Intervenant lors de l’événement BIG (BPI Inno Génération), le 6 octobre, Frédéric Berner, directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie française en Allemagne (CCI France Allemagne), a confirmé que les dirigeants de nombreuses PME et ETI allemandes sont à vendre ou en quête de solutions de reprise. Pour lui, les PME françaises ont une carte à jouer pour saisir ces opportunités de se renforcer outre-Rhin. Il en a dit plus au Moci.
Le Moci. On voit plus fréquemment qu’avant des cas d’acquisition de PME et ETI allemandes, notamment issues du fameux Mittelstand, par des PME ou ETI françaises. Confirmez-vous cette tendance ?
Frédéric Berner. Oui. Statistiquement, ce ne sont pas des volumes énormes, mais cette tendance est visible depuis 4 à 5ans. Il s’agit souvent de PME ou ETI françaises qui ont déjà développé leur business en Allemagne et qui ont atteint un plateau, soit parce qu’elles n’arrivent pas à faire grandir leur filiale, ont un problème de recrutement, soit parce qu’elles ont atteint une certaine part de marché qu’elles ont des difficultés à dépasser.
Certaines de ces entreprises agissent par opportunité : lorsqu’elles apprennent qu’un concurrent ou une entreprise proche est à vendre, elles décident de l’acquérir parce qu’elles considèrent que c’est le meilleur moyen de passer la vitesse supérieure. D’autres travaillent sur le marché allemand depuis la France, et se disent que pour continuer à y croître, il faut augmenter leur empreinte locale.
Et quand on cible des entreprises allemandes, qu’on définit le portrait-robot idéal et qu’on les approche, une sur quatre a une oreille attentive.
Le Moci. Vous dites aussi que ces entreprises allemandes en quête de solution de reprise sont souvent familiales, avec des racines profondes, et l’aspect proximité des repreneurs est un argument qui peut les convaincre. Les Français sont-ils bien placés ?
Frédéric Berner. On ne peut pas le nier, l’option favorisée en Allemagne c’est la transmission familiale. En 2020, ce sont 46 % des entreprises en phase de session qui sont restées entre des mains familiales. Le réflexe de l’atavisme allemand est ancré. Mais premièrement, ils n’ont pas toujours une descendance qui peut où qui veut reprendre l’affaire, et deuxièmement, il y a une façon de valoriser l’entreprise peut être un peu meilleure quand on fait appel à un tiers externe qui voit en l’entreprise rachetée aussi bien une porte d’entrée sur le marché.
On constate que les investisseurs étrangers les plus actifs dans l’ordre décroissant sur le territoire allemand ce sont les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine. Pour la Chine c’est souvent de l’investissement stratégique, pas comme on l’entend habituellement, mais plutôt pour prélever du savoir-faire. Pour les Américains et les Britanniques, c’est souvent de l’investissement financier pur. Et l’entreprise française, elle, est perçue comme un investisseur stratégique qui va investir dans la société rachetée, qui va s’en servir, qui va donc là pérenniser. Et cela plaît en Allemagne.
Kardham « avait envie
d’être maître de son destin en Allemagne »
Le Moci. Des secteurs sont-ils plus particulièrement concernés par cette vague ?
Frédéric Berner. Le phénomène touche tous les secteurs. En revanche, dans la relation franco-allemande, les projets que la Chambre accompagne sont davantage dans le domaine industriel. Nos acquéreurs français voient dans ces opérations pas seulement le fait d’acheter un cheval de Troie pour servir le marché allemand et tous les marchés exports à travers cette acquisition ; ils voient aussi l’intérêt technique, technologique, de se rapprocher enfin d’acquérir un savoir-faire, une compétence, une corde supplémentaire à leur arc.
Le Moci. Un exemple de ce type d’opération ?
Frédéric Berner. J’ai un bon exemple qui confirme ce que je viens de vous indiquer : c’est l’entreprise HEF, spécialiste du traitement de surface à Saint Etienne, qu’on a accompagné y a 2 ans dans l’acquisition d’une entreprise en Allemagne. Une opération vraiment win-win, de celle qui font que 1+1 dépasse 2. Les deux entreprises évoluaient en effet sur les mêmes marchés mais avec chacune des spécificités et de belles complémentarités.
J’ai un autre exemple en tête plus récent avec le groupe Kardham, spécialisé dans l’architecture d’intérieur et l’aménagement des espaces professionnels, que nous avons accompagné l’an dernier pour l’acquisition d’une société d’ingénierie architecturale de 25 personnes basée au nord de Francfort. Kardham a franchi ce pas après avoir longtemps travailler avec un partenaire allemand, mais avec le sentiment que ce dernier attendait plus de recevoir du business que d’en donner. Il avait envie d’être maître de son destin en Allemagne et pour cela, il fallait avoir une implantation locale, dans les services c’est incontournable.
Le Moci. Pour la Chambre, cet accompagnement dans des acquisition est-elle une activité en croissance ?
Frédéric Berner. Nous sommes un petit acteur sur ce marché. Nous avons dû faire notre premier accompagnement dans ce domaine il y a 15 ans mais c’est une tendance qui s’est amplifiée ces 5 dernières années. Nous faisons chaque année une vingtaine d’opérations d’accompagnement en matière de création de filiales françaises et, désormais, nous initions 5 à 7 dossiers de projets d’acquisition. A notre échelle, le phénomène est devenu très significatif.
Le Moci. Le facteur principal est donc le vieillissement des dirigeants d’entreprises en Allemagne…
Frédéric Berner. C’est un facteur clé dans ce phénomène de transmission, et il y a une certaine urgence car ces entreprises risquent de mourir si elles ne trouvent pas une seconde vie. Je rappelle que selon les statistiques de la KfW, c’est plus d’1 million d’entreprises toutes catégories qui doivent changer de mains d’ici 2030, et bien sûr cela inclut les commerces et activités de proximité. Dans l’industrie, on n’est pas sur de tels volumes mais cela illustre la tendance. Et 12 % environ des dirigeants en quête de transmission disent qu’ils ne trouvent pas d’acquéreur et qu’ils vont devoir fermer.
Propos recueillis par
Christine Gilguy