Si toutes les grandes entreprises multinationales revendiquent désormais d’ambitieux programmes de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, leurs réalisations s’avèrent beaucoup plus modestes, s’apparentant à du « greenwashing », selon les conclusions du Corporate Climate Monitor 2023, qui passe au crible la transparence et les engagements en la matière de vingt-quatre d’entre elles.
Depuis le 1er janvier, un décret émanant de la loi « Climat et résilience » de 2021 punit d’une amende de 100 000 euros les entreprises mentionnant indûment des démarches de « neutralité carbone ». Dans le viseur du législateur, les discours de verdissement qui émaillent leur communication et sont loin de toujours passer l’épreuve de faits. C’est cette tendance au « greenwashing » que décortique le dernier Coprorate Climate Monitor, établi par l’association allemande NewClimate Institute et l’ONG belge Carbon Market Watch.
Pour ce faire, ce dernier a évalué selon quatre critères (le suivi des émissions, la fixation d’objectifs, la réduction de leurs émissions ainsi que les contributions ou compensations climatiques) les trois plus grandes entreprises de huit secteurs connus pour être d’importants producteurs de dioxyde de carbone (automobile, transport, agroalimentaire, technologies de l’information et de la communication, grande distribution, habillement, acier et ciment, électronique*).
Un engagement médian
de réduction des émissions de 15 % d’ici 2030
Résultat : aucune d’entre elles ne peut se prévaloir d’une « intégrité élevée ».
« Les stratégies climatiques de la plupart des entreprises sont embourbées dans des engagements ambigus, des plans de compensation qui manquent de crédibilité et des exclusions du champ des émissions, mais une minorité d’entre elles peut identifier des bonnes pratiques reproductibles », résume l’étude. Vingt-deux d’entre elles participent néanmoins à l’initiative de l’ONU Race to Zero qui vise à réduire de moitié les émissions mondiales d’ici à 2030 afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5° C.
Et pour atteindre cet objectif, le compte n’y est pas : l’engagement médian de réduction des émissions de ces multinationales atteint 15 % de la chaîne de valeur complète entre 2019 et 2030. A titre de comparaison, pour maintenir l’augmentation de la température à 1,5 °C, il est nécessaire de réduire de 43 % les émissions de GES et de 48 % celles de CO2…
Neuf entreprises font preuve
d’une intégrité « raisonnable » ou « modérée »
Seules cinq entreprises sur 24 (le géant suédois H&M, le cimentier suisse Holcim, le constructeur franco-italo-américain Stellantis, le danois Maersk et le sidérurgiste allemand Thyssenkrupp) s’engagent à décarboner leurs émissions d’au moins 90 % environ d’ici à leur année cible.
L’étude souligne que les objectifs à long terme de 17 entreprises sont d’une « intégrité médiocre », en raison de « l’inadéquation ou de l’absence totale d’engagements explicites de réduction des émissions, ainsi que de promesses ambiguës de zéro émission ». Dans l’ensemble, les promesses de neutralité carbone se traduisent en réalité par une diminution de 36 % de l’empreinte de ces entreprises.
Pour se verdir, certaines entreprises ne prennent pas suffisamment en compte les émissions indirectes dites « de scope 3 », soit les émissions de leurs fournisseurs ou des produits qu’elles fabriquent. Or ce scope est particulièrement important dans l’automobile ou l’agroalimentaire, alors que dans la sidérurgie, 80 % des émissions sont imputables à la production.
Selon l’étude, Carrefour, classé « intégrité très faible », exclut de ses rapports la plupart des émissions du scope 3 et celles des magasins franchisés. L’autre grande entreprise (à composante) tricolore, Stellantis figure dans la première moitié du classement et la catégorie « intégrité modérée » grâce aux efforts engagés pour passer du thermique à l’électrique et à ses investissements dans les carburants alternatifs.
De la compensation à la contribution climatique
Enfin, à défaut de réduire suffisamment leurs émissions, les trois quarts de ces entreprises mettent en avant des initiatives de compensation. Selon l’étude, rien que celles invitant à la reforestation nécessiteraient le double des surfaces actuellement disponibles… A cette notion, l’étude préfère celle de « contribution climatique », plus proactive. La COP 27 a d’ailleurs décidé de créer une « contribution à l’atténuation » et l’ONG suisse myclimate a annoncé qu’elle abandonnait son label de « neutralité climatique » au profit du modèle de « contribution climatique ».
Les entreprises qui se verdissent à outrance devront rentrer dans les clous d’ici à 2025, date de l’entrée en vigueur de la directive européenne CSR (Corporate Sustainability Reporting) qui vise à exclure le greenwashing de l’information extra-financière des entreprises.
Elle concernera d’abord les entreprises cotées de plus de 500 salariés, puis, à partir de 2026 les entreprises de 10 à 499 personnes. Parmi les entreprises non cotées seules celles ayant des effectifs inférieurs à 250 salariés et un chiffre d’affaires annuel inférieur à 40 millions d’euros y échapperont.
Sophie Creusillet
* Les 24 entreprises étudiées sont, par secteur : Stellantis, Volkswagen, Mercedes-Benz pour l’automobile; Maersk, American Airlines, Deutsche Post DHL (transport) ; Carrefour, (grande distribution) ; Arcelor Mittal, Holcim, Thyssenkrupp (acier et ciment) ; Foxconn, Samsung, Apple (électronique) ; Amazon, Microsoft, Google (technologies de l’information et de la communication) ; Walmart, PepsiCo, Nestlé, JBS (agroalimentaire) ; Inditex, H&M, Fast Retailing (distribution spécialisée dans l’habillement).
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