📌L’essentiel. Ses racines historiques sont à Lacq, dans le Sud-Ouest de la France, mais ses ailes la tirent partout dans le monde où producteurs et jardiniers amateurs recherchent des alternatives aux pesticides. En une douzaine d’années, les produits de biocontrôle à base de phéromones de M2i Life Sciences se sont imposés dans de nombreux marchés, répondant aux besoins d’un nombre croissant de cultures végétales. Elle n’aurait pas été si vite sans une stratégie d’homologation résolument mondiale et le précieux levier de la…diplomatie économique.
🔑Les clés de la réussite :
– Un produit innovant qui cochent toutes les cases des très strictes réglementations sanitaires et phytosanitaires européennes
– Une R&D haletante capable de mettre au point des solutions adaptées aux usages de chaque marché
-Un art d’utiliser le réseau méconnu de la diplomatie économique, pourtant au service de toutes les entreprises
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L’HISTOIRE
Du charançon de la banane au collier anti-loup
Depuis quelques semaines, dans les alpages des Pyrénées et des Alpes, beaucoup d’éleveurs espèrent : un collier anti-loup, pour protéger les troupeaux des attaques des canidés, est testé à grande échelle. Imbibé de phéromones extraites d’excréments de loups et passé au cou des moutons, brebis et autres mammifères ruminants, il éloigne les prédateurs en leur faisant croire par la voie olfactive qu’un de leur congénères est déjà dans la place.
Une solution pacifique et naturelle pour mettre fin au conflit permanent entre éleveurs et protecteurs des loups ?

C’est en tout cas l’une des dernières nées des innovations mises au point par la R&D de M2i Life Sciences, société française plus connue pour s’être propulsée, depuis sa création en 2012, comme un leader mondial des produits à base de phéromones destinés à la protection naturelle de toutes sortes de cultures, des céréales aux fruits en passant par les légumes et les fleurs, contre leurs ravageurs. Une alternative crédible et « bio » aux pesticides et, pour ce qui concerne les loups, peut-être aux coups de fusils et autres pièges létaux !
« Nous avons beaucoup évolué ces dernières années, notamment parce que nous avons obtenu de très nombreuses autorisations de mise sur le marché, souligne Christian Le Roux, secrétaire général de M2i Life. Nous détenons aujourd’hui de très nombreuses homologations, 120 sur toute la planète ».

En quelques années, cette ancienne jeune pousse française de la « Biotech » multi-primée est devenu un petit groupe de 200 personnes disposant d’un siège à Paris et de 3 autres sites opérationnels dans l’Hexagone, dont son principal site de production à Arles, son centre de R&D historique à Lacq et un centre logistique à Cahors.
Son portefeuille ne compte pas moins de 70 produits de biocontrôle, répondant aux besoins d’agriculteurs et d’éleveurs, mais aussi des jardiniers amateurs. Que de chemin parcouru depuis les premiers développements à partir de recherches menées sur les phéromones efficaces sur le charançon de la banane par une petit laboratoire racheté en 2012 par les cofondateurs, Philippe Guerret, Bruno Gény et Olivier Guerret, toujours aux manettes aujourd’hui.
Les activités de la R&D, dont les effectifs représentent 40 % des 200 salariés de l’entreprise, se poursuivent à plein régime : bananier, vigne, la betterave, maïs, riz, tomate, manguiers… Les possibilités sont aussi variées que le sont les cultures et leurs coléoptères nuisibles. Les phéromones extraits de ces derniers, capables de les perturber ou de les éloigner, sont synthétisées, puis produites industriellement pour ensuite permettre de les appliquer sur plantations à protéger de leur appétit. Le trésor de l’entreprises ? 35 familles de brevets, regroupant près de 400 brevets. Et de nouveaux produits sont encore dans les tuyaux.
Le levier d’une garantie Made in France
Depuis la fin de la crise sanitaire, l’expansion à l’international se fait au rythme des homologations obtenues. M2i Life Sciences, qui a réussi une levée de fonds de 60 millions d’euros en 2019 (Eurazeo Growth, ADM Capital, Téthys Invest, Creadev et France 2i) pour élargir son portefeuille de produits homologués dans le monde, est aujourd’hui présente dans une soixantaine de pays à travers des filiales, des distributeurs et des partenaires. Son chiffre d’affaires -dont le montant reste confidentiel- est réalisé à 70 % à l’international.
Obtenir une homologation locale, indispensable sésame pour pouvoir commercialiser un produit relevant des domaines sanitaire et phytosanitaire, n’est pas chose aisée, surtout lorsqu’on arrive avec un produit innovant bousculant les acteurs déjà installés sur le marché. « La chance que l’on a, c’est d’être français », assure Christian Le Roux sans hésiter.
« En France une fois qu’on obtient une homologation de l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail] pour un produit, derrière on peut obtenir des reconnaissances mutuelles de tous les pays membres de l’Union européenne, glisse le secrétaire général de M2i Life. En outre, le fait de travailler avec une agence aussi rigoureuse, parfois compliquée, qu’est l’Anses, nous oblige à monter des dossiers de demande très complets sur des aspects comme la toxicité, l’écotoxicité, l’absence de résidus ou d’impact sur le sol, le sous-sol et les eaux. Mais ça nous aide pour les procédures d’homologation hors de l’UE : on a déjà tout lorsque l’on constitue un dossier de demande. »
Une politique mondiale d’homologation
Et parfois, dans certains pays émergents, les exigences des procédures locales sont moindres qu’en Europe, facilitant les démarches administratives. C’est donc solidement préparé que M2i Life peut partir à la conquête de nouveaux marchés et gagner du temps sur l’incontournable aspect réglementaire, quitte à s’implanter localement lorsque c’est nécessaire.

Le groupe a ainsi multiplié les implantations locales pour faciliter ses demandes d’homologations : rachat d’une société au Chili (Santiago), création de structures de droit local en Argentine (Mendoza puis Buenos Aires), au Brésil (Sao Paulo) et en Afrique du Sud (Johannesburg). En Argentine, où les produits de M2i Life Sciences sont utilisés pour protéger le vignoble dans la région de Mendoza, il s’agit aussi de préparer le développement de nouveaux marchés comme le maïs. A terme, la filiale argentine a vocation à devenir un « hub » pour toute l’Amérique latine.
« Cette politique mondiale d’homologation est une stratégie mais aussi une obligation : pas d’autorisation de mise sur le marché, pas de vente dans le pays cible » tempère Christian Le Roux. En Argentine, par exemple, trois ans ont été nécessaires pour obtenir le précieux sésame. Autant dire qu’une telle stratégie doit être menée pas à pas, et dans le temps long.
Dans ce contexte, l’autre levier qui a permis à l’entreprise de soutenir cette expansion internationale tous azimuts est la diplomatie économique, dont Christian Le Roux connaît tous les rouages.
L’homme de la diplomatie économique
Utiliser le réseau de la diplomatie économique française pour mettre de l’huile dans les rouages d’administrations lointaines, c’est justement l’une des tâches de Christian Le Roux. Outre ses fonctions au sein de l’entreprise, il est notamment actif au sein de Medef international, association affiliée au Medef chargée d’organiser missions de prospection et délégations d’hommes d’affaires participant aux voyages officiels, mais aussi d’organiser des rencontres d’affaires pour les délégations étrangères en visite en France. Il en est même le vice-président du pôle agri-agro.

Son parcours professionnel en fait un bon connaisseur des codes de l’administration et de la diplomatie : avant de rejoindre la jeune pousse en 2016, quatre ans à peine après sa création, cet avocat de formation avait suivi une carrière de 25 ans dans la haute fonction publique, à divers postes de responsabilité à l’association des Maires de France, dans des cabinets ministériels, auprès du médiateur de la République, ou de la présidence du Conseil économique, social et environnemental.
Autant dire que cet homme avenant maîtrise bien tous ces rouages, une compétence qui manque parfois aux startups des nouvelles technologies voire aux PME qui méconnaissent, voire se méfient de l’administration. « C’est un peu le pari qu’a fait mon président en me demandant de le rejoindre : prendre un profil comme le mien dans une startup qui employait à peine une trentaine de personnes » exprime Christian Le Roux sans fausse modestie.
Savoir rebondir sur les « clauses miroir »
Il faut croire que son président, à l’époque, voyait grand et loin. Christian Le Roux résume ainsi l’objectif de la démarche pour une PME comme M2i Life Sciences : « Il s’agit pour nous de faire appliquer ce qu’on appelle les ‘ clauses miroirs ‘ en matière de pesticide : tous les pays non membres de l’Union européenne ne peuvent y exporter des produits agricoles traités avec des pesticides interdits dans l’Union. Ces clauses miroirs existent à la fois pour protéger nos propres agriculteurs en évitant les distorsions de concurrence, et pour protéger la santé de nos consommateurs ».
Car les solutions sans pesticide de M2i Life Sciences cochent toutes les cases des réglementations européennes. En outre, et c’est l’une de ses autres bottes secrètes, ses équipes de R&D savent mettre au point des conditionnements spécifiques en fonction des pratiques agricoles locales : « En France, on propose des clips biodégradables faits à partir du lin et imbibés de phéromones pour le palissage des vignes, en Argentine, on utilise des avions et des drones, détaille Christian Le Roux. On s’adapte aux habitudes des agriculteurs ». Pour le maïs, le catalogue va de petits pièges pour le petit producteur à des conditionnements adaptés aux pulvérisations par avion pratiquées en Argentine ou au Brésil.
De quoi intéresser les pays qui veulent pousser les exportations de leurs producteurs vers l’UE tout en réduisant les nuisances pour leurs propres populations. Encore faut-il que les autorités locales les connaissent et soient convaincues de leur efficacité. Pour leur faire savoir et susciter leur confiance, rien de mieux que de saisir l’occasion de participer à une délégation officielle lors d’une visite présidentielle, sur place.
Maroc, Brésil, Vietnam… l’intense agenda des délégations
L’agenda de Christian Le Roux est rempli chaque année de ces rendez-vous incontournables et ses récits fourmillent d’anecdotes. Il faisait ainsi partie des nombreux dirigeants d’entreprises participant à la délégation présidentielle conduite par Emmanuel Macron en novembre dernier au Maroc, pour marquer le rétablissement de relations bilatérales fructueuses.
« Nous avions une demande d’homologation en attente depuis deux ans sur place auprès de l’Onssa [Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires], l’équivalent de l’Anses au Maroc, relate Christian Le Roux. Il se trouve que l’application des clauses miroirs fait que des tonnes de tomates traitées avec des pesticides interdits en Europe sont refoulées d’Espagne depuis quelques années. Participer à la visite présidentielle nous a permis de faire passer des messages et d’accélérer l’instruction de notre demande. Aujourd’hui, notre produit destiné à la protection des tomates est homologué au Maroc, nous avons commencé à le commercialiser avec nos partenaires sur place ».
La diplomatie économique est d’autant plus efficace pour faire avancer ce genre de cause que la France dispose d’un réseau diplomatique très important, le cinquième mondial par nombre de postes.
Christian Le Roux insiste sur ce point, car il estime que cet outil précieux est trop méconnu et sous-utilisé par les entreprises, notamment les PME. « Nous avons la chance, dans notre domaine, d’avoir des attachés agricoles au sein des ambassades quasiment partout dans le monde » glisse-t-il. Ces fonctionnaires dédiés aux problématiques agricoles et agro-alimentaires sont pour des PME comme M2i Life Sciences des relais précieux, localement, pour suivre les évolutions des marchés et identifier les contacts utiles tant parmi les administrations et agences publiques que les distributeurs locaux. Les services économiques complètent ce réseau.
Entrevue décisive avec le président Lula

Au Brésil, là encore, la diplomatie économique a fait des merveilles pour la PME, qui y a ouvert sa structure à l’automne dernier.
Christian Le Roux a participé à la délégation de dirigeants d’entreprise qui a accompagné le président français lors de sa visite d’État en mars 2024. Il a même pu échanger directement avec le président Lula, à qui il a été présenté directement par Emmanuel Macron lors d’un cocktail (photo en couverture et ci-contre). Dans la foulée de cette entrevue imprévue, M2i Life Sciences a déposé en juin 2024 une demande d’homologation pour un produit de biocontrôle du maïs, un énorme enjeu au Brésil qui n’aligne pas moins de 5 millions d’hectares de cette culture. Elle espère le précieux sésame pour juin 2025.
La même demande d’homologation pour le maïs a été déposée en Argentine, où les technologies de la PME sont déjà reconnues et adoptées pour traiter la vigne mais aussi en Afrique du Sud, après un premier succès obtenu en Zambie.
Cap sur l’Asie du Sud-Est
La planète est grande, les espèces à protéger nombreuses, M2i Life Sciences a encore beaucoup à faire. Mais la PME met la priorité pour le moment sur les marchés les moins coûteux à approcher.
Christian Le Roux a ainsi fait partie de la délégation qui a suivi Emmanuel Macron dans une visite d’État en Chine effectuée en 2019. Mais « c’est compliqué, à la fois en matière de protection intellectuelle et en matière de réseau de distribution » souligne Christian Le Roux. La Chine a été laissée pour plus tard, comme les États-Unis, deux très grands marchés mais complexes et coûteux à pénétrer.
La PME a préféré se concentrer sur l’Europe, son terrain de jeu naturel où elle est désormais très présente dans tous les bassins agricoles (Allemagne, Espagne, Italie, Pologne…), l’Amérique latine, le continent africain, où elle poursuit ses percées, et dans une moindre mesure, le Moyen-Orient où elle a des perspectives dans le domaine de la protection des palmiers (photo ci-dessus).
Elle commence tout juste à s’attaquer à l’Asie du Sud-Est, sa nouvelle priorité géographique, et celle, au passage, des autorités françaises. Au Vietnam, M2i Life a lancé, avec un partenaire local et en coopération avec le ministère de l’Agriculture vietnamien, une campagne d’essais pour un produit destiné à protéger le riz et les premiers résultats sont « très positifs ».
Là encore, les perspectives sont immenses. « Nous pensons que le riz et le maïs seront les deux moteurs de notre croissance en Asie du Sud Est, et ensuite en Chine » conclut Christian Le Roux.
📖✨🧠Les leçons :
- La vigne en Argentine, le maïs en Amérique latine et en Afrique, le riz au Vietnam…Diversifier sa gamme de produits permet de répondre à un plus grand nombre de besoins et d’accélérer l’internationalisation
- Les outils de la diplomatie économique française ne sont pas réservés aux grands groupes mais ils ne s’usent que si on s’en sert…
- Il faut savoir recruter des compétences hors de sa zone de confort habituelle…
Christine Gilguy