Fini l’ouverture à tout va, place à la réciprocité : après près de 10 ans de laborieuses négociations, le Conseil de l’Union européenne (UE), le Parlement européen (PE) et la Commission européenne (CE) sont parvenus, au terme d’une réunion en trilogue à Bruxelles le 14 mars, à un accord politique pour doter l’UE d’un nouvel instrument de réciprocité dans les marchés publics internationaux. Il vise à appliquer des mesures de restriction d’accès aux marchés publics européens aux opérateurs originaires de pays qui n’ouvrent pas leurs propres marchés publics aux entreprises européennes.
La problématique est connue : le marché mondial de la commande publique est estimé à 8000 milliards d’euros chaque année, dont environ un quart pour l’UE. Sauf que si les marchés publics européens sont actuellement ouverts à plus de 90 % à la concurrence internationale, ce n’est pas le cas de nombre de pays tiers, où les entreprises européennes se heurtent à des obstacles.
La Chine, par exemple, est régulièrement épinglée par les entreprises européennes dans ce domaine, mais des pays comme les Etats-Unis ou le Japon (jusqu’à la signature d’un accord de libre-échange) ne sont pas en reste. Secteurs concernés : la construction, les transports publics, les dispositifs médicaux, la production d’électricité et les produits pharmaceutiques, autant de domaines dans lesquels les entreprises européennes sont très compétitives.
Cette absence de réciprocité crée donc des situations de concurrence déloyale : des entreprises étrangères peuvent remporter des marchés publics en Europe et sont traitées d’égal à égal avec les entreprises européennes, mais ces dernières ne bénéficient pas de la même ouverture dans les pays de leur concurrent. Elle prive en outre ces dernières d’opportunités économiques alors que la commande publique représente entre 15 % et 20 % du PIB d’un pays.
Cet accord, très attendu des entreprises européennes qui se heurtent à toutes sortes de restrictions d’accès aux marchés publics dans les pays tiers, doit encore être formellement entériné dans les prochains jours en suivant les procédures internes de chaque institution.
Des pénalités après un dialogue
Quelles sont ses grandes lignes du projet de nouvel instrument de réciprocité, IPI pour l’acronyme anglais (International Procurement Instrument) ?
Concrètement, la Commission européenne pourra dorénavant, au terme d’une procédure privilégiant le dialogue, pénaliser les pays qui n’ouvrent pas suffisamment leurs marchés publics dans les secteurs où l’UE a, elle, ouvert les siens.
« Dans un esprit de réciprocité et de concurrence loyale, les entreprises de ces pays se verront restreindre l’accès aux marchés publics européens » précise un communiqué du ministre en charge du Commerce extérieur, Franck Riester, qui a présidé cette réunion en trilogue à Bruxelles le 14 mars. « Cette restriction se traduira dans les faits par une pénalité appliquée à ces entreprises dans l’évaluation de leurs offres en réponse aux marchés publics, voire par une exclusion totale de ces entreprises des marchés publics européens dans le secteur concerné » complète-t-il.
Et pour éviter le risque de contournement, le nouveau règlement européen imposera aux lauréats d’un marché public européen de limiter leurs approvisionnements auprès d’un pays tiers visé par ces mesures dans le cadre de l’exécution du marché. « La perspective de l’application de cet instrument permettra ainsi d’inciter les partenaires commerciaux de l’Union européenne à ouvrir leurs marchés publics aux entreprises européennes » précise le communiqué.
L’UE se défend par avance de tout protectionnisme : « cet instrument respectera pleinement les engagements bilatéraux et multilatéraux de l’Union européenne vis-à-vis de ses partenaires » assure le Quai d’Orsay. « Les mesures de restriction qu’il prévoit n’ont vocation à s’appliquer qu’aux entreprises issues de pays et secteurs non couverts par un accord avec l’UE comportant des dispositions sur l’accès aux marchés publics, à l’image de l’accord plurilatéral sur les marchés publics conclu dans le cadre de l’OMC ».
Un succès pour la PFUE
C’est un succès pour la présidence française de l’UE (PFUE), même si les travaux de fonds sur le plan politique et techniques avaient précédé la réunion du « trilogue », le 14 mars à Bruxelles. Alors que la Commission européenne avait déposé en 2012 une proposition, il a fallu attendre 2021 pour que le Conseil trouve un consensus sur un texte en juin 2021, suivi par le PE quelque mois plus tard. L’accord, soutenu depuis le début par la France, signe, en quelque sorte, la synthèse consensuelle.
« L’Europe naïve, c’est du passé, un nouvel exemple que l’Europe commerciale est entrée dans le XXIème siècle, s’est félicité Franck Riester dans un communiqué. Dix ans après la première proposition de la Commission européenne, cet accord marque une étape historique dans la construction d’une Europe moins naïve, qui protège nos emplois, crée des opportunités pour nos entreprises et assure la réciprocité ainsi qu’une concurrence loyale dans nos échanges commerciaux. Ce nouvel instrument va faciliter l’ouverture aux entreprises européennes des marchés publics de nos partenaires, entreprises dont le savoir-faire et l’excellence sont reconnus mondialement, et faire table rase de l’inégalité de traitement qu’elles subissent. Cet instrument, qui contribuera à la croissance et à la reprise économique, est donc une opportunité sans précédent pour nos entreprises, par exemple dans les secteurs des infrastructures, des transports ou de la ville durable ».
A suivre…
Christine Gilguy