Au regard des récentes statistiques publiées en février par le Fonds monétaire international (FMI), on pourrait assister à un « miracle économique » au Gabon : la diversification, si souvent annoncée du temps de l’ancien président Omar Bongo (décédé en mai 2009), serait possible dans cet Émirat africain, dont le pétrole a représenté plus de 88 % des exportations globales en 2012 et plus de 57 % des revenus, selon le FMI.
La volonté affichée par le successeur et fils aîné d’Omar Bongo, Ali Bongo Ondimba, annoncerait-elle une ère nouvelle ? « Depuis 2011, nous observons un frémissement dans les affaires », répond avec enthousiasme Arthur Nganie, le directeur général de Maboumine, une entreprise de la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog/ groupe Eramet), deuxième producteur mondial de manganèse à haute teneur (15 % du marché), qui se diversifie.
Ali Bongo a été élu le 30 août 2009. Moins de neuf mois après, son gouvernement interdisait l’exportation de grumes de bois. « Ce fut comme un électrochoc », se souvient François Parmantier, le directeur du bureau de l’Agence française de développement (AFD) à Libreville.
En juillet 2012, l’équipe au pouvoir publiait le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE), un document de quelque 150 pages, présentant la « vision » d’un pays à l’horizon 2025, qui transforme ses ressources primaires, secondaires et tertiaires. Dans la première déclinaison du PSGE, le Gabon vert, le petit pays d’Afrique centrale (moins de 1,6 million d’habitants) devient « un leader mondial du bois tropical certifié, porté par une industrie innovante ».
Le gouvernement n’a pas hésité à s’imposer, comme lorsque la Caisse des dépôts et consignations a acquis une participation de 35 % dans Rougier Afrique International, filiale du groupe Rougier active dans le bassin du Congo. Une opération qui intervenait juste un an après le renforcement de la participation de l’État dans le capital de Comilog.
Poussé à s’industrialiser, Rougier Gabon vient de s’ouvrir les marchés anglo-saxons, en obtenant à la fin de l’année dernière la certification internationale BS 108 Lloyd’s Register Type Approval pour son usine de fabrication de contreplaqués à Owendo.
Deuxième priorité du Gabon vert, l’agriculture. En particulier, entre Lambaréné et Tchibanga au sud, et entre Bitam et Medouneu au nord le long de la frontière avec la Guinée Equatoriale, en passant par Oyem et Mitzic. Le gouvernement veut développer l’hévéaculture, le palmier à huile, la canne à sucre, le café et le cacao. S’y ajoute aussi une zone au sud-est, près de Franceville, où un pôle agricole de 65 000 hectares pourrait accueillir des investisseurs internationaux bénéficiant d’avantages, comme une exonération fiscale pendant dix ans et la liberté de rapatriement des capitaux.
Les deux groupes étrangers les plus investis à l’heure actuelle sont les Belges de Siat dans l’élevage, l’hévéa et le palmier à huile et les Singapouriens d’Olam, présents de longue date dans le bois, qui se développent aujourd’hui également dans l’hévéaculture et le palmier à huile. La confiance est un élément essentiel. Ces investisseurs s’engagent, en effet, sur une longue durée. « Nous commencerons à produire de l’huile de palme vers 2015 et nos hévéas ne seront pas arrivés à maturité avant sept ans », confiait ainsi au Moci, le 29 janvier, Gagan Gupta, directeur général d’Olam Gabon SA.
Troisième volet du Gabon vert, la valorisation des ressources halieutiques. À la mi-février, le gouvernement a annoncé avoir conclu un PPP (partenariat public-privé), d’un montant global de 100 millions d’euros à terme, avec le groupe mauricien Ireland Blyth Ltd (IBL), visant à créer ou moderniser des usines de pêche au Gabon. Le contrat, avec un investissement initial de 25 millions, prévoit que 60 % du financement sera apporté par IBL et 40 % par le FGIS (Fonds gabonais d’investissements stratégiques). Placé au cœur de la stratégie de diversification économique, le FGIS utilise les recettes pétrolières (environ 10 %) logées dans le Fond souverain de la république gabonaise (FSRG), autrefois intitulé Fonds souverain pour les générations futures.
Pour développer la pêche, le gouvernement prévoit quatre grands ports – trois le long de l’Atlantique (Mayumba, Libreville, Port Gentil) et un ouvrage fluvial (Lambaréné) – complété par un pôle de transformation et d’exportation de produits halieutiques à valeur ajoutée au nord de Port Gentil, dans la Zone économique spéciale (ZES) de l’île de Mandji. Dépendant directement de la présidence de la République, la ZES est une zone franche qui doit abriter toute une série d’industries de transformation, contribuant à la réalisation de la deuxième déclinaison du PSGE, le Gabon industriel. Le projet le plus avancé à l’heure actuelle est l’usine GFC (Gabon Fertiliser Company), à laquelle Olam participe à hauteur de 62,9 %, avec l’indien Tata (25,1 %) et la République gabonaise (12 %). Cette unité de fabrication d’engrais serait opérationnelle « fin 2015 – premier trimestre 2016 », selon Gagan Gupta.
Le gouvernement prévoit aussi d’implanter à Mandji un complexe de transformation du fer, appelé Gabon Steel. Dans sa volonté d’industrialiser le pays, l’Etat a déjà invité Comilog à utiliser au mieux le manganèse de la mine de Moanda pour produire des alliages et développer une filière sidérurgique. Dans le pétrole, le gouvernement, qui compte sur les compagnies pétrolières pour l’exploration en eau profonde, a aussi créé son propre bras armé dans la filière, en août 2011 : la Gabon Oil Company (GOC), qui a exporté ses premiers barils le 24 décembre dernier. Jusqu’à présent, aucune entreprise française n’a marqué son intérêt pour la zone franche de Mandji, au grand dam du coordinateur très francophile du projet, Salomon Olympio. Les Français n’ont pas plus d’appétit pour l’autre grande Zone économique spéciale, établie à 27 kilomètres à l’est de Libreville, à Nkok, cette fois-ci gérée par Olam Gabon dans le cadre d’un PPP. Pourtant, 65 entreprises de 13 pays (Inde, Chine, Malaisie, Singapour, Etats-Unis, Bénin…), ont déjà « signé pour s’implanter sur place pour un investissement dépassant 1,8 milliard de dollars » dans « le bois, le câblage électrique, le traitement des déchets de fer et la production de chaussures ou de plastique », se réjouit Gagan Gupta.
Dernier volet du PSGE, le Gabon des services. Le secteur le plus porteur est le tourisme (lire dans les secteurs porteurs page 39). Il y a un mois, l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) a ainsi accordé une concession au groupe mauricien SFM Safari pour la conservation des parcs de Loango et Pongara. Déclinée en Gabon vert, Gabon industriel et Gabon des services, la « vision 2025 » peut, cependant, être contrariée si la production d’or noir décline, comme le prévoit le FMI. Elle baisserait progressivement à partir de 2018, selon certaines compagnies pétrolières implantées sur place, qui se montrent aussi sceptiques quant aux chances de découvertes en eau profonde. Privé d’une partie de ses recettes, comment le Gabon pourrait-il alors financer son vaste programme ? Le temps presse.
De notre envoyé spécial François Pargny
Chiffres clés
Superficie : 267 670 km²
Population : 1,6 million d’habitants
Produit intérieur brut (milliard de francs CFA) : 9,527 en 2012, 10,32 en 2013, 12,856 en 2017
Croissance économique (%) : 6,1 en 2012, 5,9 en 2013, 6,8 en 2014, 6,9 en 2015, 7,1 en 2016, 7,5 en 2017
Inflation : 3 % par an de 2012 à 2017
Exportations de marchandises (milliard de dollars) : 9,93 en 2012 10,5 en 2013, 9,7 en 2017
Importations de marchandises (milliard de dollars) : 3,5 en 2012, 3,8 en 2013, 4,4 en 2017
Sources : autorités gabonaises, FMI