La Commission européenne a annoncé le 30 octobre la fin de son enquête sur les aides publiques chinoises aux constructeurs de véhicules électriques à batterie et fixé les surtaxes douanières compensatoires pour les cinq prochaines années. Dans la foulée, Pékin a affirmé avoir saisi l’OMC, ce que le gouvernement chinois avait déjà annoncé en août dernier. Revue de détail.
[Mis à jour le 30/10/2024 à 17H30]
« L’UE et la Chine continuent de travailler à la recherche d’autres solutions », précise laconiquement le communiqué de la Commission européenne. Si Bruxelles avait déjà acté l’existence de subventions gouvernementales permettant à la Chine de vendre ses voitures électriques à des prix défiant toute concurrence sur le marché européen, il ne restait plus qu’à fixer « définitivement » les droits de douanes compensatoires. Les mesures s’appliquaient déjà de façon provisoire mais avec des pourcentages variables et sous la forme de dépôt de cautions douanières qui ne seront finalement pas collectées pour la période de 4 mois qu’à duré la période provisoire.
Finalement, aux 10 % de droits de douane initialement imposés sur ces véhicules s’ajouteront désormais une surtaxe de 17 % pour la marque BYD, 18,8 % pour Geely et 35,3 % pour SAIC (constructeur de la marque MG, l’une des plus vendues en Europe actuellement). Les autres constructeurs ayant coopéré à l’enquête anti-subventions de la Commission seront soumis à un droit additionnel de 20,7 % et 35,3 % si elles n’y ont pas participé. A noter : « à la suite d’une demande justifiée d’examen individuel », précise le communiqué de la Commission, la surtaxe sur les véhicules Tesla s’élèvera à 7,8 %.
Ces droits de douane compensatoires entreront en vigueur le jour suivant la publication au Journal officiel de l’UE (JOUE) du règlement européen afférent et pour une durée de cinq ans pendant lesquels Bruxelles et Pékin continueront de chercher une solution à ce différend qui soit compatible avec les règles de l’OMC.
Comment la Commission a calculé le montant des droits compensatoires
D’après les explications fournies par une source à la Commission européenne, l’enquête des équipes de la DG Commerce, commencée le 4 octobre 2023, a été fouillée, permettant de détecter le détail de «toute une énorme chaine de subventions» dont ont bénéficié les constructeurs chinois de véhicules à batteries sur la période qu’a duré l’enquête.
Programmes de subventions nationaux, provinciaux, spécifiques, tout a été passé en revue, du coût des terrains aux prêts financiers à des taux bonifiés en passant par les subventions dont bénéficie la chaîne de fabrication des batteries, de la mine de lithium à l’usine, qui représentent de l’ordre de 40 % du prix des véhicules. Puis des calculs ont permis de déterminer le montant total des subventions perçus par le constructeur est leur part dans son chiffre d’affaires. « Le montant du tarif compensatoire correspond exactement à la part de subvention par véhicule pour chaque constructeur » précise-t-on à la Commission. Tout est dans le règlement européen de plusieurs centaines de pages publié tardivement le 29 octobre, et qui sera en vigueur après sa parution dans le Journal officiel de l’Union européenne (JOUE).
De même source, les constructeurs de marques chinoises ont perçu, à cet égard, des subventions plus importante que pour les marques étrangères. « C’est la raison pour laquelle Tesla se voit appliquer un tarif moins élevé que les marques chinoises » souligne-t-on encore.
Une chose est sûre : les enquêteurs bruxellois sont absolument convaincus que sans la mise en place de droits compensatoires sur les véhicules électriques importés de Chine, une véritable vague d’importations aurait continué à déferler sur le marché de l’Union européenne, ruinant les efforts des constructeurs automobiles européens pour investir dans cette transition. La part de marché des véhicules électriques importés de Chine est passée de 3,5 % à 27,2 % entre fin 2023 et mi-2024 sur le marché européen. Et dans ces volumes, celles des marques chinoises est passées de 1,9 % à 14,1 % alors que celles des marques européennes passait de 6,2 % à 3-4 % mi-2024. Le moteur de la hausse de ces importations est donc bien l’industrie chinoise, avec un taux de subvention publique par véhicule variant de 17 % à 35,3 %, le montant des surtaxes appliquées désormais.
C.G
L’ire de Pékin
En attendant, la Chine a immédiatement saisi l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et « intenté une action dans le cadre du mécanisme de règlement des différends », indique le ministère chinois du Commerce dans un communiqué cinglant. Soulignant qu’il « n’approuve pas et n’accepte pas cette décision » et que « la Chine continuera à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger avec fermeté les droits et intérêts légitimes des entreprises chinoises », le ministère espère cependant que « l’UE travaillera avec la Chine de manière constructive, suivra les principes de pragmatisme et d’équilibre, prendra en compte les principales préoccupations de chacun, afin de parvenir le plus rapidement possible à une solution ».
On note toutefois que la Chine avait déjà annoncé avoir demandé des consultations à l’OMC en août dernier.
Côté européen, la mise en place de ces surtaxes était par ailleurs loin de faire l’unanimité parmi les Vingt-Sept, en particulier l’Allemagne dont les constructeurs produisent eux aussi en Chine. En juillet dernier, l’Association de l’industrie automobile allemande (VDA) avait ainsi publié un appel véhément à sortir de ce système de droits de douanes compensatoires et à mettre l’accent « sur la localisation industrielle européenne ». Ce qui n’a toutefois pas empêché les enquêteurs de Bruxelles de poursuivre leur travail : à ce jour, d’après une source à la Commission, si les parties chinoises ont pu obtenir des correctifs ou des ajustements sur certains détails, permettant d’ailleurs d’ajuster certains des tarifs envisagés, aucune n’a pu apporter des éléments de nature à remettre en cause les conclusions de son enquête.
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Cette enquête antisubventions s’inscrit dans un contexte plus large de tensions commerciales entre l’UE et la Chine, cette dernière ayant depuis, elle aussi, mis en place ou menacé de mettre en place des surtaxes sur le cognac, le porc, le biodiesel et les produits laitiers. Dans le secteur automobile, la décision de Bruxelles survient alors que la Chine surproduit des véhicules électriques que son marché domestique ne parvient plus à absorber et qu’elle ne peut se passer des marchés étrangers.
Sophie Creusillet