Le pessimisme gagne les entreprises exportatrices dans le monde, selon la dernière étude « Global Survey 2022 » d’Allianz Trade, effectuée auprès de 3000 entreprises européennes, américaines et chinoises. L’inquiétude sur leurs perspectives d’activité à l’international monte en flèche : prix de l’énergie, tensions géopolitiques, perturbations et hausse des coûts des supply chain, remontée des risques d’impayés, font partie des principaux risques qu’ils citent.
La guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie le 24 février dernier, est venu doucher les espoirs d’embellie post-Covid des exportateurs américains, chinois et européens (Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie) selon le sondage annuel effectué par Allianz Trade*.
Regain de pessimisme sur les perspectives de chiffre d’affaires export
D’après les résultats, dévoilés par Allianz Trade le 12 avril, la part des répondants prévoyant une hausse de leur chiffre d’affaires à l’export en 2022 est passée de 94 % juste avant le déclenchement du conflit, à 78 % après, soit une chute de 16 points.
Avant cette invasion, l’optimisme dominait largement, sur la lancée d’une année 2021 marquée par une forte reprise : 7 entreprises sur 10 en moyenne déclaraient avoir enregistré des performances à l’export plus élevées que prévues, avec les meilleurs scores obtenus aux Etats-Unis (75 % de réponses), l’Allemagne (76 %) et la France (72 %).
2022 s’annonçaient sous les meilleurs auspices : elles étaient au total 94 % à attendre une hausse de leur chiffre d’affaires export, avec les entreprises les plus optimistes en France et en Italie (97 %). C’était avant la guerre en Ukraine.
Depuis, l’inquiétude est montée en flèche, particulièrement chez les Italiens et les Français : ils sont à présent respectivement 29 % (+26 points !) et 23 % (+20 points !) à attendre une baisse de leur chiffre d’affaires à l’export en 2022, contre à peine 3 % des répondant avant le 24 février.
Des effets négatifs indirects de la guerre
« Même si l’Ukraine et la Russie ne sont pas des marchés finaux clés pour les exportateurs européens, la situation actuelle affecte les échanges internationaux via des canaux indirects (supply chain, matières premières, énergies), et pèse ainsi sur les opportunités export des entreprises », commente Françoise Huang, Économiste Senior en charge du commerce mondial chez Allianz Trade.
L’assureur-crédit a pour sa part récemment révisé à la baisse ses prévisions de croissance économique mondiale pour 2022 et 2023 à respectivement + 3,3 % et + 2,8 %, avec un taux d’inflation en hausse (à 6 %). Le commerce mondial ne progresserait pas plus de 4 % cette année. L’OMC vient de publier des prévisions plus pessimistes encore, tablant sur une croissance de 3 % des échanges mondiaux cette année (au lieu de 4,7 % précédemment), avec une marge de manoeuvre de 0,5 à 5,5 % !
En cas d’escalade dans la guerre en Ukraine, cette conjoncture pourrait encore se détériorer : « dans ce cas, qui impliquerait des sanctions et contre-sanctions encore plus dures, l’inflation mondiale pourrait atteindre 7% en 2022, et la croissance économique se limiter à +2,5%, avant une entrée en récession de l’économie mondiale en 2023 (-0,3%) », précise Ana Boata, directrice de la Recherche Économique d’Allianz Trade.
Les prix de l’énergie, risque numéro 1
Quels sont les risques les plus importants aux yeux des exportateurs interrogés ?
En 2021, bien qu’ils aient connu une belle reprise, ils ont dû faire face à des risques qui n’ont pas disparu en ce début d’année 2022 : incertitude sur l’évolution de la demande du fait de la Covid-19 (cité par 40 %), prix élevés de l’énergie (35 %), pénuries et coût de la main d’œuvre (35 %), coût du transport (33 %) et pénuries d’intrants (30 %). En France, les trois risques les plus cités pour 2021 sont l’incertitude sur la demande (35 %), les pénuries et le coût de la main d’œuvre (33 %) et les prix élevés de l’énergie (32 %).
Les prix de l’énergie resteront un point très sensible pour 2022. Déjà considérés comme un sujet d’inquiétude avant la guerre en Ukraine (cité par 37 % en moyenne des répondants, avec un pic à 46 % pour les Italiens, suivis par les Américains 38 % et les Français 37 %), ils arrivent en tête après le déclenchement de l’invasion russe. Ainsi, 56 % des répondants estiment désormais que les prix de l’énergie seront un défi encore plus important en 2022.
Les exportateurs les plus inquiets sont originaires des pays les plus dépendants des importations de gaz : l’Italie (66 %), le Royaume-Uni (62 %) et l’Allemagne (52 %). Concernant les Français, si leur proportion progresse, ils sont moins nombreux, 46 % de répondants, à s’inquiéter. Pour Allianz Trade, c’est un reflet de « la mise en place par le gouvernement du Plan Résilience », un programme de soutien à l’économie qui a succédé au plan de relance et qui prévoit diverses mesures d’aides financières aux entreprises.
Inquiétude sur les supply chain et les prix
D’autres facteurs de risques déjà présents en 2021 persistent ou s’amplifient : les tensions géopolitiques, la persistance des problèmes de transport, les perturbations des supply chain amplifiées par le regain de la pandémie en Asie, et particulièrement en Chine ces dernières semaine (avec notamment le confinement de Shanghai), la hausse des coûts des intrants.
Selon l’étude Allianz Trade, les risques de ruptures d’approvisionnement et la hausse des coûts des intrants inquiètent particulièrement les Européens, étant cités par 57 % des Italiens, 47 % des Britanniques et 38 % des Français.
Remontée des risques d’impayés
Dans ce contexte également, les risques d’impayés à l’export remontent.
Déjà en 2021, les impayés ont eu un impact sur l’activité export d’environ 60 % des entreprises interrogées, et plus particulièrement pour les entreprises françaises (66 %), chinoises (65 %) et américaines (58 %). De plus, 50 % des répondants ont observés un allongement des délais de paiement, une proportion qui monte à 62 % pour les exportateurs français.
En 2022, pour Allianz Trade, le risque d’impayés restera « un vrai sujet pour les exportateurs ». Rappelons que l’assureur-crédit prévoit une augmentation des défaillances d’entreprises de près de 10 % dans le monde (après un recul de – 12 % en 2021), une prévision toutefois un peu moins élevé que celle publiée en octobre dernier (+ 15 %). La perception des entreprises exportatrices semble être sur la même tendance.
Depuis l’invasion de l’Ukraine, plus de la moitié des répondants s’attendent ainsi à une résurgence du risque d’impayés (contre un tiers environ avant la guerre), et 40 % s’attendent à un allongement des délais de paiement. En France, la proportion est de 49 % pour la hausse du risque d’impayés et 33 % pour l’allongement des délais de paiement
La hausse des risques d’impayés pourrait être favorisée par la hausse des coûts du crédit. Nombreux sont ceux qui anticipent une hausse des coûts de financement, dans le contexte de la hausse des taux d’Intérêt : ce risque est cité par 47 % des répondants. Pour financer leur croissance cette année, la trésorerie est la principale source de financement citée par les exportateurs (53 %), devant les prêts bancaires (49 %) et le crédit fournisseur (36 %). En France, arrivent en tête les prêts bancaires (52 %), la trésorerie (49 %) et le soutien étatique (35 %).
L’année 2022 s’annonce donc plus compliquée que prévue pour les exportateurs.
Christine Gilguy
*Cette année, cette enquête auprès d’environ 3000 entreprises a été effectuée en deux étapes pour prendre en compte l’évolution récente des tensions géopolitiques : avant et après le déclenchement de la guerre en Ukraine.