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Entreprises : comment s’intégrer dans un environnement difficile

Les petites sociétés qui réussissent au Congo font souvent preuve d’une ténacité à toute épreuve. Leurs fondateurs, Franco-Congolais ou indépendants français, préfèrent souvent s’autofinancer pour maîtriser leur développement, s’adapter au contexte local, former, embaucher.

Dans le rapport Doing business de la Banque mondiale 2014, le Congo est classé 184e sur un total de 189 États. « Ce classement montre qu’au Congo l’environnement des affaires n’est pas optimal », commente prudemment Sylvie Dossou, représentante résident de la Banque mondiale. Les autorités nationales ont promis de réagir, à la grande satisfaction des investisseurs de toutes nationalités, en lançant en janvier l’Agence pour la promotion des investissements (API), qui a bénéficié de l’expertise du Board of Investment de l’Ile Maurice, un organisme réputé pour son efficacité. « Les investisseurs nationaux et expatriés nous répètent souvent que notre fiscalité n’est pas bonne pour le développement de leurs affaires. C’est pour corriger cette situation, diversifier notre économie et limiter la dépendance vis-à-vis du pétrole que nous avons lancé l’API », explique, pour sa part, Jean PindaNiangoula, directeur général de la Promotion du secteur privé.
 
Officiellement les investissements privés locaux et étrangers ne représentent que 5 % du produit intérieur brut (PIB). Au sein de l’Union interprofessionnelle et patronale du Congo (Unicongo), les grandes entreprises sont plutôt françaises que congolaises. D’où la volonté d’amener la diaspora à investir dans leur pays d’origine. C’est le cas de cinq femmes franco-congolaises « revenues au pays » pour créer Adra, la première société de remorquage. Ce sont souvent, hors grands secteurs (pétrole, mines, bois), des indépendants qui investissent au Congo, à l’instar encore d’EVM dans le bâtiment et Guihur dans la formation. Les petites entreprises, « pour ne pas être pieds et poings liés », font souvent le choix de s’autofinancer. Guihur maîtrise ainsi son développement. Une indépendance financière qui semble lui réussir, alors que son fondateur, Martial Guihur, est seul Français sur place. Ses huit collaborateurs résident, en effet, dans l’Hexagone. Aujourd’hui, Martial Guihur envisage de recruter des Congolais.


ADRA :
des femmes qui forcent le respect dans le remorquage

« Pour réussir il faut avoir des ambitions, car rien ne tombe du ciel », lâche d’une voix presque enrouée Lynelle Mbobi, 37 ans, qui tient, à Brazzaville, la principale agence de l’entreprise ADRA (Assistance dépannage remorquage automobile).

ADRA est venue briser un mythe car au Congo le métier de dépanneur et remorqueur était exclusivement réservé aux hommes. Cette société, au capital déclaré de 1 million de FCFA (1 524 euros) en 2011, a la particularité d’avoir été créée par cinq femmes franco-congolaises, qui ont d’abord travaillé en France dans le secteur de l’assurance, comme comptables ou encore infirmières.

« Nous sommes au XXIe siècle, donc les mentalités doivent changer. On parle partout d’émergence et, à mon avis, l’émergence c’est aussi avoir une ouverture d’esprit », raconte Lynelle pour justifier son engagement et celui de ses quatre consœurs. ADRA est sur un terrain qu’elle occupe toute seule, sans concurrent : le Congo ne dispose pas d’autre entreprise faisant le même travail.

L’idée de la monter un tel business est partie de loin. Elle a commencé à germer en France dès 2010, au sortir d’un salon de dépannage à Saint-Étienne où les responsables d’ADRA ont été les seules femmes à participer. « Ca nous a pris deux ans entre le fait de rêver et celui de réaliser notre projet. Pendant ces deux ans, on a fait beaucoup d’aller-retour entre Paris et Brazzaville. On s’est beaucoup documenté », se souvient encore Lynelle qui partage désormais sa vie de femme entrepreneur et celle de jeune mère. Son premier garçon vient d’avoir juste 19 mois.

ADRA a démarré effectivement en 2012 après une année de démarches qui ont permis son enregistrement au registre du commerce. Les cinq « patronnes » ont tout investi sur fonds propres et affirment avoir récupéré tout leur investissement à ce jour. Invitée à commenter le climat des affaires au Congo, un pays qui aspire à son émergence en 2025, Lynelle Mbobi, qui a passé toute sa jeunesse en France, répond par un large sourire. « On ne peut pas se plaindre. Comme tout entrepreneur on rêverait que ça décolle tout de suite. Mais, les choses se font petit à petit. Quand on s’installe au Congo, il ne faut pas se dire que ça va être facile. C’est un grand challenge… »

ADRA a démarré avec une dépanneuse. Son parc automobile a été quelque peu renforcé avec deux dépanneuses-remorqueuses à Brazzaville et deux autres qui sont installées à Pointe-Noire. Tous ces engins sont importés de l’Italie. Compte tenu de l’immensité de la tâche, et persuadée qu’un accident ne prévient pas, la société travaille tous les jours 24 heures sur 24.

ADRA emploie trois chauffeurs formés par ses cinq responsables. Dans un pays où le Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est de 90 000 FCFA (137 euros), un chauffeur à ADRA perçoit un salaire brut de 150 000 FCFA (228 euros), sans compter des primes de travail de nuit.

« Compte tenu de tout ce que nous comptons faire, nous avançons avec comme perspective notamment d’embaucher. Mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs parce que dans une entreprise il faut savoir combiner les charges et les investissements futurs », indique Lynelle Mbobi avec prudence. Dès ses débuts, ADRA a eu la chance de signer un contrat avec la société nationale des Assurances et réassurances du Congo (ARC), placée sous la tutelle du ministère des Finances. Elle travaille également en partenariat avec les garages de la CFAO (Compagnie française d’Afrique occidentale), la société Tractafric ou encore le groupe panafricain d’assurances NSIA.

Des particuliers la consultent de façon ponctuelle pour dégager des moyens roulants (de luxe, des occasions d’Europe, de Dubaï…) accidentés ou simplement abandonnés qui jonchent les voies urbaines et même les routes régionales. La police, le Bureau central des accidents (BCA) et l’Unité de circulation routière (UCR) ont ainsi trouvé en ADRA un partenaire indispensable.

 

EVM : une société qui se diversifie tous azimuts

Dans un restaurant du centre-ville de Brazzaville, tenu par un Français, où Le Moci est allé à sa rencontre, Daniel Leclerc-Roux, directeur général et propriétaire de l’entreprise dénommée Établissement Village Monde (EVM), nous a parlé du business sans langue de bois.

Ce consultant spécialisé dans le développement durable a monté sa société depuis deux ans et demi, ce qui ne l’empêche pas de se développer dans d’autres activités comme le BTP et l’agriculture. « Le seul secret de ma réussite c’est l’autofinancement. On n’a jamais connu l’emprunt. L’autofinancement ! C’est quelque chose qui donne une force à l’entreprise », assure-t-il.
 
Du coup, EVM a pu même monter une menuiserie pour réaliser des charpentes, des meubles, des portes, des fenêtres, des sciages, des rabotages à la demande. « Plus généralement nous réalisons des constructions, des rénovations et aussi des chantiers publics, notamment tout ce qui est béton armé, autour des voiries, des assainissements », et les principaux clients sont des grandes entreprises et des multinationales. « Je suis au Congo et j’y reste », déclare Daniel Leclerc-Roux qui affirme toutefois que, vu l’environnement des affaires, « le business au Congo est un vrai challenge. C’est un énorme engagement de s’installer au Congo ».

« S’il m’était permis d’inviter un businessman du Canada, des États-Unis ou du Japon à venir s’installer au Congo, je lui conseillerai beaucoup d’ouverture d’esprit, un véritable engagement, de la détermination. Il doit être un véritable entrepreneur, c’est-à-dire qu’ici on rencontre des obstacles mais il y a toujours des solutions. Je lui demanderai également de la patience », raconte le consultant français. Il emploie dans EVM, en temps de fortes activités, quelque 220 salariés de diverses nationalités : en majorité des Congolais, auxquels il faut ajouter des techniciens camerounais, des Maliens et des Français. Pendant un an et demi cet entrepreneur a fait un passage dans le domaine agricole. Sa ferme de Louingui dans le Pool (sud), région voisine de Brazzaville, a atteint au meilleur moment d’activités 100 000 pieds de tomates, 50 000 de poivrons, de milliers d’aubergines, de choux, de carottes, navets, oignons… « Il y a quelques mois j’ai décidé d’arrêter cette activité parce que je me sentais un peu seul surtout au niveau du management et de la coordination de la ferme. Ca demandait énormément de présence », se justifie l’entrepreneur. À la question de savoir si le Congo pourrait bien réaliser son rêve de devenir émergent à l’horizon 2025, Daniel Leclerc-Roux répond sans détour « qu’en tant qu’entrepreneur je vois bien la quantité de chantiers et d’engagement de la part de l’État pour moderniser. De toutes les façons, je vois que c’est dans le bon sens ».

 

Guihur : Former, conseiller, transmettre les codes culturels

« Pour l’anecdote, en breton mon nom signifie : Le guide, celui qui montre le chemin ! Ce n’est pas toujours facile, mais je m’évertue à montrer le bon chemin », raconte, sourire aux lèvres, Martial Guihur, fondateur de la société Guihur et associés, spécialisée dans la formation et le conseil.

Détenteur d’une maîtrise de droit des affaires (option droit international), obtenu en 1992 à Paris, ce Breton de 44 ans est venu pour la première fois au Congo, « pour tâter le terrain », en 2009. Depuis janvier, il a décidé de s’y installer pour diverses raisons. Pour lui, les pays occidentaux sont arrivés à maturité dans leur développement économique et l’Afrique est le continent où tout reste à faire.
 
Son goût prononcé de la culture, notamment de la rumba dansée sur les deux rives du fleuve Congo, est aussi à mettre à l’actif de son désir de faire des prestations sur le continent africain. « Les besoins en formation sont énormes au Congo et en Afrique en général. Les opportunités sont réelles. On a une population jeune, qui a soif de connaissances », explique Martial Guihur, qui évolue dans un pays où la Banque mondiale estime qu’au moins 25 % des jeunes sortant de l’école ne possèdent pas de formation qualifiée. Son travail au quotidien consiste à prospecter en direct le top management, à rencontrer des professionnels, à dresser un état des besoins en formation et à développer les compétences des entreprises.

Grâce à la société Guihur et associés, les PME de l’Hexagone basées au Congo, avec pour partie du personnel local et français, acquièrent la connaissance des codes culturels français et congolais. « Ceci pour aider le Congo à se développer tout en respectant les codes culturels locaux », indique Martial Guihur.
Selon lui, le Congo peut améliorer son climat des affaires, jugé difficile et peu favorable par des investisseurs. Comparant le développement économique du Congo aux voisins comme le Cameroun et le Gabon, il estime que ces deux derniers États sont plus avancés.

Le fait que la France soit reconnue ou considérée comme le premier partenaire économique et financier du Congo ne donne aucun avantage aux PME françaises ayant pignon sur rue à Brazzaville, poursuit-il. « L’avantage appartient à ceux qui œuvrent au quotidien sur le terrain, quelle que soit la nationalité », affirme Martial Guihur.

Laudes Martial Mbon

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