La Commission européenne a décidé de ne pas proroger le cadre juridique de l’Union européenne (UE) établissant le Consortia Block Exemption Regulation (CBER), un règlement qui exempte les consortiums de transport maritime de ligne de l’application de ses règles en matière de pratiques anticoncurrentielles. Il devrait donc prendre fin le 25 avril 2024.
Ce n’est pas une surprise car le sujet faisait l’objet de rumeurs depuis des mois. D’après un communiqué de la Commission européenne, cette décision de mettre fin au « Règlement d’exemption par catégorie en faveur des consortiums de transport maritime » intervient car « elle est parvenue à la conclusion que ce règlement ne favorise plus la concurrence dans le secteur du transport maritime ». Ce règlement, connu dans le secteur sous son sigle anglais CBER, permet actuellement à des compagnies maritimes, sous certaines conditions, de conclure des accords de coopération ou « consortiums », en vue d’exploiter en commun des services de transport de marchandises. Il leur permet en particulier de se soustraire à la législation anti-trust de l’UE.
Officialisée le 10 octobre dernier, cette décision fait suite à un processus d’examen lancé en août 2022 afin de recueillir des éléments d’information sur le fonctionnement du règlement d’exemption par catégorie en faveur des consortiums de transport maritime depuis 2020, dans la perspective de son expiration le 25 avril 2024. La Commission a notamment lancé un appel à contribution invitant les parties prenantes à donner leur avis, sollicitant en premier lieu les transporteurs, chargeurs, transitaires et exploitants de ports et de terminaux, via des questionnaires ciblés.
« Avant son évaluation, précise encore la Commission dans son communiqué, dans le cadre de ses activités de suivi sectoriel, la Commission s’est régulièrement entretenue avec les acteurs du marché et avec les autorités de concurrence et les autorités réglementaires en Europe, aux États-Unis et dans d’autres juridictions au sujet des difficultés rencontrées par le secteur du transport maritime. Elle a également i) envoyé des questionnaires aux transporteurs concernant les effets de la pandémie de COVID-19 sur leurs activités et la chaîne d’approvisionnement maritime et ii) commandé une étude d’information indépendante ».
Conclusions de cette évaluation : « dans l’ensemble, les données recueillies auprès des parties prenantes mettent en évidence l’efficacité et l’efficience limitées du règlement d’exemption par catégorie en faveur des consortiums de transport maritime au cours de la période 2020-2023 ».
Ainsi, justifie-t-elle, « compte tenu du nombre peu élevé et du profil des consortiums relevant de son champ d’application, le règlement d’exemption (…) permet aux transporteurs de réaliser des économies limitées sur les coûts de mise en conformité et joue un rôle secondaire dans la décision des transporteurs de s’engager dans un consortium. En outre, au cours de la période d’évaluation, le règlement d’exemption (…) n’a plus permis aux transporteurs plus petits de coopérer et de proposer d’autres services en concurrence avec des transporteurs de plus grande envergure ».
D’où la décision de la Commission de ne pas proroger le CBER et de le laisser expirer le 25 avril 2024. Pour autant, la coopération ne sera pas interdite : cette expiration « ne signifie pas que la coopération entre compagnies maritimes devient illégale au regard des règles de l’UE en matière de pratiques anticoncurrentielles, explique encore la Commission. Au contraire, les transporteurs exerçant leurs activités à destination ou au départ de l’UE évalueront la compatibilité de leurs accords de coopération avec les règles de l’UE en matière de pratiques anticoncurrentielles en se fondant sur les nombreuses indications contenues dans le règlement d’exemption par catégorie applicable aux accords horizontaux et le règlement d’exemption par catégorie applicable aux accords de spécialisation ».
Retour sur 15 ans d’exemption
Les services de transport maritime de ligne consistent à assurer le transport maritime régulier de marchandises conditionnées (en grande majorité par conteneurs) sur une route particulière. Ils nécessitent des investissements considérables et sont donc régulièrement fournis par plusieurs compagnies maritimes coopérant dans le cadre de consortiums. Les consortiums permettent de réaliser des économies d’échelle et de mieux utiliser l’espace des navires. Une partie équitable des avantages découlant de ces gains d’efficacité peut être répercutée sur les utilisateurs des services de transport maritime, sous la forme d’une amélioration de la couverture des ports et de services de meilleure qualité.
L’article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne («TFUE») interdit les accords entre entreprises qui restreignent le jeu de la concurrence. Toutefois, en vertu de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE, de tels accords peuvent être déclarés compatibles avec le marché unique pour autant qu’ils contribuent à améliorer la production ou la distribution de produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte sans éliminer la concurrence.
Le règlement (CE) n° 246/2009 du Conseil prévoit que, conformément aux dispositions de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE, la Commission peut exempter les consortiums de l’application de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE pendant une période limitée à cinq ans, susceptible d’être prolongée. En conséquence, la Commission a adopté en 2009 le règlement d’exemption par catégorie en faveur des consortiums de transport maritime [règlement (CE) nº 906/2009 de la Commission], qui fixe les conditions spécifiques de cette exemption. Ces conditions visent notamment à faire en sorte qu’une partie équitable des avantages obtenus revienne aux usagers.
La Commission a prolongé la validité du règlement d’exemption par catégorie en faveur des consortiums de transport maritime en 2014 et en 2020. La prorogation décidée en 2020 était essentiellement justifiée par l’absence de détérioration des paramètres de concurrence (soit, principalement, les taux de fret ainsi que la disponibilité et la fiabilité des services) au cours de la période 2014-2019. Cette prorogation a néanmoins été limitée à quatre ans afin de mieux tenir compte d’une éventuelle évolution des conditions du marché.
Source : Commission européenne
« Les services de transport maritime sont essentiels pour le commerce européen et mondial, commente Didier Reynders, commissaire chargé de la Politique de concurrence. Ce secteur clé a connu d’importants changements structurels, tels que la consolidation des transporteurs, les alliances mondiales et l’intégration verticale, qui se sont traduits par de nouvelles conditions de marché, apparues durant la pandémie de COVID-19. Notre évaluation a révélé qu’une exemption par catégorie spécifique en faveur des compagnies maritimes n’était plus adaptée à ces nouvelles conditions du marché. Nous avons par conséquent décidé de ne pas proroger le cadre actuel et de le laisser expirer le 25 avril 2024 ».
Pour l’heure, cette décision attendue, saluée par les organisations de chargeurs et de transitaires, n’a pas pris les acteurs du transport maritime par surprise et de nombreux observateurs relativisent la portée de cette décision en attendant d’y voir plus clair. « La fin du CBER ne mettra pas fin aux alliances, résume le commissionnaire de transport digital Ovrsea dans sa dernière lettre d’information Le Chargeur. Les compagnies opérant à destination ou en provenance de l’Union européenne devront simplement garantir que leurs accords sont conformes aux règles antitrust appliquées à tous les secteurs. En outre, seule une minorité d’accords de transport maritime bénéficient aujourd’hui réellement du CBER : 13 sur les 43 consortiums opérant dans l’UE, rappelle Linerlytica. Au final, il est donc probable que l’impact sur les chargeurs européens demeure limité. »
C.G