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3e vérité : l’impossible Airbus du rail

Pourquoi l’industrie ferroviaire française n’arrive-t-elle pas, à l’image de l’aéronautique, à décoller à l’international ? Concurrence asiatique croissante, absence de coopération européenne, l’avenir ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices.

En anglais, on dit Railbus, en français, Airbus du rail. Ce nom qui se cherche est celui d’un problème mal posé… qui recouvre des questions bien réelles. Si l’expression ne le dit pas en toutes lettres, ce qu’on entend par Airbus du rail, c’est un train à grande vitesse. Sans doute parce que la modernité ferroviaire à la française est liée au TGV. 

Ce produit phare ne s’est pas énormément vendu : en Corée, en Espagne. Il a aussi conquis, sous des formes adaptées, grâce à des sociétés dominées par la SNCF, l’Angleterre (Eurostar), la Belgique et les Pays-Bas (Thalys), la Suisse (Lyria). Il a même abordé l’Allemagne (Thalys, TGV Est). Le bilan n’est pas négligeable. Mais ces acquis ne datent pas d’hier et, dans les compétitions récentes, les échecs sont patents. 

Les Chinois ont acquis les technologies des trains à grande vitesse de Siemens, de Bombardier ou de Kawasaki. En 2011, les Saoudiens ont choisi contre le TGV le Talgo espagnol. Avant même de construire leurs lignes nouvelles, les Russes ont donné l’avantage à Siemens qui a fourni huit rames à grande vitesse destinées aux lignes classiques Moscou – Saint-Pétersbourg et Moscou – Nijni-Novgorod. Le TGV à deux niveaux qui donne pleine et entière satisfaction à la SNCF ne s’est pas exporté. L’AGV qu’Alstom a par la suite développé seul n’a trouvé jusqu’à présent qu’un seul preneur, l’exploitant italien privé NTV, avec 25 rames. Et Eurostar, dans un récent appel d’offres, a préféré Siemens à Alstom.

Alors que l’exportation est en berne, des menaces venues d’Asie s’accumulent. Les Japonais d’Hitachi ont vendu 29 rames aux Britanniques pour la desserte du Kent. Commande qui doit être suivie d’une autre, de rames différentes, au même constructeur. Pas des trains à très grande vitesse, mais des trains rapides. Pourquoi pas ? Mais, en retour, le marché japonais est quasiment bouclé à double tour. Quant aux Chinois, forts des technologies acquises, et malgré le très grave accident de Wenzhou (40 morts en 2011), ils ont l’intention de devenir des acteurs majeurs dans le monde. 

La grande vitesse ne doit pourtant pas cacher la forêt. Elle ne représente que 7 % du marché mondial du ferroviaire. De quoi, selon l’humeur, en faire une vitrine ou la réduire à un marché de niche. De toute façon, le gros des troupes n’est pas là. 

Aussi le choix d’Alstom – qui a en fait hérité de la politique de la SNCF – de faire un train à grande vitesse assez à part dans l’ensemble de ces produits a-t-il été récemment contesté par le Conseil d’analyse stratégique. Le CAS a souligné, par contraste, la pertinence de l’approche allemande, qui a mis l’accent sur la gamme dite Velaro, plus aisément déclinable selon les pays. 

Car le drame du ferroviaire, ce sont les petites séries. Pour élargir celles-ci, ou du moins augmenter la part de « communalité » des éléments, mieux vaut raisonner en termes de gamme. Il n’y a qu’à, dira-t-on, profiter du marché unique européen, pour mieux amortir les coûts de R&D ou de fabrication. Problème : ce marché n’existe pas. L’avion a été d’emblée conçu comme international et l’est resté. Le train a été rêvé comme tel à ses débuts, mais, très vite, au XIXe siècle, les nationalismes européens se sont figés en regrettables particularismes nationaux. Les progrès techniques (électrification, signalisation) ont été l’occasion de s’affirmer de plus en plus et de se parler de moins en moins. Aujourd’hui, les industriels et les fonctionnaires bruxellois tentent de débrouiller l’écheveau. On progresse, mais lentement. Le déploiement de la signalisation européenne ERTMS est un casse-tête technique. Qui plus est, les Allemands renâclent et les Français traînent les pieds. 

La structuration d’une industrie ferroviaire allemande forte autour de Siemens, et celle d’une industrie ferroviaire française plus faible autour d’Alstom ne facilitent pas les échanges. « Un de mes grands regrets est que nous n’ayons pas réussi à marier Alstom et Siemens pour faire un grand groupe européen », nous confiait Jacques Barrot en marge de sa première interview comme commissaire européen chargé des transports, en 2004. Les deux grands groupes ne sont aujourd’hui pas plus qu’hier dans une logique de coopération. Ils dépendent largement de deux donneurs d’ordres, SNCF et Deutsche Bahn, qui sont concurrents sur tous les marchés, ce qui n’arrange rien. L’émiettement technique de l’espace européen ne donne guère l’occasion de progresser. L’Airbus du rail n’est pas près de prendre son essor. Dans ces conditions peu favorables, le marché français du ferroviaire ne se porte pas mal, et dégage un excédent commercial de 1 milliard d’euros, pour un chiffre d’affaires annuel de 5 milliards. 

François Dumont
Directeur des rédactions La Vie du Rail et VRT

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