Lors de la Journée franco-allemande de l’économie 2017, intitulée « Quel nouvel élan pour l’Europe ? », le 31 mai à Paris (*), le Français Ludovic Subran, chef économiste du groupe Euler Hermes, assureur-crédit qui couvre les exportateurs de nombreux pays européens, et chef de la recherche macro économique de la maison mère Allianz, a incité l’Union européenne (UE), et la France et l’Allemagne en particulier, à moins de naïveté.
Quatrième et dernier intervenant d’une table ronde consacrée aux « solutions pour libérer la croissance », après Christoph Schmidt (Conseil allemand des experts en économie), Christian de Boissieu (Université Paris 1 et Collège d’Europe, à Bruges) et Elizabeth Ducottet (Groupe Thuasne), le « jeune Européen », comme il s’est qualifié, a préconisé plus de protectionnisme. Selon lui, « on a été trop bon élève, peut-être parce que c’était le plus petit dénominateur commun, mais aussi parce qu’on ne se faisait pas vraiment confiance ». Du coup, on aurait « remplacé la confiance par des règles », lesquelles, finalement, ne seraient « pas respectées par les pays membres, y compris l’Allemagne sur le protectionnisme ».
Réglementation bancaire : « il faut résister » à la pression américaine (C. de Boissieu)
Sur le thème de la naïveté, Christian de Boissieu a tenu à réagir, en affirmant que la Banque centrale européenne (BCE) l’était « beaucoup moins depuis 2014 », date qui correspond à la défense de l’euro par la BCE. Dans la foulée, l’ancien président du Conseil d’analyse économique (CAE), homologue français du Conseil allemand des experts en économie, a abordé la question de la règlementation bancaire. Et d’insister, sans entrer dans le détail technique, sur le fait que « les États-Unis essaient aujourd’hui de faire pression » pour passer des accords de Bâle III, élaborés en tirant les leçons de la crise financière de 2008, à de nouvelles règles Bâle IV, qui seraient plus favorables aux banques américaines. « Il faut résister », a exhorté Christian de Boissieu.
Situé en bout de table à côté d’Elizabeth Ducottet, Ludovic Subran s’est adressé plus particulièrement à elle quand il a affirmé que « les entreprises sont beaucoup plus européennes que les États ». Des propos qui ont dû ravir, on peut l’imaginer, la présidente du groupe de dispositifs médicaux Thuasne qui venait d’expliquer que sa société avait dans le passé acheté une société outre-Rhin pour devenir européenne et de plaider pour que « les politiques livrent aux entreprises européennes des règles communes, notamment en matière de fiscalité et de transmission des entreprises, des organismes régulateurs et défendent la monnaie commune, qui donne aux chefs d’entreprises un confort de lisibilité dans la zone euro et qui est donc un langage commun ».
Ludovic Subran a précisé qu’en tant que « jeune Européen », il « en avait marre que les ministres de l’Économie et des finances ne se rassemblent que pour la dette grecque », alors qu’il y a des besoins considérables à financer en matière d’infrastructures, qu’il faut doter le continent d’une Silicon Valley européenne, que l’on parle depuis quinze ans d’un Buy Européen Act. Il y a aussi à encourager l’innovation et la finance. « Et pourquoi pas un Finance European Act et un Innovation European Act ? Les jeunes ont besoin de cela », a lâché Ludovic Subran devant un auditoire dans le grand hémicycle du Conseil économique, social et environnemental (Cese) capté par son souffle européen.
« Mettre de l’argent sur les mots » (L. Subran)
Pour lui, il faut carrément passer « à autre chose ». Le Parlement européen « ne sert à rien » et, en plus, « on a l’audace d’un petit pays, alors qu’on est la première puissance économique mondiale et qu’on a notre propre monnaie ». Malheureusement, « on a laissé le Royaume-Uni être la plateforme financière de notre économie », il est urgent maintenant « de parler ensemble de transition financière, fiscale, numérique ». Enfin, « il ne faut pas seulement parler ou laisser parler à l’étranger de la dette italienne, du déficit français ou du manque d’innovation en Allemagne », en prenant l’exemple des Américains, qui ne sont « pas forcément contents d’avoir Trump comme président », mais qui sont « quand même derrière ».
Ces comportements reflètent, selon lui, la jeunesse de la construction européenne. « Nous devons maintenant passer de l’adolescence à l’ambition, mettre de l’argent sur les mots pour développer les infrastructures, l’emploi, l’entreprenariat ». Il regrettait ainsi « la faiblesse » du Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI), élément central du plan d’investissement pour l’Europe (plan Juncker), et qu’il n’y ait « pas grand-chose sur le capital humain et sur la politique commune de la diplomatie économique ». Sans changements profonds (on parlerait de « saut qualitatif » dans le jargon bruxellois), a-t-il conclu, « l’Europe va se traîner avec 1,5 % de croissance annuelle sur cinq ans », un rythme insuffisant pour que « tout le monde ait du boulot ».
François Pargny
* Lire, à ce sujet, dans la Lettre confidentielle du Moci d’aujourd’hui : France / Allemagne : Paris et Berlin acteurs clés d’une relance de l’Europe
Pour prolonger :
–UE / Commerce : les pistes de la Commission pour mieux maîtriser la mondialisation
–UE / Commerce : pour la CEJ, les accords de libre-échange ne relèvent pas que de « l’UE seule »