Le 30 mars 2011, la Cour de cassation a adopté une interprétation large de l’obligation de rapatriement des salariés en mission à l’étranger. Si le but est d’assurer une protection optimale des salariés licenciés hors de leur pays d’origine, une telle solution pourrait, à terme, priver ces salariés de la protection de la loi française.
Lors de la mise à disposition d’un salarié au sein d’une filiale étrangère, le lien de droit entre l’employeur français et le salarié subsiste, quel que soit le régime choisi (détachement ou expatriation). Il apparaît dès lors logique que le salarié soit réintégré dans ses fonctions antérieures au terme de la mission, ainsi que le prévoit l’article L.1231-5 du Code du travail. Toutefois, les évolutions récentes de la jurisprudence de la Chambre sociale laissent apparaître une interprétation très extensive des dispositions légales.
La Cour de cassation avait déjà opéré un revirement, en affirmant que l’obligation de rapatriement s’appliquait même en l’absence de tout lien contractuel subsistant entre le salarié mis à disposition et la maison mère (soc. 13/11/2008, n°06-42.583 et 07-41.700 ; ante : soc. 30/6/1993, Robertson c/ SA CEBTP). Dans son arrêt du 30 mars 2011, la Cour de cassation a eu l’occasion de confirmer sa position mais aussi d’étendre son interprétation à la situation où le salarié n’a jamais exercé la moindre activité en France (Soc. 30/3/2011, n° 09-70306).
Dans cette affaire, un salarié avait été embauché par la société mère française, en contrat à durée déterminée d’une durée de deux mois, dont l’exécution s’effectuait aux États-Unis, pour travailler à la création et à l’implantation d’une filiale.
À l’expiration de son contrat, le salarié fut logiquement recruté par la société américaine nouvellement créée. Cinq ans plus tard, licencié par son employeur américain, ce salarié demandait et obtenait devant les juridictions françaises sa réintégration au sein de la maison mère française.
Une décision favorable aux salariés en mission à l’étranger
Dans cette décision du 30 mars 2011, la Chambre sociale considère donc que le droit du travail français reste applicable et que la société mère doit assurer le rapatriement et le reclassement du salarié, même si le contrat de travail était totalement soumis au droit étranger. Une telle supériorité du droit français est pourtant contraire au principe de loi d’autonomie existant en droit international, consacré par l’article 3§1 du Règlement « Rome I ».
Les juges suprêmes adoptent ici une interprétation large de l’obligation de rapatriement en vue d’assurer une protection optimale des salariés licenciés hors de leur pays d’origine. Cette garantie supplémentaire accordée aux travailleurs en mission de courte ou longue durée à l’étranger leur permet de bénéficier des dispositions du droit français en matière de licenciement, mais également concernant toute forme de rupture du contrat local (transaction, cession de fonds de commerce…).
…mais défavorable
aux mutations intragroupes
Toutefois, une interprétation aussi large de la lettre de l’article risque de complexifier les mutations intragroupes.
En effet, il découle de cette nouvelle jurisprudence que tout salarié pouvant apporter la preuve qu’il a été lié par un contrat de travail avec la société mère française, pourra obtenir sa réintégration, même des années après le terme de la relation contractuelle.
La pratique de la mise à disposition des salariés devient dès lors très contraignante pour l’employeur français et devrait corrélativement se réduire : le risque de contentieux lié à la conclusion d’un contrat de travail intermédiaire peut, en effet, inciter les employeurs à passer par des embauches directes des salariés par leur filiale.
Or, un contrat local n’apportera pas au salarié la même protection que le droit français, considéré comme l’un des plus avantageux en droit social, notamment en termes de protection sociale.
Une telle jurisprudence pourrait alors produire l’effet inverse à celui recherché : priver les salariés de la protection de la loi française…
Nolwenn Labat, Dupiré & Associés