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La Suisse veut la France comme partenaire technologique

Dans la recherche, l’innovation, les technologies, l’alliance entre la France et la Suisse va bon train et touche le transport ferroviaire, l’énergie, mais aussi l’espace, l’aéronautique ou le numérique. Depuis le récent déplacement en République helvétique du président Hollande, Berne et Paris veulent développer les techniques médicales et la bio santé. Laboratoires, pôles de compétitivité, universités, entreprises, tous sont mobilisés.

Il y a fort à parier que les élections fédérales du 18 octobre seront suivies de près sur tout le continent. Depuis la votation du 9 février 2014 « contre l’immigration massive », l’Union européenne (UE) menace de rompre toute une série d’accords avec la Suisse, si la loi est appliquée comme prévu le 9 février 2017. Un nouveau Conseil fédéral pourrait-il alors interroger à nouveau le peuple sur l’ouverture du pays aux étrangers ? Bien sûr, la question serait posée différemment, de façon à respecter sur la forme le premier vote, mais l’objectif serait bien de convaincre une population, qui n’a peut-être pas mesuré à l’époque toutes les conséquences d’une loi contre l’immigration de masse, de rétablir la libre circulation des personnes.

Vu de Paris ou de Bruxelles, ce serait le scénario rêvé. Une partie de la classe politique suisse y est également favorable, mais pas la totalité. En outre, les sept futurs conseillers fédéraux risquent d’être absorbés par un défi au moins aussi important et certainement plus urgent à régler : l’appréciation sensible du franc suisse par rapport à l’euro, laquelle mine la croissance de l’économie et la compétitivité de la République helvétique.

Dans un début d’année particulièrement périlleux pour la Confédération helvétique, s’il fallait retenir une bonne nouvelle, ce serait sans doute la fin de la brouille avec la France, depuis que le président Hollande a foulé le sol helvétique les 15 et 16 avril. C’était la première visite officielle d’un chef d’État français depuis Jacques Chirac, il y a 17 ans. Berne et Paris avaient pris soin de mettre entre parenthèses les questions qui fâchent, évasion fiscale et immigration européenne, bien que 167 000 Français résident de l’autre côté du lac de Genève et 150 000 sont des travailleurs frontaliers. C’est plutôt sur un point de convergence fort que les deux capitales ont insisté, en l’occurrence la coopération technologique.

Le 15 avril, François Hollande a pu ainsi découvrir, sur le campus de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), la navette autonome EZ 10, conçue par le français Ligier dans le cadre du projet européen Ciby Mobil 2. Un projet auquel a participé aussi le fabricant français de logiciels EasyMiles et l’assureur Axa, implanté dans le Quartier de l’innovation de l’EPFL, à l’instar d’autres champions mondiaux, comme PSA, Nestlé ou Logitech. Axa est intéressé par les questions de responsabilité en cas d’incident ou d’accident de la voiture autonome.

Outre ces grandes entreprises, le Quartier de l’innovation accueille des sociétés qu’il s’efforce de mettre en contact avec des laboratoires. L’EPFL aide ainsi à la création de 12 startups tous les ans, dont 25 % dans l’informatique, un autre quart dans les technologiques médicales, 20 % dans les techniques énergétiques, dans la même proportion dans les capteurs et 10 % dans la micromécanique. Deux mois après l’inauguration de l’EZ 10 par François Hollande, 4 850 passagers avaient fréquenté une des deux lignes de la voiture sans pilote. Et d’ores et déjà le village de Saint Sulpice, voisin de l’EPFL, a demandé à bénéficier de l’extension de ce moyen de locomotion. Le président français a aussi visité le spécialiste des souris et claviers Logitech, dont une partie du personnel est français. À l’EPFL, les Français sont partout. Ils composent ainsi le quart des étudiants et 16 % du corps enseignant. Le professeur Frédéric Kaplan a ainsi dirigé Venice Time Machine, un projet qui recrée la ville et son histoire avec des outils numériques.

La coopération technologique des deux côtés des Alpes est ancienne. Une centaine d’accords au total aurait été conclue. C’est pourquoi, lors du déplacement du chef d’État français, on avait pris soin de présenter le partenariat sous un nouveau visage, avec deux thèmes non traditionnels : la médecine technologique et la bio santé. « La Suisse, dont la population vieillit, a besoin de soins et d’un environnement technologique. Et elle a fait beaucoup d’efforts dans ce domaine depuis 20 ans, se développant notamment dans des niches, comme l’imagerie médicale low cost pour les marchés des pays en voie de développement, notamment en Afrique », relate Jérôme Pousin, attaché de coopération universitaire, scientifique et technologique à l’ambassade de France à Berne.

La Suisse, qui a programmé à 2034 l’arrêt total du nucléaire, a décidé de pousser les énergies renouvelables. À l’École polytechnique fédérale de Lausanne, les bâtiments sont chauffés et refroidis avec l’eau du lac. Les murs sont souvent couverts de panneaux solaires. Lors d’un voyage de presse sur la transition énergétique, organisé du 27 au 29 mai dernier par Swiss Business Hub (homologue suisse de Business France), Le Moci a rencontré Michael Graetzel, l’étonnant directeur du Laboratoire de photonique et interfaces (LIP), inventeur d’un nouveau type de cellule solaire à base de films d’oxyde nanocristallin, appelée cellule à pigment photosensible. Produites avec des matériaux à faible coût et déjà plus performantes que les cellules au silicium amorphe, les cellules Graetzel pourraient devenir dans les années à venir les plus performantes du marché.

En matière d’efficacité énergétique, Cofely, filiale d’Engie, et Bouygues Energie Services contribuent à l’achèvement d’un éco-quartier à Zurich. En matière d’efficacité énergétique, la Suisse a conçu son propre système de normes, appelé Minergie. Pour les entreprises françaises, il faut absolument s’y adapter. Avec ses standards, elle ne veut pas seulement mettre en avant la ou les performances. Il s’agit aussi d’apporter un certain confort aux citoyens en tenant compte de leurs conditions de vie.

Dans les énergies, particulièrement renouvelables, la Suisse et la France ont démontré une certaine complémentarité. C’est le cas du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et de Minatec (campus pour l’innovation dans les micro et nanotechnologies) à Grenoble, développeurs de grands programmes de recherche fondamentale, avec le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM), à Neuchâtel, orienté vers les technologies appliquées et spécialiste de la miniaturisation.

Par exemple, ces différents partenaires ont participé à la réalisation de satellites, en fournissant des caméras et des panneaux solaires d’alimentation électrique. « Dans le domaine de la coopération, l’espace et l’aéronautique figurent parmi les axes privilégiés », note Florence Dobelle, chef du Service économique à Berne. Ainsi, la compagnie publique Ruag et les sociétés privées fribourgeoises Meggitt et Apco Technologies participent à la construction de la fusée Ariane 6. On peut encore citer le cas des lanceurs de satellites orbitaux, associant Swiss Space Systems, l’Agence spatiale européenne, Dassault, Thales et Axa, ou Solar Impulse, le fameux avion solaire du Suisse Bertrand Piccard, auquel sont associés Dassault et Altran.

Dans l’aéronautique, Atos contribue à la sécurité aérienne suisse, Parrot, leader français des drones civils, a acquis la jeune pousse de l’EPFL Sensefly, spécialisée dans les drones civils professionnels. En outre, la France participera sans aucun doute à l’appel d’offres pour des avions de combat que l’Armée suisse a prévu de lancer en 2017.

Enfin, l’Office fédéral de l’aviation civile (Oface) voudrait renforcer sa flotte d’Eurocopter. Outre l’énergie, deux autres domaines peuvent être distingués : transport ferroviaire et numérique. Dans le rail, la SNCF développe la marque Lyria, avec pour ambition de l’arrimer à ses deux autres grands réseaux paneuropéens, Eurostar et Thalys. Alstom, qui, de son côté, a déjà fourni des équipements à l’unique réseau de métro suisse à Lausanne, devrait être candidat pour la ligne 3, alors que l’appel d’offres est en cours de préparation.

Enfin, Thales et Alcatel Lucent, déjà présents dans la signalisation électronique, figurent dans un consortium pour le nouveau tunnel ferroviaire du Saint Gothard, devant ouvrir en décembre 2016. Le distributeur d’électricité suisse Alpiq, détenu à hauteur de 25 % par EDF, y est aussi associé. Dans le numérique, le savoir-faire français dans la cyberadministration intéresse les Suisses. Dans la silver économie, intégrant e-santé et e-sécurité, Business France a organisé en 2014 un forum de l’innovation à Zurich et aujourd’hui c’est le canton du Tessin qui voudrait développer une coopération avec la France dans les domaines de la mode, du luxe et du numérique.

De grands noms de l’Hexagone sont également actifs : Cap Gemini, Atos, Ubisoft, Neopost. Qui n’a pas non plus entendu parler du rachat par l’homme d’affaires Xavier Niel d’Orange Suisse, devenu Salt ? Les pôles de compétitivité sont également dynamiques, comme Plastipolis dans la plasturgie à Oyonnax. Depuis 1985, des cantons de Berne, Vaud, Neuchâtel, du Jura ont mis en place avec la Région de Franche-Comté la Communauté de travail du Jura (CTJ). Avec les fonds de l’initiative européenne Interreg, les différentes parties ont pu échanger, développer des projets, notamment dans le tourisme et l’horlogerie, mais aussi des collaborations dans les domaines scientifiques : moteurs électriques pour véhicules écologiques, matériaux couches minces, supers réseaux métalliques.

Les 27 et 28 mai derniers, à Yverdon, s’est tenu le quatrième atelier Innovarc, centré sur les technologies propres, l’énergie et l’environnement. D’un côté, l’association suisse Arcjurassien et, côté français, la CCI de la région Franche-Comté, avec au total 108 participants (41 Français, 67 Suisses). Toujours dans le cadre du programme Interreg, Suisses et Francomtois envisagent ainsi de lancer des projets innovants dans l’énergie.

François Pargny

Chiffres clés

Superficie totale : 41 290 km²
Population résidente permanente 2014 : 8,2 millions d’habitants, dont 25 % d’étrangers
Produit intérieur brut (PIB) 2014 : 650 milliards de francs suisses (CHF)
PIB par habitant : 80 000 CHF en 2014
Croissance économique : 1,9 % en 2014 ; prévisions : 0,4 % à 0,8 % en 2015
Chômage : 4,4 %, d’après le BIT, à la fin du premier trimestre
Recul des prix attendu de 1 % en 2015
Taux de change : 1 euro = 1,58 CHF en 2008, 1,03-1,06 CHF au premier semestre 2015

 

Les chercheurs de l’UE pourraient choisir les Etats-Unis ou l’Asie

D’après le Service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France, le risque de coupure avec la recherche européenne, en raison de la votation du 9 février 2014, inquiète en Suisse. Patrick Aebischer, le président de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), dont le vice-président est le Français Philipe Gillet, plaide auprès des Européens pour adopter plus de flexibilité, si jamais la loi contre l’immigration massive devait être appliquée. L’argument est le suivant : si la République n’est plus aussi attractive pour les chercheurs de l’UE, alors ils partiront pour les États-Unis et l’Asie et la Suisse elle-même se tournera vers l’Asie. Ce serait alors une vraie perte pour les Européens, la Suisse étant classée régulièrement numéro un mondial en matière d’innovation par le World Economic Forum, en raison de son attractivité (50 % des professeurs sont étrangers, ce qui permet au pays de figurer à un haut niveau d’innovation, alors que le système de formation n’est pas fondé sur la performance, l’élitisme, mais repose sur le développement de la personnalité), du fait aussi de sa stabilité politique, la bonne financiarisation du monde industriel ou encore du goût prononcé des Helvètes pour la technologie.

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