une quelconque part de responsabilité, est victime depuis plusieurs mois de toute une série d’évènements. Coronavirus parti de Chine continentale, révolte sociale à Hong Kong, taxes « Airbus » aux États-Unis ayant suscité la mobilité de la Fédération des exportations de vins et spiritueux (Fevs), inconnue du Brexit au Royaume-Uni : si les exportations de bordeaux, qui représentent une part totale de 45 % en 2019, se sont stabilisés en valeur, dépassant ainsi la barre des deux milliards d’euros, en volume en revanche, elles ont plongé de 4 % à 1,8 million d’hectolitres (hl).
Peur sur la France et la Belgique
Dans l’impossibilité d’infléchir par lui-même les évènements, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) tire la sonnette d’alarme. Sur des marchés comme la France et la Belgique, le premier représentant 55 % du chiffre global du bordeaux, le second 5 % de ses exportations en valeur, il est urgent de s’adapter. S’adapter ou s’adapter plus, selon les cas, à de nouveaux comportements, favorables à une consommation de blanc et de rosé plutôt que de rouge, à des vins souples et équilibrés plutôt que des vins puissants et charpentés, qui représentent la tradition en Gironde.
En gros, en France comme en Belgique, on serait passé de six à sept verres de bordeaux par semaine à deux ou plus du tout, et cette tendance serait la plus forte chez les plus de 50 ans. D’après le CIVB, dans l’Hexagone, sur cent unités de vin rouge de bordeaux perdues, 64 seraient à mettre sur le compte de la déconsommation, 4 de la concurrence d’autres vins et 32 d’autres alcools, dont à 90 % la bière.
B. Farges (CIVB) : « Il faut aller vers la fraîcheur et le fruit »
« Le vin bodybuildé qu’on a pu connaître, avec la recherche d’une forte concentration, ce n’est plus çà. Il faut aller vers la fraîcheur et le fruit », alertait le président du CIVB, Bernard Farges, lors d’une conférence de presse, le 10 mars à Paris, en présence du vice-président de l’interprofession, Allan Sichel, et de Stephan Delaux, adjoint au maire de Bordeaux, chargé de l’Attractivité économique, du tourisme, de la filière viticole, des grands événements et de la vie fluviale.
Selon Bernard Farges, « si l’on veut garder sa capacité à investir et à exporter, il faut mieux présenter ses vins, mieux les servir ». Être à l’écoute des nouveaux consommateurs – jeunes et femmes – qui plébiscitent le blanc et le rosé, ce qui se fait au détriment du rouge qui a fait le succès du bordeaux en Chine.
La région se diversifie, mais vin blanc, rosé, clairet et crémant ne constituent encore ensemble que 15 % de la production totale (qui était de 4,9 millions hl en 2019). Accroître les surfaces de blanc, recruter les 30 et 40 ans sur le blanc et le rosé est une stratégie à mener. Depuis quelques années, le CIVB communique sur des vins frais. La promotion a d’abord été ciblée sur le rosé. Mais cette année, le blanc profite de campagnes aux États-Unis et en Norvège.
A. Sichel : mieux communiquer sur « les produits plaisir »
Pour retrouver une bonne dynamique en France comme à l’étranger, Allan Sichel affirme qu’il faut promouvoir « les produits plaisir », ce qui contribuera à réduire l’écart entre réalité et perception. L’image du bordeaux est trop négative et trop traditionnelle, selon lui. D’où l’importance de communiquer.
Par exemple, pour incarner le renouveau, une délégation de femmes s’est rendue début mars à New York, dans le cadre de l’opération Strong women, make big bordeaux bottles. Ces vigneronnes pendant une semaine ont pu rencontrer consommateurs et professionnels en présentant dans quelque 70 restaurants tendances leur offre de jéroboam (bouteilles de 3 litres).
Dans un contexte de modération croissante de la consommation de vin, les occasions informelles et les apéritifs se multiplient. Les repas se déstructurent. Ces tendances qui ne sont pas nouvelles doivent, elles aussi, être mieux intégrées de la vigne au chai. Pour autant, la culture française a encore un bel avenir. Ainsi, boire pendant les repas demeure central dans certains pays comme la Chine. Ce qui n’a, toutefois, pas suffi à maintenir le vin tricolore à l’abri des aléas de conjoncture et de la concurrence croissante sur ce marché asiatique.
La Chine, premier client devant les Etats-Unis
De fait, sur fonds de ralentissement économique et concurrencé par les produits du Chili et de l’Australie, deux pays qui bénéficient d’accords de libre échange, bordeaux en Chine a vu ses exportations reculer de 18 % en volume à 421 000 hl et de 12 % en valeur à 573 millions d’euros en 2019.
L’ex-Empire du Milieu est, néanmoins resté le premier débouché extérieur de la région viticole française, devant les États-Unis, avec 196 000 hl (- 1 %) et 294 millions d’euros d’exportations (+ 5 %). En 2019, le marché britannique s’est bien tenu, qui absorbé le même volume que l’exercice précédent, soit 177 000 hl, correspondant à un chiffre d’affaires en hausse de 15 % à 265 millions d’euros.
La Belgique est demeurée le quatrième marché, avec 176 000 hl et 112 millions d’euros, ce qui correspondait à une baisse, tant en volume (- 3 %) qu’en valeur (- 6 %). On comprend l’inquiétude du CIVB, alors que bordeaux demeure leader des exportateurs français d’appellation d’origine protégée (AOP) outre-Quiévrain, avec 33 % des volumes et 40 % de la valeur. Non seulement les importations mondiales de vins ont baissé de 3 % en Belgique, mais les expéditions bordelaises y ont été pénalisées par une faible production en 2017 (3,5 millions hl).
Bruxelles, invité d’honneur de la Fête du vin
Bonne nouvelle pour le bordeaux, cette année du 18 au 21 juin, la capitale du Royaume sera l’invitée de Bordeaux fête le vin. Avec Bruxelles, sera mise au cœur de cette biennale la relation entre gastronomie et vin. Outre l’ouverture d’un dialogue entre viticulteurs et consommateurs, c’est encore « le moment pour propulser la marque puissante qu’est bordeaux à l’international », s’est félicité Stephan Delaux.
En Allemagne, alors que l’insuffisante récolte de 2017avait nui aux ventes de bordeaux en 2018, la quantité de produits a rebondi en 2019 de 5 % à 155 000 hl pour un chiffre d’affaires en diminution, en revanche, de 6 % à 113 millions d’euros. Par contre, bordeaux a su profiter de l’accord de libre-échange en vigueur entre l’Union européenne et le Japon pour accroître ses exportations dans ce pays de 8 % en volume à 152 000 hl et de 7 % en valeur à 121 millions d’euros.
Se démarquer en misant sur la RSE
La compétition est, certes, ardue et plus acharnée que par le passé. Mais bordeaux sait aussi ajouter des cordes à son arc. Un atout indéniable de bordeaux dans le monde, selon Allan Sichel, est sa volonté d’être « en adéquation avec les évolutions sociales, c’est-à-dire la responsabilité sociale des entreprises (RSE), le bio, la réduction des produits chimiques, le respect de la société en général ». A ce jour, 65 % des surfaces bordelaises, contre 35 % en 2014, sont certifiées par une démarche environnementale, dont 25 à 30 % en haute valeur environnementale (HVE) et 10 % en bio (déjà certifié ou en cours).
« Nous avons l’ambition d’embarquer toutes les entreprises de la filière dans la RSE », a prévenu Bernard Farges. Le CIVB est ainsi à l’initiative de l’association SME (Système de management environnemental), organisation unique en France réunissant 900 entreprises.
Depuis un an, un groupe pilote d’une trentaine de sociétés travaille sur la RSE. Pour des entreprises, dans le cadre de leurs stratégies, la responsabilité sociale peut être un axe de différenciation.
François Pargny