Il y a deux façons de considérer les échanges entre les deux rives de la Méditerranée. La première serait de se résoudre à constater un échec. Depuis 2008, année de la crise mondiale, les exportations totales intra méditerranéennes sont en retrait de plus de 100 milliards de dollars, avec environ un montant de 500 milliards de dollars en 2016.
Plus encore, la part relative du commerce intra régional dans les exportations méditerranéennes est passée de 31 % en 2000 à 29 %, d’après Coface. Enfin, la zone euro serait restée prédominante dans le commerce intra régional, avec une part de 79,4 % en 2016.
Les causes d’un échec régional
Les raisons de cet échec seraient au nombre de quatre :
-La première est bien connue. Les États de la mare nostrum se font concurrence, notamment ceux du sud et de l’est dans l’agriculture et le textile.
-La deuxième n’est pas surprenante. Les printemps arabes ayant fortement perturbé ces mêmes pays, tant d’un point de vue politique qu’économique, ils ont eu tendance à se refermer. C’est vrai de celui qui a inauguré ces révoltes en 2014, la Tunisie. Il est vrai qu’il est parti d’un taux très élevé de 106,5 % en 2012 et que son niveau d’ouverture reste, malgré tout, enviable, avec 90 % en 2016. Plus impressionnant, l’Égypte, dont le même rapport est tombé de 71,7 % à 30 % entre 2012 et 2016. Il y a quand même un pays qui ne s’est pas refermé, c’est le Maroc, dont le taux d’ouverture est resté stable.
– La troisième raison est plus étonnante. Elle consisterait à dire que depuis le processus de Barcelone ou partenariat Euromed, institué en 1995 à l’initiative de l’Union européenne (UE), l’accumulation d’accords multilatéraux (Zone libre d’échange arabe, accord d’Agadir) et bilatéraux (Turquie avec le Maroc…) a généré « des effets pervers, des contraintes différentes sur les produits, sur les normes, qui ont été autant de freins au commerce », selon Sofia Tozy, économiste Europe du Sud et Afrique du Nord chez Coface.
-La quatrième raison est le protectionnisme, sous forme de taxes, mesures anti-dumping, subventions publiques ou quotas. D’après Coface, « depuis 2012, dans l’ensemble de la Méditerranée, 381 mesures protectionnistes nettes ont été mises en place, dont près de la moitié à l’encontre d’autres pays de la région », alors que « les mesures de libéralisation adoptées sont en baisse », avec « en 2016-2017 42 mesures entrées en vigueur contre 79 en 2012-2013 ».
L’Algérie vient, par exemple, du suspendre temporairement l’importation de 851 types de produits. Dans l’Est-Med *, les mesures sanitaires et phytosanitaires prévalent, à l’exception notable de la Turquie, plus encline à la mise en place de dispositifs techniques, type inspections des produits. Pour sa part, l’Union européenne (UE) impose ses propres normes en matière de qualité des produits.
Des évolutions régionales et sectorielles
La deuxième façon de considérer la Méditerranée serait de se réjouir de la construction de liens géographiques secteur par secteur à l’intérieur de la Méditerranée. C’est le propos et toute l’originalité du Panorama Coface d’avril 2018, intitulé « Les nouvelles routes du commerce méditerranéen ». Les auteurs, Sofia Tozy, Ali Trifaia et Mélinda London, y développent deux points essentiels :
1/- Si l’intégration en Méditerranée a subi une lente régression, en revanche, les courants de production et d’exportation ont évolué pour certains secteurs dans chaque région.
2/- Les régions Est-Med et Sud-Med sont devenues les principaux acteurs de nouvelles routes commerciales.
S’agissant de l’évolution des flux sectoriels, trois grandes tendances sont apparues :
1/- Pour Euro-Med : diminution de son rôle dans les secteurs à forte valeur ajoutée comme l’automobile et les technologies de l’information et la communication (TIC) au profit des exportations de produits agricoles transformés et chimiques.
2/- Pour Sud-Med et Est-Med : montée en gamme dans la production, par exemple, automobile, au détriment de domaines traditionnels, tel le textile.
3/- Pour les Balkans : même dans cette région qui a peu évolué, on constate, de façon notable, une poussée des exportations de biens agroalimentaires et de métaux.
La naissance de routes au départ de l’est et du sud
En ce qui concerne les routes commerciales entre le Sud-Med et l’Est-Med, quatre secteurs sont concernés : automobile, TIC, énergie et chimie.
-AUTOMOBILE
« La politique d’intégration dans les chaînes de valeurs mondiales avec le développement et le renforcement des secteurs industriels pour le Maroc et la Turquie a contribué à une reconfiguration des exportations automobiles au sein de la Méditerranée », expliquent les auteurs.
Globalement, comme exportateur dans la zone Méditerranée le Maroc n’existait pas et la Turquie ne représentait qu’une part minime, 2 %, en 2000. En 2016, le Maroc a émergé à 4 %, et la Turquie avec 13 % s’est rapprochée de l’Italie, avec 18 %, alors que la France et l’Espagne, toujours leaders, ont rétrogradé, en passant de 39 % à 23 % et de 37 % à 34 %. La route commerciale est donc Maroc-Turquie vers Euro-Med et Est-Med.
De façon plus détaillée, s’agissant du Maroc, si en 2000 ce secteur représentait 1,5 % du total de ses exportations avec l’Égypte, 0,4 % avec la Turquie et 0,9 % avec la France, ces proportions ont depuis accéléré jusqu’à atteindre respectivement 79 %, 34,1 % et 12,9 % en 2016.
S’agissant de la Turquie, si au début du millénaire ce secteur représentait 37,1 % de ses exportations avec la Slovénie et 27,7 % avec la France, ces proportions sont passées respectivement à 71,6 % et 33,1 % en 2016.
-TIC
Deux pays en vedette : le Maroc et la Tunisie. Le premier a diversifié ses flux vers l’Espagne et l’Italie au détriment de la France, du Portugal et de Malte. Quant à la Tunisie, sa spécialisation dans ce secteur lui a permis de représenter 30 % de l’ensemble des exportations vers l’Euro-Med. Ainsi, alors qu’en 2000 les TIC représentaient 21,3 % de ses exportations globales vers la France et 7,2 % vers l’Espagne, ces proportions ont grimpé en 2016, en atteignant respectivement 41,5 % et 22 %. C’est donc clairement une route commerciale Maroc-Tunisie vers Euro-Med.
-CHIMIE
Deux pays encore se détachent : Égypte et Chypre. C’est une route commerciale Égypte-Chypre vers Est-Med et Euro-Med. Producteur traditionnel dans la chimie et les plastiques, l’ancien pays des pharaons est plus orienté vers la Turquie et le Liban et Chypre vers l’Est-Med.
S’agissant de l’Égypte, on remarque, toutefois, une croissance des approvisionnements vers la France. Le secteur ne représentait que 9,3 % de ses livraisons dans l’Hexagone en 2000. Cette part avait grimpé à 49,1 % en 2016. Avec la Turquie, elle s’élevait à 39,5 % contre 14,8 % au début du millénaire.
S’agissant enfin de Chypre, la chimie constituait 19,4 % de ses ventes à Israël en 2000 et 5,7 % avec la Grèce. Ces deux parts ont augmenté jusqu’à 47,6 % et 31,4 % respectivement en 2016.
-ÉNERGIE.
Deux tendances majeures perdurent : les exportations d’hydrocarbures perdent de l’importance par rapport aux produits raffinés et deux pays émergent, Grèce et Malte. C’est une route commerciale Grèce-Malte vers l’Est-Med.
S’agissant de la Grèce, « un pays qui, après la crise, a dû trouver de nouveaux marchés pour compenser la baisse de la consommation domestique et possède aujourd’hui quatre grandes centrales de raffinage », précise Sofia Tozy. Alors, que l’énergie ne représentait que 14,2% de ses ventes globales à l’Égypte en 2000 et 42,1 % avec le Liban, ces parts se montaient respectivement en 2016 à 73,7 % et 92,2 %.
Enfin, en ce qui concerne Malte, si l’énergie représentait 15,9 % de ses fournitures à l’Égypte en 2000 et 0,6 % à la France, ces proportions sont passées à 97,3 % et 41 % respectivement seize ans plus tard.
Pour ce qui est de l’approvisionnement en matières premières, Sofia Tozy conseille de rester très attentif « à l’effervescence » actuelle dans la région, faisant ainsi allusion aux ambitions de l’Égypte, d’Israël ou de Chypre dans les hydrocarbures, notamment dans le gaz.
François Pargny
* Coface divise la Méditerranée en quatre régions : Euro-Med : Portugal, Espagne, France, Italie, Slovénie, Grèce, Chypre, Malte ; Sud-Med : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte ; Est-Med : Israël, Turquie, Liban ; et Balkans : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Monténégro.
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