Le Medef, l’Afep et l’ICC ne cachent pas leur pessimisme sur les chances de succès de cette 12e conférence ministérielle de l’OMC. Dans leur lettre commune adressée le 23 novembre au ministre français en charge du Commerce extérieur Franck Riester, les trois organisations évoquent même « une forte probabilité d’un résultat décevant, sans commune mesure avec l’urgence de la situation du commerce mondial et de crise actuelle du multilatéralisme commercial ».
Parmi les défis auxquels doit répondre l’OMC et ses quelque 164 États membres, figurent « la transition écologique globale », qui doit être prise en compte dans le cadre juridique des pratiques du commerce international, de même que « la numérisation des échanges » et « un ordre juridique international fonctionnel ».
Grippage dans tous les rouages et « spaghetti bowl »
De fait, les rouages de l’OMC sont aujourd’hui profondément grippés, l’empêchant d’exercer ses principales fonctions, notamment celle d’encadrer la négociation des traités commerciaux multilatéraux. L’Organisation n’a pas réussi à accoucher d’un seul grand traité multilatéral depuis sa création en 1995, à l’exception de l’Accord sur la facilitation du commerce de 2013, considéré comme peu ambitieux. Aucune nouvelle règle commune non plus n’a été produite par l’OMC pour accompagner les deux grandes révolutions en cours que sont la numérisation des échanges et la transition écologique.
Pour contourner ce blocage, des négociations associant des petits groupes de pays membres de l’OMC volontaires ont été lancées dans le cadre d’initiatives plurilatérales (les Joint Statement Initiative ou JSI) sur certains sujets comme les échanges de services (64 participants), les règles de base en matière de commerce électronique (96 pays) ou la facilitation des investissements (106 membres). Mais de grands pays émergents y sont fermement opposés à l’instar de l’Inde, de la Chine ou de l’Afrique du Sud et font obstruction à leur éventuelle extension à d’autres pays.
Résultat : depuis quelques années, les accords commerciaux bilatéraux et régionaux se multiplient, au risque de transformer l’environnement juridique du commerce international en un entrelacs d’accords, à l’image d’un gros bol de spaghettis (spaghetti bowl). « Cela devient très compliqué pour les PME, notamment pour la question des règles d’origine » relève-t-on à l’ICC.
En outre, les entreprises continuent à se heurter à des pics tarifaires (droits de douane supérieurs à 10 %) sur certains produits comme le textile-habillement, la chaussure, la céramique ou encore les produits agricoles. Et sur les barrières non tarifaires au commerce (la Commission européenne en a relevé 438 dans 66 pays cette année), les négociations multilatérales sont au point mort.
Organe d’appel : plus de juges depuis décembre 2019
La fonction de règlement des litiges entre ses membres est aussi complètement grippée. Depuis décembre 2019, les dossiers en appel s’empilent sur les bureaux de l’Organe de règlement des différends (ORD) car son organe d’appel est paralysé, faute de juge. Leur renouvellement est bloqué par les États-Unis depuis bientôt cinq ans.
Les Américains réclament une réforme de cet organe d’appel, estimant notamment que les juges ont tendance à sortir de leurs champs de compétences. Mais ce sujet n’a pas avancé sous la présidence de Donald Trump, qui a pour ainsi dire ignoré l’OMC. Il n’a pas davantage évolué depuis l’arrivée de Joe Biden, qui, malgré des déclarations en faveur du multilatéralisme, n’a pas encore traduit cette promesse dans des actes concrets pour relancer l’OMC.
Douche froide pour les milieux d’affaires
Pour les entreprises, c’est la douche froide. « Les annonces de la présidence Biden sur l’attachement des États-Unis au multilatéralisme avaient nourri l’espoir d’une réforme structurelle (mise à jour des règles du commerce international et du fonctionnement de l’organisation) et non d’une énième quête de résultat de court terme » déplorent les trois organisations d’entreprises françaises dans leur lettre à Franck Riester.
« Malheureusement, les entreprises ont constaté ces trois derniers mois la baisse du niveau des ambitions aujourd’hui limitées au succès de l’initiative ‘commerce et santé’, à la conclusion de l’accord sur les subventions illégales à la pêche et à une feuille de route sur les négociations agricoles », écrivent-ils, égrenant l’ordre du jour décevant de la prochaine réunion ministérielle de l’OMC.
Derrière se profilent plusieurs motifs de préoccupations pour les entreprises européennes, qui sont autant de sujets divisant les membres de l’OMC : la question du statut des grands pays émergents, en premier lieu la Chine (sont-ils légitimes à continuer à bénéficier d’un traitement spécial et différencié comme les pays en développement ?) et la nécessaire réforme des règles sur les subventions publiques à l’exportation interdites pour élargir leur champ d’application à de nouvelles formes plus subtiles de subventions (il s’agit concrètement d’intégrer les nouvelles formes d’aides d’État pratiquées par la Chine à ses industries).
D’où leur soutien à « la mobilisation de la France et de l’Union européenne » pour obtenir des résultats plus ambitieux, à commencer par les réformes structurelles de l’OMC. L’enjeu pour les entreprises n’est même pas d’obtenir une réforme lors de cette réunion ministérielle mais « d’adopter une décision ou, a minima, une déclaration ministérielle actant le principe d’une réforme de l’OMC et jetant les bases d’une feuille de route crédible ». Elles souhaitent également que « la restauration de la fonction de règlement des différends » soit érigée par la France et l’UE en un « point dur des discussions ».
A quelques jours de cette réunion ministérielle, rien n’est moins sûr. Pour juger si cette réunion sera un succès ou un échec, les entreprises, elles, apprécieront la déclaration finale à l’issue de cette réunion ministérielle à l’aune des trois sujets suivants : la conclusion des négociations sur les subventions à la pêche (qui durent depuis 20 ans), une déclaration volontariste de l’OMC sur la lutte contre la pandémie, et une feuille de route sur les réformes structurelles de l’organisation.
A suivre…
Christine Gilguy