fbpx

La filière bovine française se cherche une stratégie export

L’évolution récente du marché mondial ouvre des opportunités aux éleveurs des pays européens. Dans ce contexte très favorable, la filière bovine française gagne des parts de marché, mais peine à définir une véritable stratégie. 

« La mutation très rapide du marché mondial est une belle opportunité », affirmait Dominique Langlois, président d’Interbev (Association nationale interprofessionelle du bétail et des viandes), lors d’un colloque qui s’est tenu le 6 octobre à Clermont-Ferrand, dans le cadre du 20e Sommet de l’élevage. 

Mais la filière doit aller plus loin. D’où l’intitulé de ce colloque : « L’export : une stratégie et non une opportunité». Son objectif : sensibiliser les acteurs de la filière bovine à la nécessité de s’organiser pour tirer parti, à l’export, de l’évolution favorable des échanges internationaux. 

« Dans les années 1990, la France était un grand pays exportateur, mais elle a perdu cette place avec la fin des soutiens européens et l’arrivée de nouveaux acteurs », rappelle Dominique Langlois. Sans oublier la crise de l’ESB, dite « de la vache folle » qui a fermé de nombreux marchés aux produits bovins européens. « Pourquoi cette filière fortement exportatrice ne participerait-elle pas au rééquilibrage de la balance commerciale? », interroge de son côté Bertrand Oudin, consultant du Cabinet Blézat. 

Selon Interbev, le marché mondial des bovins vifs (maigres ou finis) et de la viande bovine (fraîche ou congelée) « a été bouleversé en moins de six mois : les prix de l’offre des pays européens sont redevenus compétitifs par rapport à la concurrence d’Amérique du Sud, les négociations s’intensifient pour réviser positivement les conditions sanitaires et rouvrir des marchés importants ». En effet, les négociations menées par la Direction 
générale de l’alimentation (DGAL) ont abouti à la levée de « l’embargo ESB » par de nombreux pays. Toutefois, plusieurs marchés importants – dont la Chine, le Japon, les États-Unis, l’Iran et la Syrie – maintiennent cette barrière. Mais, sur le long terme, la tendance est à l’accroissement des échanges mondiaux de bovins. Selon Bertrand Oudin, les importations nettes, toutes zones confondues, devraient passer de 5,1 millions de tonnes en 2010 à 6,7 millions de tonnes en 2020 et 7,9 millions en 2025. 

Dans ce contexte, la France peut-elle gagner des parts de ce marché ? L’exemple des importations libanaises d’animaux finis, cité par Yves Tregaro, membre du Service économique de France Agrimer, est emblématique de la rapidité des repo- sitionnements. Dès la suppression des soutiens de l’Union européenne aux exportations, en 2005, les pays d’Amérique du Sud se sont jetés sur certains marchés. Exemple : au Liban, entre 2004 et 2006, les ventes du Brésil sont passées de quelques dizaines de milliers de têtes à plus de 250 000. Les importations 
libanaises étaient alors à leur apogée et le Brésil était devenu le fournisseur quasiexclusif du pays. Ce qu’il demeura jusqu’en 2009. Un an plus tard, les Européens fournissaient plus de la moitié des 140 000 têtes importées par le Liban, avec une part prépondérante de la France (40 000 têtes). Certains trouvent ce retour des bovins français de bon augure, d’autres insistent sur la volatilité du marché libanais. Une tendance de fond explique en partie ce retrait du Brésil : la hausse des prix en Amérique du Sud. 

« Entre août 2005 et juin 2011, le prix de la tonne de viande au départ de l’Uruguay est passé de 2,5 à 7 dollars », cite Yves Tregaro. La tendance est identique en Argentine et au Brésil. Pourtant, selon Bertrand Oudin, ce dernier pays reste une « puissance mondiale des exportations bovines qui devrait inonder le monde. 

Mais en est-il capable ? » A 9 millions de tonnes, il dispose d’une capacité d’abattage six fois plus importante que celle de la France, dont 20 % sont vendues dans 80 à 90 pays par des entreprises de taille mondiale. Mais « les symptômes sont contradictoires »: recul de l’abattage de 4 % en huit mois, parité du real brésilien en hausse et concurrence plus forte entre productions animales et productions végétales (notamment le soja destiné à 
l’export). La filière française a-t-elle les moyens de profiter de « cette fenêtre de tir » et des opportunités offertes par certaines zones pour les animaux finis et la viande : notamment Europe, sud de la Méditerranée et Moyen-Orient ? « Dans ce contexte international aux évolutions rapides et changeantes, il est difficile de construire une stratégie », reconnaît Yves Tregaro, qui dresse le tableau de la situation française : réduction du troupeau de 
bovins; déséquilibre entre la typologie de la production et celle de la consommation intérieure d’où la nécessité d’importer; ventes d’animaux finis très fluctuantes; part très importante des exportations vers des pays « qui tous- 
sent » : Italie (60 %), Grèce et Espagne. 

Pour répondre aux besoins de zones dont la croissance est plus forte que celle de ses marchés historiques, la France, berceau de races à viande reconnues mondialement et premier naisseur d’Europe, est, selon Bertrand Oudin, handicapée par l’histoire de sa filière : « Un marché domestique et une zone de production puissants mais l’absence de nécessité de diversifier ses filières et un modèle de cueillette basé sur des races régionales. » 

Or, les exportations sont indispensables au maintien de ses capacités de production. La France doit donc travailler sur sa compétitivité, revoir les stratégies de filière et les modes de production et réguler les flux domestiques. « À l’export, il est dangereux de se contenter d’opportunités : il faut cibler des marchés, proposer du milieu de gamme et trouver des instruments de couverture et de régulation contre la volatilité (instruments monétaires, diversification de pays) », prévient Bertrand Oudin. La définition de cette stratégie fait partie des missions du groupement pour l’export français (GEF) Viande, bétail et génétique récemment créé par l’interprofession, qui a pour le moment encore du mal à fédérer tous les acteurs de la filière autour de cette cause.

Sans compter que des incertitudes, indépendantes de la filière, pèsent sur sa capacité à conquérir de nouveaux marchés. Notamment la future politique agricole commune de l’Union européenne. En outre, certains s’inquiètent des conséquences que l’ouverture vers des marchés extérieurs pourrait avoir sur l’équilibre des marchés domestiques européens : « La distribution refuse de payer nos produits à leur valeur alors que des pays tels que le Liban et la Turquie sont capables de payer plus », regrette Javier Lopez, directeur de l’Asoprovac (Espagne). « Si on ne prend pas en compte les coûts de production, on va s’effondrer en France et en Europe », renchérit un représentant des agriculteurs français, Pierre Chevalier, président de la Fédération nationale bovine. 

Sylvie Jolivet, à Clermont-Ferrand 

Dernière édition

Bienvenue !

Connectez-vous

Créer un compte

Merci de compléter le formulaire

Réinitialisez votre mot de passe

Veuillez saisir votre nom d'utilisateur ou votre adresse e-mail pour réinitialiser votre mot de passe.