Le Royaume-Uni vient de griller la politesse par deux fois à l’Union européenne (UE). Ces derniers jours, Londres a conclu coup sur coup des compromis commerciaux avec l’Inde puis les États-Unis de Trump, deux partenaires avec qui l’UE est aussi en négociations. Mais quelle est la portée de ces accords ? Le point dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
Le document commun de cinq pages publié jeudi dernier [8 mai] peut difficilement être qualifié d’accord commercial : « ce document ne constitue pas un accord engageant juridiquement », précise d’ailleurs le texte qui prévoit que les deux parties continueront de discuter pour « développer et formaliser » les différents éléments évoqués avec plus ou moins de détails.
Le Royaume-Uni peut néanmoins se féliciter d’être le premier pays à avancer vers un traitement relativement favorable de la part de Washington depuis le choc protectionniste du 2 avril, et l’annonce des droits de douanes dits « réciproques » que Donald Trump a ensuite mis sur pause pour 90 jours. Ce, alors que l’Union européenne (UE), qualifiée lundi [12 mai ] par le président américain d’« encore plus mauvaise que la Chine », semble pour sa part loin d’arracher un accord, malgré de multiples tentatives de négocier.
De nombreux point d’interrogation subsistent
En acceptant d’abaisser les droits de douane britanniques de 5,1 à 1,8 %, Londres a essentiellement obtenu la suppression des tarifs sectoriels américains sur l’acier et l’aluminium, et la diminution de 27,5 à 10 % de ceux sur l’automobile [mais dans le cadre d’un quota de 100 000 véhicules par an].
Pour le reste, les États-Unis maintiendront les droits généralisés « réciproques » à hauteur de 10 %, contre 3,4 % appliqués aux exportations britanniques avant le 2 avril.
À y regarder de plus près, de nombreux points d’interrogation subsistent, en particulier pour les producteurs d’acier et d’aluminium, à qui M. Starmer, le Premier ministre britannique, a promis le « zéro tarif », quand les barrières sectorielles dressées en mars dernier par le président américain s’élevaient à 25 %. UK Steel, le principal lobby industriel outre-Manche, se demande notamment si cette concession s’appliquera à l’acier contenu dans des produits intermédiaires, comme les pièces automobiles et autres composants industriels.
De même, la promesse états-unienne inscrite dans le texte d’accorder à l’industrie pharmaceutique britannique un traitement « significativement préférentiel » dès lors que Washington appliquera à l’avenir des droits de douane mondiaux sur le secteur, reste floue.
Exclure les composants chinois
D’ailleurs, dans ces deux industries – métallurgique et pharmaceutique – Londres s’est engagé à « travailler afin de répondre rapidement aux exigences américaines » en matière de sécurité des chaînes d’approvisionnements et de « propriété des sites de production pertinents ». Si les détails font défaut, il semble que Washington cherche ainsi à exclure les composants chinois des chaînes d’approvisionnement stratégiques du Royaume-Uni. Les États-Unis entendraient imposer de telles « exigences » aux autres partenaires internationaux avec qui ils négocient.
Des clarifications sont enfin attendues du côté de l’aéronautique, où le gouvernement britannique a assuré que « tous les composants du Royaume-Uni » seraient absous de tarifs, bien que le secteur ne soit pas mentionné dans le document.
Enfin, en matière d’agriculture, en dépit de certaines ouvertures de son marché au bœuf et à l’éthanol américains (dans le cadre de quotas), Londres semble avoir résisté aux velléités de libéralisation des États-Unis, dont les produits sont loin de respecter les mêmes normes sanitaires et phytosanitaires.
Avec l’Inde, un vrai accord commercial
Quelques jours plus tôt, le mardi 6 mai, c’était cette fois bien un accord de libre-échange en bonne et due forme que le Royaume-Uni avait conclu avec l’Inde, après trois ans de négociations. Les deux parties ont indiqué que le commerce bilatéral entre la 6ème et la 5ème économie mondiale pourrait doubler d’ici à 2030 avec, à long terme, une augmentation de 0,1% du PIB britannique annuel, selon le gouvernement.
Aux termes de l’accord, les très hauts tarifs indiens vont être abaissés (plus ou moins, et au cours d’une période de transition de 10 ans) sur 90 % des exportations britanniques, à commencer par les produits cosmétiques, les vêtements, et les produits alimentaires.
Les producteurs britanniques de whisky et de gin font partie des grands gagnants. Tout comme l’industrie automobile, pour laquelle les droits de douanes indiens seront réduits de 100 % à 10 %. Le constructeur indien Tata Motors, qui possède au Royaume-Uni Jaguar Land Rover, a en particulier de quoi se frotter les mains.
Reste que cette réduction massive se limitera à un quota de véhicules qui reste à déterminer. De plus, le secteur automobile en Inde s’inquiète d’une ouverture à la concurrence des voitures chinoises, qui pourraient être envoyées dans le pays via le Royaume-Uni.
New Delhi a pour sa part obtenu une suppression totale des droits de douane britanniques (initialement beaucoup moins élevés) sur 99 % des exportations indiennes. Une opportunité très bienvenue pour le pays de réorienter certaines de ses exportations éconduites du marché américain, comme les pierres précieuses et les bijoux, le textile, les chaussures ou encore les jouets.
L’accord semble autrement moins ambitieux du côté des services, où les très compétitives entreprises britanniques dans le conseil, la comptabilité ou la finance, lorgnaient un meilleur accès au marché indien.
Outre-Manche, c’est une disposition spécifique de l’accord qui a le plus fait parler : celle d’exempter de charges sociales sur trois ans les employés indiens travaillant temporairement au Royaume-Uni pour des entreprises indiennes. La droite s’est élevée afin de dénoncer un appel d’air pour l’immigration et une concurrence déloyale au détriment des travailleurs britanniques. En réalité, seuls 110 000 Indiens devraient être concernés par cette mesure, qui devrait priver l’État de 100 à 200 millions de livres de recettes fiscales par an.