En ce début janvier 2023, le nouveau Qualitair & Sea, acteur français de premier plan de la commission de transport issu de la fusion de la branche overseas de Dimotrans et de l’ancienne filiale du groupe Crystal, dont le groupe Dimotrans avait pris le contrôle en juillet 2021, est opérationnel. Dans un contexte marqué par un retournement du marché, il affiche l’ambition d’offrir une alternative de marché aux chargeurs français. Salvatore Alaimo, président de Dimotrans, explique ces ambitions et fait le point sur les perspectives du groupe qu’il dirige en 2023.
Le Moci. Dès l’an dernier, l’alliance avec Qualitair&Sea, un opérateur très connu dans le milieu des chargeurs français, était présenté comme une alliance et une alternative aux grands groupes du secteur. Qu’entendez-vous exactement par-là ?
Salvatore Alaimo. Avant de vous répondre, je souhaite préciser un point important. Dès juillet 2021, nous avons acquis 85 % de Crystal Group dont Qualitair&Sea est l’un des filiales. Ce n’était pas une alliance mais une acquisition. Et au 1er janvier 2023, il y aura cette fois-ci un regroupement des activités overseas de Dimotrans Group et de Qualitair&sea au sein d’une même entité, sous la marque Qualitair&Sea Dimotrans Group.
Concernant notre objectif et le positionnement de la nouvelle entité sur le marché, il s’agit effectivement d’une alternative aux grands groupes. Nous sommes une ETI du marché, qui répond en règle générale à des besoins complexes d’opérations de transport international et national, et pour lesquels les chargeurs ont besoin d’une certaine réactivité et agilité caractéristiques des entreprises de notre taille. Les grands groupes ont peut-être davantage des cibles « grands comptes », avec des attentes de process plus industrialisés.
Il faut savoir que dès 2022, la nouvelle entité issue de la fusion de la branche « overseas » de Dimotrans Group et de Qualitair&Sea entre dans le top 10 des opérateurs IATA. Nous devenons un acteur majeur du métier de l’overseas tout en restant une ETI agile et à l’écoute de ses clients.
« Notre volonté est de poursuivre sur cette lancée »
Le Moci. Mais vous n’avez pas que le fret aérien dans votre corbeille, vous avez aussi le maritime et le routier …
Salvatore Alaimo. Bien sûr. En ce qui concerne l’overseas (maritime, aérien et douane), Qualitair&Sea était principalement sur le segment aérien, à environ 65 %-70 %, alors que Dimotrans était principalement sur du maritime, pour la même proportion. Les deux réunis, nous équilibrons les deux métiers aérien et maritime et nous devenons un acteur majeur dans chacun d’entre eux. Il est clair en revanche que les équipes auront à leur disposition -et c’est une des particularités de Dimotrans- l’intégralité des autres métiers du groupe. La logistique en premier lieu : c’est une activité importante pour laquelle nous gérons 300 000 m² de surface pour le compte de nos clients sur l’intégralité du territoire. Nous avons également le transport européen : nous sommes un des leaders de marché de la messagerie européenne, auquel j’ajoute la messagerie nationale développée au sein du groupe par notre filiale Ducros.
Le groupe Dimotrans regroupe en son sein de quoi répondre à la totalité des besoins clients dans leur supply chain; libre à eux d’utiliser la globalité de ces moyens ou d’opter pour une offre à tiroir. L’objectif est de leur apporter des solutions depuis un point de production jusqu’à un point de consommation.
Le Moci. Dimotrans fait aujourd’hui 744 millions d’euros de chiffre d’affaires, et emploie 2400 collaborateurs dans le monde. Estimez-vous avoir atteint une taille critique suffisante ou avez-vous encore de l’appétit, notamment dans les métiers de l’international ?
Salvatore Alaimo. De l’appétit, on en a toujours quand on eu une croissance aussi exponentielle sur les dix dernières années en multipliant son chiffre d’affaires par 8. On ne va donc pas s’arrêter en si bon chemin et notre volonté est de poursuivre sur cette lancée, et notamment d’atteindre la taille critique de chaque métier du groupe et ainsi devenir un acteur incontournable de notre marché. C’est aujourd’hui le cas pour l’overseas, avec l’opération Qualitair&Sea, c’est le cas également pour le groupage européen, où nous sommes un acteur majeur depuis plusieurs années déjà. Il restera à renforcer la logistique et certainement la messagerie nationale, dans les toutes prochaines années. Encore une fois, l’objectif est d’être une alternative aux grands groupe.
« L’année 2023, évidemment,
ne sera pas à l’image de l’année 2022 »
Le Moci. Sur l’overseas, la commission de transport, avez-vous une estimation de votre part de marché ?
Salvatore Alaimo. C’est extrêmement compliqué de répondre à cette question car le marché est atomisé et nous n’avons pas tous les chiffres. Je ne peux que reprendre le classement officiel IATA que j’ai déjà mentionné, et qui prend en compte la totalité des volumes chargés par chaque commissionnaire de transport dans lequel nous figurons au Top 10, donc parmi les opérateurs clé.
Pour vous donner tout de même une idée, notre chiffre d’affaires sur l’overseas en France est de 240 millions d’euros, environ un tiers du chiffre d’affaires groupe. Il est du même ordre que celui réalisé par Clasquin, qui est l’opérateur de référence pour les PME. C’est sans compter les activités overseas de nos deux filiales aux États-Unis et en Asie.
Le Moci. On sort d’une période Covid dont votre secteur a largement bénéficié. Mais aujourd’hui, c’est l’incertitude qui domine, en raison de la chute de la croissance mondiale et des tensions géopolitiques. Quelle est votre vision des perspectives sur le marché overseas ? Ressentez-vous ce sentiment d’être dans le brouillard que beaucoup de PME et ETI partagent ?
Salvatore Alaimo. Oui, nous ne sommes pas à l’écart de ce climat général, nous subissons aujourd’hui le marché de la même manière que nous avons profité de son explosion en 2021 et 2022. On observe aujourd’hui deux éléments majeurs : premièrement, une baisse de commande de nos clients ; et deuxièmement, un gonflement des stocks, lié à une anticipation des achats face à l’accélération de l’inflation. On le constate dans le métier de la logistique avec nos entrepôts pleins à 100 % de nos capacités. Cela a pour conséquence une baisse des volumes transportés pour la fin de l’année 2022, ce qui tire les prix du marché du fret maritime à la baisse et donc un « retour à la normale » des prix du fret. Cela laisse supposer que l’année 2023, évidemment, ne sera pas à l’image de l’année 2022.
« La chance du groupe aujourd’hui,
c’est qu’il intervient dans tous les métiers de la supply chain »
Le Moci. Vous êtes une ETI : êtes-vous inquiets ? Comment comptez-vous vous adapter à ce nouveau contexte de marché ?
Salvatore Alaimo. La chance du groupe aujourd’hui, c’est qu’il intervient dans tous les métiers de la supply chain. Historiquement, chaque année, il y a toujours un métier qui est un petit peu en crise pour des raisons diverses et variées, et il y a toujours au moins un métier qui tire le groupe vers le haut. Je pense que 2023 ne dérogera pas à la règle, et que nous aurons certainement un recul de l’activité overseas par rapport à 2022, mais d’autres segments du groupe tireront leur épingle du jeu. Je pense notamment aux projets industriels, poussés par des gros investissements dans les énergies renouvelables ou le nucléaire. Ils permettront de continuer à progresser sur leur marché.
Néanmoins, dans le budget 2023 que nous venons de clôturer, le chiffre d’affaires global sera évidemment en retrait par rapport à 2022. Mais notre rentabilité restera dans les standards du secteur, ce qui nous permet d’entrevoir l’année 2023 avec une grande sérénité.
Le Moci. Vous anticipez donc un recul de la demande de transport et de logistique à l’international ?
Salvatore Alaimo. La problématique, c’est que l’on compare 2023 à 2022, année de croissance économique exceptionnelle. . Donc rien de catastrophique, que ce soit au niveau des volumes que des niveaux de prix. Nous avons connu trois années, entre 2020 et 2022, qu’aucun secteur, aucune activité n’avait jamais connues auparavant dans le monde pour les différentes raisons que vous connaissez. Cela a généré des perturbations à la baisse en 2020, pour cause de Covid et d’arrêt total de l’économie, suivies en 2021 et 2022 par de fortes poussées des volumes générant des sous-capacités qui ont fait exploser les chiffres de la commission de transport et du transport en général.
« Le recrutement d’un responsable RSE / ESG
au niveau du groupe est en cours »
Le Moci. La décarbonation des supply chain s’impose à tous, de façon croissante depuis 2 à 3 ans. Comment faites-vous face en tant que prestataire de service, aux attentes de vos clients dans ce domaine ?
Salvatore Alaimo. Pour répondre à cette transformation, le recrutement d’un responsable RSE / ESG au niveau du groupe est en cours. Cela étant, nous travaillons sur ce sujet depuis de nombreux mois, en abordant différents aspects qui vont de la sélection de notre sous-traitance, à l’évaluation carbone de nos bâtiments, en passant par les changements de systèmes d’éclairage sur nos différents entrepôts. Ces sujets deviennent effectivement prioritaires et stratégiques.
Jusqu’à 2022, nous étions sur une période d’essai. Désormais nous allons mesurer notre performance RSE / ESG de manière claire et avec des objectifs ambitieux pour 2023 et les années futures. Sur la partie commission de transport, c’est un gros chantier de sélection et de classement de nos nombreux sous-traitants en fonction des caractéristiques de leurs équipements.
Le Moci. On voit des accords se nouer entre prestataires et compagnies sur du carburant vert, par exemple, pour qu’ils puissent en faire bénéficier leurs clients chargeurs…
Salvatore Alaimo. Nous ne sommes pas sur les mêmes métiers. En revanche, dans le transport maritime, une nouvelle génération de navires commence à arriver en 2023, dont l’objectif est de réduire de 50 % les GES à horizon 2050. Notre politique sera d’offrir le choix à notre clientèle entre un navire de dernière génération décarboné et un navire d’ancienne génération impliquant un différentiel de prix sur lequel le client devra se positionner. Notre rôle sera d’aller chercher sur le marché les moyens disponibles et de mettre en avant la consommation carbone de chacun et son prix de d’utilisation. Le client choisira en fonction de sa propre politique.
Le Moci. Cette évolution va-t-elle être motrice dans les développements de votre groupe à l’avenir ?
Salvatore Alaimo. C’est une obligation. Même au niveau financier, aujourd’hui, quel que soit le métier, une entreprise commence à bénéficier d’avantages bancaires différenciants selon sa politique RSE/ESG. Plus vous répondez à des critères ESG, plus les conditions sont avantageuses. Les impacts sont donc déjà nombreux aujourd’hui et le seront de plus en plus dans les mois et les années à venir. C’est une obligation, non pas uniquement pour répondre à un enjeu commercial, mais aussi pour répondre à un enjeu réglementaire et environnemental.
Le Moci. On dit les entreprises françaises exportatrices, je pense aux PME et ETI, peu tournées vers la maîtrise de leur transport international. Partagez-vous ce point de vue ?
Salvatore Alaimo. Je ne partage pas cet avis. En fait, tout dépend vraiment des zones géographiques concernées. Vous avez des secteurs géographiques qui ont pour coutume de maîtriser 100 % leurs opérations que ça soit à l’import ou à l’export. Le meilleur exemple est la Scandinavie dont les opérateurs souhaitent maîtriser tous leurs flux. A contrario, pour les pays de la Méditerranée, les flux sont équilibrés : en règle générale, l’export est maîtrisé par la France et l’import est maîtrisé par les opérateurs du pays de destination.
Si je prends l’exemple du groupe Dimotrans, nos clients français maîtrisent 60 % de leur flux.
Propos recueillis par
Christine Gilguy