Dans l’univers des salons professionnels, l’expansion du coronavirus venu de Chine entraîne une succession d’annulations et de reports, ébranlant tous ses acteurs.
C’est vrai en Asie, avec, par exemple, Vinexpo Hong Kong, qui, comme il avait été anticipé lors de Vinexpo Paris et de Wine Paris, se déroulera finalement entre le 8 et 10 juillet. Mais c’est vrai aussi en Europe, en particulier en France et en Allemagne, pays qui abrite les deux tiers des salons professionnels leaders mondiaux de leurs spécialités, d’après la Fédération allemande des foires et salons (Auma).
En France, interdiction des manifestations de plus de 5000 personnes
Ainsi, dans l’Hexagone, les foires, salons, congrès, considérés depuis 2016 comme une filière à part entière, génèrent tous les ans des retombées économiques de l’ordre de 7,5 milliards d’euros, dont 5,5 milliards en Ile-de-France. Et le nombre d’emplois à la clé est de l’ordre de 300 000 s’agissant de l’ensemble de l’évènementiel. .
Le premier grand salon international à décider de reporter son édition 2020 à cause de l’épidémie de coronavirus Covid-19 a été le Marché international des professionnels de l’immobilier (Mipim), à Cannes. Organisateur du Mipim (26 800 participants), Reed Midem a reporté au 2-5 juin la manifestation, prévue initialement du 10 au 13 mars.
Mais les annonces se sont accélérées après les mesures prises lors du conseil des ministres exceptionnel, le 29 février, en particulier l’annulation de tous les rassemblements de plus de 5 000 personnes en milieu confiné et certains événements en extérieur (comme le semi-marathon de Paris du 1er mars).
GL Events, dans un communiqué en date du 3 mars, a annoncé que l’édition 2020 de Global Industrie (2 500 exposants, 45 000 visiteurs), initialement prévue du 31 mars au 3 avril, se déroulerait au Parc des Expositions Paris-Le Bourget du 9 au 12 juin.
Le lendemain, c’était au tour de Reed Exhibition France d’annoncer le report de la Semaine internationale du transport et de la logistique (SITL) initialement prévue les 17-20 mars au 16-19 juin à Paris Nord Villepinte. L’organisateur du SITL (30 000 participants) a justifié son choix par les « circonstances liées à l’épidémie de coronavirus Covid-19 » et « le contexte de la décision du gouvernement prise le 29 février 2020 relative aux manifestations en France pour lutter contre l’expansion de l’épidémie ».
En quelques jours, les reports se sont enchaînés, de Franchise Expo reporté au 24-27 mai à Paris Porte de Versailles, à Big Data Paris au Palais des Congrès, désormais programmé les 27 et 28 mai. E-marketing Paris et Stratégies Clients se tiendront plus tard dans l’année, du 7 au 9 juillet, Porte de Versailles, tandis que la 24e édition du Carrefour des fournisseurs de l’industrie agroalimentaire (CFIA) à Rennes, initialement prévu du 10 au 12 mars, aux 26-28 mai.
Le groupe Jec a dû encore décalé son salon des matériaux composites, Jec World, initialement programmé du 3 au 5 mars, au 12-14 mai. Dernier en date : le salon Vinomed, qui devait accueillir à Montpellier les 27-28 avril une importante délégation d’importateurs d’Asie-Pacifique, a été annulé pour cette année et se tiendra les 12 et 13 avril 2021.
En Allemagne, une industrie de dimension planétaire secouée
En Allemagne, l’épidémie de coronavirus Covid-19 secoue une industrie des salons à dimension planétaire. Les foires et salons Made in Germany comptent 60 % d’exposants et 30 % de visiteurs étrangers. Ce sont des moteurs essentiels de l’économie allemande.
Or, ce sont des professionnels de pays fortement touchés par le coronavirus qui forment les bataillons de participants et visiteurs internationaux aux grands rendez-vous allemands. En 2018, sur un total de 118 227 exposants, Chinois et Italiens arrivaient largement en tête des délégations étrangères, avec des chiffres respectifs de 17 509 et 13 633. Côté fréquentation, les Italiens se plaçaient encore en troisième position, derrière les Néerlandais (240 000 visiteurs) et les Autrichiens (210 000), avec 205 000 visiteurs, sur un total de 2,9 millions.
Selon l’Auma, les impacts des foires et salons sur l’économie nationale ont été évalués à 28 milliards d’euros par an pendant la période 2014-2017. Le chiffre d’affaires global des organisateurs se serait établi à 4 milliards euros sur cette période et les dépenses à 14,5 milliards, dont 9,6 milliards par les exposants, 4,7 milliards par les visiteurs et 0,2 milliard par les centres d’exposition.
Ajoutons le rôle social des foires et salons, qui assurent directement 231 000 emplois et auxquels il faut ajouter plus de 100 000 emplois générés par 58 000 entreprises opérant dans le secteur. Ces chiffres montrent l’enjeu pour une économie allemande à l’heure actuelle en panne et pour les différents länder auxquels sont liés, ainsi qu’aux municipalités, les grands organisateurs comme Messe Düsseldorf.
En dépit des assurances souscrites par les organisateurs, les reports qui se succèdent des plus grands salons mondiaux de Düsseldorf à Berlin, en passant par Francfort, Cologne ou Hanovre, sont donc une bien mauvaise nouvelle. Et pour les professionnels une très mauvaise affaire.
Des annulations et reports en cascade
Certes, toutes les manifestations ne seront pas reportées, soit que certaines se sont déjà tenues, soit que d’autres ne présentent pas de danger majeur parce qu’elles rassemblent un nombre relativement limité d’individus.
Ainsi, certaines manifestations sont pour l’instant maintenues, parce que leurs dates sont plus éloignées, à l’instar d’Interpack (emballage) et de la Drupa (industrie graphique et papetière) programmés respectivement en mai et juin à Düsseldorf. Reste que même pour ces grands rendez-vous, le risque d’une annulation/report n’est pas écarté tellement l’épidémie de coronavirus gagne de nouveaux territoires géographiques.
Les organisateurs de LogiMAT, le Salon international des solutions logistiques et des processus de gestion de Messe Stuttgart, ont ainsi dû jeter l’éponge le 4 mars, après avoir affirmé peu avant qu’il se tiendrait aux dates prévues, entre le 10 et 12 mars. Retardé d’un an, il se tiendra finalement du 9 au 11 mars 2021.
Messe Düsseldorf – 1,4 million de visiteurs, 29 200 exposants et un chiffre d’affaires de 369 millions d’euros en 2019 – a annoncé le report de plusieurs de ses blockbusters, annuels comme ProWein, ou biennaux comme Tube & Wire (notre photo). Mais aussi Beauty, Top Hair, Energy Storage. Une longue litanie de reports à laquelle se sont aussi résolues les autorités locales en se fondant sur les principes édictés par RKI.
Le premier leader mondial à annoncer son report (du 29 septembre au 2 octobre) a été à Francfort le Salon des technologies de l’éclairage et de la construction Light + Building. Une décision que Messe Frankfurt a pris en accord avec ses partenaires, l’Association centrale de l’industrie allemande de l’ingénierie électrique et électronique (ZVEI) et l’Association centrale des électriciens allemands (ZVEH). Avec aussi, semble-t-il, l’appui de leurs homologues italiens. Avec les Chinois, les Italiens sont traditionnellement les plus nombreux à Light + Building.
Des incertitudes sur les conséquences de ces reports
Reporter un salon n’assure pas son succès, même quand on est le meilleur dans sa catégorie. « On ne peut jamais savoir quelles conséquences peuvent avoir une telle décision », avance ainsi prudemment Michael Scherpe, président de Messe Frankfurt France.
Est-ce que les Chinois vont trouver un créneau, est-ce que les Français vont mettre ce salon à leur agenda ? Tout en restant mesuré, Michael Scherpe fait valoir les avantages de Light + Building, notamment sa dimension mondiale sans équivalent et sa périodicité : le fait d’être une biennale rendrait l’évènement d’autant plus incontournable.
Tube & Wire est dans le même cas de figure : il s’agit d’une biennale. En outre, ce qui peut paraître paradoxal au premier abord, la conjoncture économique n’est pas très favorable aux professionnels de ce secteur, ce qui rendrait d’autant plus indispensable d’exposer et de visiter ces salons.
Il y a d’abord l’épée de Damoclès américaine sur l’automobile allemande et le ralentissement de l’activité industrielle outre-Rhin. Mais aussi le ralentissement économique chinois. Or, si les fabricants de tubes célébraient un record mondial de 172,5 millions de tonnes de tuyaux en acier en 2018, les Chinois pèsent plus de la moitié de la production mondiale de tubes en acier. L’Association allemande du fil de fer et du fil d’acier (ESV) s’inquiète encore du départ du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE).
L’intervention du gouvernement fédéral
D’autres salons phares en Allemagne ont été reportés, à l’instar d’Eisenwarenmesse (outillage, quincaillerie) à Cologne et ITB (tourisme) à Berlin. Le cas d’ITB est intéressant, parce les autorités ont semblé un moment hésiter et surtout le gouvernement fédéral est monté au créneau.
Dans un premier temps, les organisateurs ont voulu maintenir le plus grand salon sectoriel, avec plus de 160 000 visiteurs et 10 000 exposants de 180 pays aux dates prévues, entre le 4 et 8 mars.
Cette décision a été critiquée par le ministre fédéral de l’Intérieur, Horst Seehofer, qui a déclaré, à titre personnel, que ce n’était pas une bonne idée que la tenue du salon. Son collègue de la Santé, Jens Spahn, semblait à ce moment moins catégorique. C’est finalement l’équipe de crise mise en place par le gouvernement fédéral sur l’épidémie de coronavirus qui a été à été à l’origine de l’annulation du Salon international du tourisme (ITB).
La Foire de Hanovre reportée, le salon de l’eau Ifat menacé
Associée à l’extension de l’épidémie dans le monde, la pression qui monte outre-Rhin explique sans doute que l’organisateur Deutsche Messe AG ait anticipé l’annonce, prévue à l’origine mi-mars, de sa décision concernant la Foire internationale de Hanovre.
De fait, le 4 mars, le report de la grande messe annuelle de l’industrie planétaire était annoncé, les organisateurs expliquant que l’Autorité sanitaire de la région de Hanovre les avait fortement incités à suivre les conseils de RKI. La foire industrielle géante de Hanovre se tiendra ainsi dans quelques mois du 13 au 17 juillet.
Les jours qui viennent vont être cruciaux, car les organisateurs en Allemagne vont devoir se prononcer sur d’autres mastodontes, tel qu’Ifat, plus grand salon international de l’eau, du traitement, des déchets et des matières premières, prévu du 4 au 8 mai à Munich.
« Il n’y a pas d’annulation, ce qui est très important pour nous », indiquait, il y a quinze jours à Paris, le directeur d’Ifat, Philipp Einsenmann. Sur un total de 3 310 exposants, une centaine de Chinois seraient inscrits.
Si les professionnels chinois ne pouvaient pas se déplacer, Messe München pourrait notamment puiser dans une liste d’attente bien fournie. Reste à savoir si l’évolution de l’épidémie de coronavirus Covid-19 permettra au salon d’ouvrir. Si sa progression n’était pas stoppée, voire si elle se propageait, l’Ifat serait aussi condamné.
François Pargny