Un peu partout dans le monde arabe, les transports publics deviennent une priorité. Les raisons sont multiples : économiques, environnementales, sanitaires. Ainsi, même si les défis sont immenses – croissance démographique, concentration urbaine, « je suis optimiste, car il y a maintenant une véritable envie d’investir », a affirmé Rémi Cunin, directeur général délégué d’Egis, lors des Rencontres économiques « Transports et mobilité dans le monde arabe », le 27 novembre, à l’Institut du monde arabe (Ima).
Le financement n’est pas un problème
Certes, il y a des projets, des réalisations (tramways de Tunis, métro de Doha…). Mais, lui-même l’a reconnu, peu des modèles que sont les concessions et délégations se service public, qui demandent une participation publique et ont fait la fortune des opérateurs, fournisseurs, fabricants et constructeurs en Europe comme dans d’autres parties du monde, n’ont vraiment décollé en Afrique du Nord et encore moins dans le Golfe.
Mais pour Mohamed Mezghani, le secrétaire général de l’Union internationale des transports publics (UITP), le financement n’est pas un frein. Selon lui, « la Jordanie, la Tunisie ou le Maroc ont accès à des financements internationaux. Rabat a aussi créé un fonds d’appui à la restructuration du transport à partir de prélèvements sur la TVA et d’autre taxes, ce qui permet de développer des bus sur sites propres et des tramways. Il est même demandé aux villes de faire des propositions au fonds ».
En fait, le problème serait le cadre règlementaire, et plus particulièrement l’absence d’autorité de régulation dans certain cas, qui ralentit l’émergence des projets.
L’exemple de Dubaï : RTA, un organisme unique transport et infrastructures
Dubaï, aux Émirats arabes unis (EAU), est à cet égard un contre-exemple : l’émirat a carrément concentré la régulation de tous les modes de transport, y compris les taxis, ainsi que la construction des infrastructures entre les mains d’un seul organisme, la Roads and Transport Authority (RTA).
C’est, par exemple, avec cet organisme d’État, chargé de la planification et de l’exécution des projets, que le consortium Expolink mené par Alstom a conclu en 2016 un contrat pour concevoir et construire l’extension de la ligne rouge du métro de Dubaï et améliorer le système de l’actuelle ligne dans la perspective de l’exposition universelle Expo Dubaï 2020*.
Riyad : Ada et le plus gros projet de métro du monde
En Arabie saoudite, pour mener son développement, Riyad s’est aussi doté d’un organisme, appelé Arriyadh Development Authority (Ada). Puis, en décembre 2011, a été a approuvé un projet de transport public, comprenant bus et métro. L’idée n’était pas de bannir la voiture, alors que la ville avait été construite pour elle. L’objectif est plutôt d’en réduire autant que nécessaire l’usage, en diversifiant les modes et en facilitant l’accès de la population aux transports publics.
« Riyad est une ville de six millions d’habitants », a rappelé Abdulrahman Alshalan, directeur des Transports d’Ada. Colonne vertébrale du plan de transports publics, un métro de 176 kilomètres, avec six lignes et 85 stations, a été présenté. « Six lignes simultanément dans un temps court, c’est du jamais vu, même en Chine », s’est enthousiasmé Mohamed Mezghani. Des propos repris plus tard par Rémi Cunin, selon lequel « c’est l’équivalent du Grand Paris Express, mais en 5 ans au lieu de 25 ans ».
Le projet avance, puisqu’après avoir décroché le métro de Doha avec Kéolis, la coentreprise menée par RATP Dev a été retenue pour l’exploitation et la maintenance des deux premières lignes à Riyad. Les quatre autres lignes ont été confiées à un consortium dans lequel figure le français Alstom. Le défi est tel dans une région qui découvre le transport public, que les compagnies internationales rencontrent des difficultés de recrutement. Ainsi, pour disposer de main d’œuvre en Arabie saoudite, la RATP recourt au service de son centre de formation au Maroc.
Maroc : la première ligne à grande vitesse d’Afrique
Si le Golfe innove, le Maghreb aussi. Projet emblématique en Afrique, la première ligne à grande vitesse (LGV) d’Afrique entre Tanger et Kenitra sur 200 kilomètres. Entrée en service voyageurs le 26 novembre, elle sera poursuivie jusqu’à Casablanca, via Rabat.
Face aux critiques qui n’ont pas manqué, ce projet étant considéré par certains comme trop coûteux dans un pays en développement, Adil Bahi, directeur au ministère de l’Équipement, du transport, de la logistique et de l’eau, a défendu une « vision globale à 20 ans », une « politique de grands chantiers pour l’aménagement du territoire, le désenclavement des populations et l’accompagnement des entreprises de production ».
Complète, la LGV mettra Tanger à 2 h 10 de Casablanca, contre 4 h 45 aujourd’hui pour un investissement de plus de 2 milliards d’euros. Elle sera longue de 200 kilomètres et le coût est « divisé par deux par rapport à ce qui se fait en Europe, avec un standard égal », a exposé Agnès Romatet-Espagne, directrice générale adjointe International de SNCF Mobilités.
« La SNCF a noué un partenariat d’exception dans la durée avec son homologue, l’Office national des chemins fer (ONCF), et ses partenaires, a-t-elle poursuivi, avec notamment la création d’une institution de formation 50/50 ONCF-SNCF et d’un atelier de maintenance grande vitesse 40/60 ONCF-SNCF ». D’autres sociétés de l’Hexagone participent à ce vaste chantier : Systra, Colas Rail, Thales, Engie Ineo ou Alstom pour les rames.
S’agissant du financement, la France apporte la moitié du total, sous forme d’un prêt concessionnel de la Réserve Pays Émergent (RPE) de 625 millions d’euros, d’un don de 75 millions et d’un prêt de 300 millions de l’Agence française de développement (AFD) à taux d’intérêts préférentiels sur 20 ans.
Maroc : une planification et des ambitions nationales
Pour autant, le train à grande vitesse n’est qu’une pierre dans le plan national Horizon 2040 qui prévoit aussi tout un réseau de lignes classiques et un programme d’amélioration des services. D’abord, la LGV s’inscrit au même titre que le grand port de Tanger Med dans une stratégie de développement du nord du Royaume. Après la région de Tanger, c’est l’Oriental qui doit être désenclavé et le port de Nador qui doit être valorisé.
Ensuite, a expliqué Adil Bahi, « il faut assurer le trait d’union entre l’Europe et le sud du Sahara pour que le Maroc joue son rôle de hub en Afrique et favoriser le développement des régions du sud en ouvrant notamment trois chantiers : développement du port de Darlaa pour la pêche industrielle, le commerce et le transbordement ; construction d’une voie express au standard autoroutier reliant Darlaa à Agadir ; et développement de l’artisanat, de l’éducation, la formation et l’agriculture ».
Enfin, surtout dans sa dimension urbaine, le transport public doit être multimodal. À l’Ima, Adil Bahi parlait « du rail + la multimobilité » pour insister sur la complémentarité avec le tramway. « Moi, je prendrai la LGV pour me rendre à Tanger. Mais on doit aussi pouvoir se rendre à la gare en tramway. Et puis on peut encore améliorer le service avec l’utilisation d’autocars sur les autoroutes », décrivait-il.
Ne pas oublier la dimension sociale
S’agissant du service aux usagers, il faut encore penser à « l’inclusion sociale : désenclavement des quartiers précaires, tarification abordable, accès des femmes au transport », a souligné Lise Breuil, responsable de la division Transport et mobilité de l’Agence française de développement (AFD). C’est ainsi qu’au Maroc, le programme Villes sans bidonvilles, mené notamment pas les femmes pour y améliorer la vie, comprend un volet transport, a relaté Gérard Wolf, qui pilote la Task Force du Medef sur la Ville durable à l’export. « C’est important pour que les gens se déplacent et aussi qu’ils trouvent un emploi », a-t-il ajouté.
Concernant les femmes, accès signifie aussi sécurité. En Égypte, « des wagons du métro du Caire sont réservés aux femmes », a relevé Lise Breuil. Ce n’est pas le cas dans le tramway d’Alger où la mixité des genres est conservée. Un personnel féminin, des gardes dans chaque wagon « peuvent être très efficaces », selon elle. Tout comme la mise en place d’une hotline est une solution appréciable. Mais pour elle, pour assurer la sécurité notamment des femmes, les préalables sont un bon éclairage, des cheminements bien indiqués et des conditions d’accessibilité de qualité.
François Pargny
*Lire, à cet égard :
– Expo Dubaï 2020 : trois sujets d’inquiétude pour l’exposition universelle,
– Émirats arabes unis : les grands travaux d’Expo Dubaï 2020 battent leur plein,
– EAU / Smart City : la France veut imprimer sa marque à Expo Dubaï 2020 et
– Émirats arabes unis : Expo Dubaï 2020, premières briques d’une smart city