Plébiscitées par les entreprises et les consommateurs, les plateformes de vente en ligne multi-vendeurs connaissent un succès retentissant depuis le début de la crise sanitaire. Si elles permettent de booster les ventes transfrontalières, la question de la TVA est toujours complexe pour les vendeurs, souligne une étude du fournisseur de logiciels fiscaux Vertex.
Attirer de nouveaux clients et partir à l’international, telles sont les deux grandes possibilités qu’offrent les marketplaces selon le sondage réalisé par Vertex auprès de quelque 500 opérateurs et vendeurs du monde entier. 87 % des vendeurs y puisent une augmentation de leur chiffre d’affaires, 57 % les utilisent pour atteindre un public plus large et 48 % pour exploiter les opportunités de vente transfrontalières.
Du côté des opérateurs de marketplaces comme des vendeurs, la fiscalité est au cœur des préoccupations : la majorité des premiers disent peiner à gérer les obligations fiscales et les facturations complexes tandis que les seconds ont du mal à savoir où, à qui et quand ils doivent payer des taxes. 45 % des vendeurs estiment que les plateformes devraient mieux les soutenir dans la gestion de la fiscalité liée à l’e-commerce, alors que 56 % des opérateurs interrogés prennent en charge ces questions.
L’e-commerce transfrontalier requiert pourtant une bonne maîtrise de la fiscalité (identification de l’autorité fiscale compétente, calcul des droits de douane, de la TVA ou équivalent…). « Même lorsqu’il existe une normalisation dans une région quant à la manière dont les règles de fiscalité indirecte sont appliquées, les exigences en matière de facturation peuvent encore varier d’un pays à l’autre (par exemple au sein de l’UE) », constate Vertex.
L’e-commerce transfrontalier a créé un mille-feuille fiscal
Consciente du mille-feuille fiscal que peut représenter un panier d’articles sur une marketplace et de l’ampleur de la fraude à la TVA en Europe, la Commission européenne a mis en place un « paquet TVA e-commerce » entrée en vigueur le 1er juillet 2021. Tant que les particuliers et les entreprises achetaient en ligne des marchandises dans leurs propres pays, les règles fiscales restaient simples, mais l’essor de l’e-commerce transfrontalier, notamment via les marketplaces, a rebattu les cartes.
Plus précisément, la pratique du dropshipping (ou « livraison directe »), mal encadrée sur le plan juridique, a démultiplié les cas de fraude à la TVA qui atteint aujourd’hui en France plusieurs milliards d’euros par an. Il s’agit de la vente d’un produit par une entreprise d’un pays tiers à un client d’un pays de l’Union européenne via une place de marché qui ne se charge que de la commercialisation et de la vente, et n’est pas fiscalement impliquée.
Avantage du dropshipping : il a permis à des entreprises de goûter à l’e-commerce transfrontalier à moindre frais puisqu’elles n’ont pas de stock ou d’opérations logistiques à gérer.
Mais deux changements majeurs sont entrés en vigueur le 1er juillet 2021 dans les règles régissant la TVA sur l’e-commerce entre États membres. Le seuil de déclenchement de la taxation dans l’État membre de livraison, due par le vendeur, a été fixé à 10 000 euros de chiffre d’affaires annuel afin de favoriser le développement des PME. Lorsque le commerçant ne dépasse pas ce seuil, il peut continuer à facturer selon les règles de son pays. Auparavant, ce seuil variait d’un État à l’autre, oscillant entre 35 000 et 100 000 euros.
Mise en place de guichets uniques
Autre changement : la levée de l’exonération de TVA appliquée jusqu’ici aux biens d’une valeur inférieure à 22 euros, importés dans l’Union européenne par des entreprises de pays tiers. Certaines sociétés établies en dehors de l’UE profitaient en effet du système en vendant certains produits, notamment électroniques (comme des smartphones par exemple), sous des étiquettes faussées indiquant un prix inférieur à 22 euros alors que le coût réel était bien plus élevé.
Ces ventes sont désormais toutes taxables à la TVA et celle-ci peut être collectée par le vendeur ou la plateforme auprès de l’acheteur au moment de la vente en ligne grâce au guichet unique à l’importation ou import one-stop shop (IOSS) lorsqu’elles n’excèdent pas 150 euros.
Cette réforme a en effet été accompagnée de la création d’un one-stop-shop (OSS), un guichet unique qui permet d’étendre la déclaration et le paiement de la TVA pour les ventes à distance intracommunautaires de biens et à l’ensemble des prestations de services pour lesquelles la TVA est due dans un autre État membre de l’UE.
Une nouvelle directive en cours de préparation à Bruxelles
Toujours dans l’objectif de lutter contre la fraude à la TVA et d’adapter cet impôt indirect au développement de l’économie numérique, la Commission européenne a dévoilée le 8 décembre dernier un nouveau projet de directive baptisé ViDA (VAT in the Digital Age, la TVA à l’ère du numérique). Parmi les mesures actuellement en discussion à Bruxelles, figure l’obligation du recours au nouveau guichet IOSS pour les plateformes facilitant la vente de biens importés de pays tiers. Surtout, à terme, les marketplaces deviendraient responsables de la collecte et du versement de la TVA du fournisseur du bien et ce qu’il soit établi dans un Etat membre de l’UE ou non.
Enfin, dès 2028, les entreprises seraient tenues d’établir des factures électroniques pour leurs flux de biens et de services intracommunautaires. Les données de chaque facture, transaction par transaction, seraient alors transférées aux autorités fiscales et mises à dispositions des pays membres (digital reporting requirements).
Bref, si Bruxelles semble bien décidé à mettre bon ordre dans la jungle fiscale de l’e-commerce et mettre fin aux fraudes, il y encore loin de la coupe aux lèvres.
Sophie Creusillet