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Zones de libre-échange : un foisonnement d’accords

Le mot jungle n’est pas exagéré lorsqu’on évoque le foisonnement des accords de libre-échange (ALE) dans le monde. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) – qui entretient une base de données sur les accords qui lui sont notifiés par ses membres – recense actuellement 319 accords commerciaux en vigueur impliquant deux pays et plus (sans compter les « arrangements commerciaux préférentiels », qui sont des préférences commerciales unilatérales). L’OMC, pour les différencier des traités multilatéraux ayant une vocation mondiale, les appelle « accords commerciaux régionaux » (ACR). Parmi ces ACR, environ les deux tiers sont des ALE bilatéraux, une douzaine des zones de libre-échange (ZLE, associant plus de deux pays) et 22 des accords d’union douanière. L’union douanière est – l’Union européenne en est un exemple –, le degré le plus achevé d’intégration économique et commerciale puisque les pays membres ont un tarif douanier extérieur commun.

Tous ces accords se chevauchent et s’enchevêtrent, de sorte qu’il est difficile de s’y retrouver. Actuellement, il n’existe pas un seul pays qui n’est pas impliqué dans un accord de libre-échange, bilatéral ou multilatéral. Ces accords couvrent environ 35 % du commerce international de marchandises si l’on inclut les échanges intra-UE, 16 % si on les exclut. Le tableau page suivante, réalisé avec le concours de notre partenaire GTA-GTIS, montre à quel point les zones de libre-échange (en l’occurrence quatre des principales) tendent à capter une part croissante des flux de leurs membres. Avec la constitution de véritables « blocs » commerciaux.
Ils ont un impact d’autant plus réel sur l’environnement commercial, réglementaire et douanier dans lequel opèrent les entreprises qu’ils contiennent des clauses de préférences tarifaires et des clauses antidumping (application de surtaxes sur les produits importés dont le prix serait en dessous des coûts de revient).
 
En outre, ils tendent, lorsqu’ils impliquent des nations ayant déjà des liens commerciaux anciens (l’UE et Singapour, par exemple), à élargir leur champ aux services, aux investissements, à la propriété intellectuelle, pour ne citer que ces domaines. Quelques exemples. Concernant l’accord entre l’UE et la Corée du Sud, entré en vigueur le 1er juillet 2011, les exportations totales de l’UE vers la Corée du Sud ont progressé de 16,7 % en 2011 (après + 30 % en 2010) alors que celles de la Corée du Sud vers l’UE reculaient de 7,9 % (après + 21,5 %). Mais les constructeurs automobiles européens sont sur le pied de guerre, prêts à déclencher la clause de sauvegarde sur le secteur prévue à l’accord : les importations de véhicules coréens seraient en train d’exploser dans certains pays membres comme le Royaume-Uni depuis début 2012.
 
Sur un autre volet, une clause de l’ALE UE-Corée du Sud concerne l’ensemble des exportateurs européens : ceux possédant le certificat européen d’Exportateur agréé (délivré par les Douanes nationales sur des critères touchant à la qualité d’organisation, de sécurité et de gestion des déclarations douanières des demandeurs) bénéficient de la part de la douane coréenne d’un régime très simplifié pour exporter vers le pays. Autre exemple : lorsque le Brésil a annoncé, début juin dernier, une augmentation de 55 % de ses droits de douane sur une centaine de produits pour protéger son industrie, les pays membres du MERCOSUR, dont il fait partie, en ont été exemptés.
Notons enfin que l’ASEAN, qui a généré un vaste accord de libre-échange, l’AFTA (ASEAN Free Trade Agreement), est en train de se doter, sur financement américain, d’une plateforme électronique visant à simplifier et à réduire les délais des formalités douanières entre ses membres, utilisant une technologie française (voir le témoignage d’Axway).
  
Ne pas intégrer ces données dans une stratégie, notamment quand se pose le choix d’une implantation ou d’un pays de sourcing, devient source de risques. « Il faut s’astreindre à une veille permanente, mais aussi réfléchir aux bénéfices qu’il est possible de tirer de la constitution de blocs commerciaux », témoigne Thierry Apoteker, économiste et dirigeant du cabinet conseil TAC (voir entretien). Un exemple que la Douane française rappelle souvent : en vertu d’un ALE UE-Cambodge, importer dans l’UE des vis en acier inoxydable ne vous 
coûtera que 3,7 % en droits de douane si celles-ci proviennent du Cambodge. Vous paierez ces 3,7 % de droits plus une taxe antidumping de 11,4 à 27,4 % si elles viennent de Chine…

Avec l’enlisement des négociations multilatérales à l’OMC pour la libéralisation du commerce (cycle de Doha), les grandes puissances commerciales ont relancé leur politique d’accords de libre-échange. L’UE est en négociation officielle avec le Canada, l’Inde et l’Ukraine, mais elle discute aussi avec le Japon, le MERCOSUR, le Mexique et, faute d’accord avec l’ASEAN, certains de ses pays membres (Malaisie, Singapour, Vietnam…). Les États-Unis tentent de leur côté de pousser un grand accord transpacifique après avoir échoué avec leur Zone de libre-échange des Amériques il y a quelques années (projet qui devait associer 34 pays, pour l’instant réduit à une demi-douzaine).
 
Le Japon s’active auprès de l’ASEAN : il a lancé en 2006 le programme Comprehensive Economic Partnership for East Asia, initiative visant l’établissement d’une zone de libre-échange intégrée entre l’ASEAN, le Japon, la Chine, la Corée, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La Chine, qui a un accord d’association avec l’ASEAN (comme le Japon) est par ailleurs en négociation avec la Norvège, la Suisse et l’Australie…

Championne en matière d’accords, l’UE, première des ZLE, a signé pas moins de 33 accords notifiés à l’OMC. Certains pays cumulent les accords : le Chili a signé pas moins de 22 ALE (dont un avec l’ALENA), la Turquie 19 (dont un avec l’UE et un avec l’AELE) et l’Ukraine 14. Les États-Unis, membres de l’ALENA/ NAFTA, en ont 13 à leur actif, à égalité avec le Japon, et la Chine, 10. 
Les zones de libre-échange, nouvelles frontières de la mondialisation ? On ne croit pas si bien dire. En tenir compte pour optimiser sa stratégie internationale est un nouveau terrain de connaissance et de savoir-faire qui peut faire la différence quand la concurrence fait rage.

Christine Gilguy, avec Sophie Creusillet, François Pargny et Jean-François Tournoud

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