Dans cette tribune, Jean-Marie Salva, avocat associé DS Avocats (barreaux de Paris et Bruxelles) et expert reconnu des questions relatives au commerce international, explique pourquoi la reconquête de la souveraineté économique par l’Union européenne passe par une Union douanière forte qui devra prendre en compte les enjeux géopolitiques.
La reconquête de la souveraineté économique de l’Union européenne a été l’un des thèmes majeurs de la campagne électorale française et de la Présidence française de l’Union (PFUE) qui s’achève. Elle passe par l’une des plus anciennes politiques de l’Union : la politique douanière.
Le renforcement de l’Union douanière devait être le fer de lance de la nouvelle Commission et de sa présidente Mme von der Leyen installée en 2019, dans le contexte du Brexit. La pandémie d’abord et aujourd’hui la crise ukrainienne sont venues renforcer ce besoin impérieux pour l’Union de reconquérir sa souveraineté économique. La difficulté ou l’opportunité est de pouvoir le faire au sein d’un nouveau modèle de croissance.
C’est le sens du plan d’action de la Commission lancé le 28 septembre 2020, lui en pleine crise sanitaire et du rapport qui vient d’être remis à la Commission !
De l’Union douanière aux propositions de 12 sages
L’Union douanière a fêté ses 50 ans en 2018. Elle est la pierre d’angle du marché unique et l’une des premières et des plus concrètes réalisations de l’intégration européenne. Elle comporte 2 dynamiques :
-la libre circulation des marchandises qui est, avec celle des personnes, des capitaux et des services, l’un des 4 piliers du marché unique,
– et l’efficacité de sa frontière extérieure qui est revenue au centre des préoccupations avec l’affaiblissement du multilatéralisme et la montée de divers périls. La crise sanitaire et la crise ukrainienne sont venues rappeler à ceux qui l’auraient oublié le rôle essentiel des douanes dans la fluidité et la sécurité des chaines d‘approvisionnement internationales.
Le déploiement du Code des douanes de l’Union qui a succédé, en mai 2016, au Code des douanes communautaire de 1992, était supposé la parachever et satisfaire aux besoins de ces deux dynamiques. Il a cependant vite atteint ses limites face aux nombreux nouveaux défis d’aujourd’hui (la digitalisation de l’économie et le commerce en ligne, les attentes croissantes de la société civile en termes de commerce durable et éthique …) et à la persistance des divergences d’interprétation et d‘application entre les Vingt-sept États membres des règles douanières définies par Bruxelles.
C’est ce qui a conduit le commissaire chargé de l‘économie, Paolo Gentiloni, à inviter un groupe de 12 sages à faire des propositions innovantes. Le rapport a été remis sous le titre « Plus d’union dans les douanes européennes : 10 propositions pour que les douanes européennes s’adaptent à une Europe géopolitique »*.
Des propositions innovantes pour moderniser l’Union
D’emblée, le plus innovant est déjà probablement que, de la crise ukrainienne, soit née l’idée d’une Europe géopolitique qui appelle une nouvelle politique douanière. C’est le retour des frontières !
Quant aux propositions elles-mêmes, on y retrouve sans surprise le renforcement de la facilitation accordée aux opérateurs économiques agréés (OEA), un statut en place depuis 2008, mais qui suscite unanimement et depuis longtemps autant d’intérêt que de frustrations, ainsi que la création d’une agence douanière européenne qui serait au service tant de la Commission européenne que des États membres.
Or, s’il est un domaine dans lequel cette future agence douanière européenne destinée à harmoniser les pratiques entre les Vingt-sept est très attendue par les opérateurs, c’est celui de la valeur en douane : les multinationales qui opèrent dans plusieurs États membres de l’Union déplorent depuis longtemps des divergences dans les pratiques d’ajustement de prix de transfert ou de valorisation des apports immatériels dans les produits issus de la recherche, par exemple.
Autant de sujets majeurs qui ternissent l’attractivité de la France au sein de l’Union ou qui pénalisent nos champions à l’export.
Harmoniser les pratiques douanières, notamment sur la valeur
C’est probablement ce qui a incité la Commission à encourager récemment les entreprises et les douanes locales à utiliser les dispositions combinées de deux articles du Code des douanes de l’Union (les articles 73 et 26) pour faire en sorte que les « critères spécifiques déterminés (par un État membre) pour les montants non quantifiables au moment de l’importation » soient reconnus juridiquement « valables sur tout le territoire douanier de l’Union ».
Cet encouragement très technique est largement passé inaperçu. Il a pourtant une portée symbolique et pratique importante.
Les premières demandes sont en cours de traitement par les autorités douanières nationales. Si elles aboutissent et contribuent à l’harmonisation des pratiques douanières au sein de l’Europe, ce sera une avancée majeure pour les groupes qui réclament depuis longtemps un avis européen sur la valeur (rulling douanier) comme il en existe sur le classement des marchandises ou sur leur origine.
Protéger son industrie et ramener de la production : l’exemple du vélo
Après avoir longtemps délocalisé dans les pays à bas coûts et notamment en Chine, à l’abri d’une mondialisation régulée par l’OMC, l’Union européenne doit aujourd’hui naviguer entre deux écueils : protéger son industrie communautaire déjà très affaiblie en renforçant ses instruments de défense commerciale (notamment contre les subventions étrangères qui sont dans le collimateur du législateur européen) et ramener de la production dans les secteurs stratégiques.
L’exemple du marché du vélo et édifiant à cet égard.
La demande est croissante : plus de 14, 3 % en 2021, après une année 2020 à déjà plus de 25 % comparé à 2019, tous modèles confondus, les vélos avec assistance électrique progressant l’an dernier plus vite, + 3,9 (par rapport à 1,7% l’année précédente) tandis que les vélos classiques augmentaient de 12,9%, contre 20, 8% l’année précédente.
Mais l’industrie européenne ne peut la satisfaire. Elle l’est essentiellement par une offre asiatique frappée de lourds droits antidumping (taux de 21,8% à 83, 6% sur les vélos électriques chinois, les États membres s’efforcent aujourd’hui de convaincre les producteurs chinois de fabriquer au sein de l’Union ou à ses portes.
Cette réorganisation des chaînes d’approvisionnement au son du « bring back our production » s’accommode de la nationalité des acteurs pour ne tenir compte que de la réalité de la frontière physique.
C’est le retour en force de la géopolitique, là comme ailleurs !
Jean-Marie Salva,
Avocat associé DS Avocats
*Pour en savoir plus sur ce rapport, cliquez ICI