Marc Cagnard et Michel Bauza sont respectivement directeurs de l’Afrique subsaharienne et de l’Afrique du Nord à Business France. Le Moci les a rencontré dans le cadre d’Ambition Africa, un forum d’affaires qui a rassemblé de nombreuses entreprises françaises et africaines les 4 et 5 octobre à Bercy. L’occasion de faire le point sur les marchés africains en cette période troublée.
Le Moci. La conjoncture internationale est particulièrement difficile pour les entreprises. Quels sont les secteurs porteurs dans vos régions respectives ?
Marc Cagnard. Sans grande surprise, les infrastructures de transport et les domaines liés à la mobilité constituent des secteurs porteurs de même que les énergies renouvelables, l’environnement, le traitement de l’eau et des déchets ainsi que les smart cities. L’agriculture et l’agroalimentaire ont également un beau potentiel. Nous menons aussi actuellement des actions dans le numérique.
En Afrique, notre approche est différente d’autres destinations en ce sens que nous ne sommes pas dans de l’export pur. Nous accompagnons les entreprises sous cet angle comme dans de nombreuses autres zones, mais la logique d’implantation est aussi importante. Nous sommes véritablement dans un état d’esprit de co-développement, de co-industrialisation, de co-innovation, de co-entrepreneuriat et finalement de partenariat gagnant-gagnant.
Le Moci. L’endettement des Etats africains est particulièrement important. Les entreprises françaises dans des secteurs liés à la commande publique sont-elles inquiètes de la situation ?
M.C. Les entreprises françaises sont vigilantes mais demeurent malgré tout confiantes tant les besoins sont énormes. Notre travail d’accompagnement s‘articule aussi avec l’action des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux. Nous organisons des missions avec ces derniers, ce qui permet aux entreprises de prendre connaissance très en amont de leurs projets et de savoir comment s’y positionner. L’AFD et Proparco ont ainsi des enjeux très forts en Afrique.
« La recomposition des chaînes de valeur mondiales
génère une demande importante du secteur privé. »
Michel Bauza. En Afrique du Nord, la présence française est massive pour l’offshoring industriel, en particulier le Maroc, la Tunisie et dans une moindre mesure l’Egypte, trois pays qui sont déjà plus ou moins bien intégrés dans les chaînes de valeur européennes et actuellement très sollicités. Les exportations à destination de l’Afrique du Nord dépassent celles vers le reste du continent.
C’est une région assez industrialisée, vers laquelle le phénomène de recomposition des chaînes de valeur mondiales, génère une demande importante du secteur privé. En France, il y a une chance sur deux pour que votre box Internet ait été assemblée par Sagemcom, en Tunisie. La tradition d’offshoring dans ces pays a permis le développement d’importantes capacités de production, en Tunisie et au Maroc dans la mécanique, l’automobile, la mécatronique, l’électronique, l’aéronautique ou encore le textile.
Dans le digital et le numérique, une génération d’ingénieurs bien formés arrive sur le marché et ils sont recherchés par les entreprises. Sofrecom, filiale d’Orange en Tunisie, emploie par exemple mille d’entre eux. Par ailleurs, l’Afrique du Nord est une plateforme à partir de laquelle les entreprises peuvent se projeter plus loin.
Il y a des inquiétudes bien sûr. Certains pays sont sortis en difficulté de la crise, d’autres ont des fondamentaux plus solides que d’autres. Je pense au Maroc qui a un cap, des ambitions industrielles et des finances assez saines. La situation est plus complexe en Algérie, mais elle est en train de s’éclaircir, avec notamment, dans le cadre de nos relations bilatérales, la visite en août du président Emmanuel Macron et celle d’Elisabeth Borne les 10 et 11 octobre avec une délégation d’entreprises que nous montons. Les revenus des hydrocarbures permettront certainement de générer de nouveaux partenariats gagnants-gagnants, dans une logique de co-développement.
La situation macroéconomique est plus complexe en Tunisie qui a besoin de finaliser un accord avec le FMI, actuellement en bonne voie. Ce pays connaît également une période de transition politique, tout en conservant un secteur privé très dynamique.
Le Moci. Comment accompagnez-vous les PME et ETI françaises en Afrique ?
M.B. Notamment en organisant des événements comme celui-ci [Ndlr : Ambition Africa]. On fait venir des entrepreneurs : il y a 140 entrepreneurs d’Afrique du Nord, y compris de Libye, à Ambition Africa, alors qu’ils étaient une cinquantaine l’an dernier en raison du Covid.
Sur place, nous avons organisé la semaine dernière à Tunis un forum Afrique-France de la transition énergétique et écologique. C’est un peu un pari parce qu’on sait que la commande publique va être ralentie. Nous avons donc ciblé le secteur privé avec d’une part les entreprises locales qui sont présentes dans l’offshoring et qui doivent se mettre aux normes environnementales européennes et d’autre part, des entreprises françaises proposant des solutions technologiques pour y répondre. Nous avons réuni 600 entrepreneurs de sept pays africains et 55 entreprises françaises et ça a très bien marché pour le secteur de l’eau, les économies d’énergie ou la ville durable.
Oui, il y a des difficultés macroéconomiques, mais le dynamisme est porté par le secteur privé vers lequel nous essayons de nous orienter.
« L’Afrique est la seule région du monde dont la perspective de croissance n’a pas été revue à la baisse. »
M.C. Nous sommes sur un terrain d’intervention qui a une belle dynamique malgré les crises. L’Afrique est la seule région du monde dont la perspective de croissance n’a pas été revue à la baisse. Sur la zone subsaharienne, cette croissance est estimée à 3,8 % en 2022, ce qui est encourageant, avec de nombreuses opportunités et un environnement des affaires de plus en plus favorable au secteur privé. Nous accompagnons ces entreprises de manière individuelle ou au travers de séquences collectives, sur un ou plusieurs pays, selon un angle sectoriel, avec toujours un important travail de préparation et de mise en relation avec le tissu local.
Le Moci. Quid des marchés anglophones sur lesquelles les entreprises françaises sont traditionnellement moins présentes ?
M.C. Les entreprises vont naturellement en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest où il existe une forte demande pour le Sénégal, le Cameroun et la Côte d’ivoire. Nous les invitons à regarder vers l’Afrique de l’Est où elles vont moins naturellement – au Kenya, en Ethiopie, en Tanzanie, au Rwanda ou en Ouganda – mais aussi plus au Sud, en Afrique Australe. Cette dernière est plus lointaine, mais les entreprises qui y vont sont en général très satisfaites et je ne parle pas que des grands groupes.
Le Moci. Quels événements organiserez-vous dans les prochains mois ?
M.B. La semaine prochaine [Ndlr : le 10 octobre] se tiendra une réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau à Alger à l’occasion de la visite d’Elisabeth Borne avec une délégation d’une cinquantaine d’entreprises françaises. L’idée est de reconstruire une relation entrepreneuriale apaisée après une période de tensions qui est allée jusqu’au rappel d’un ambassadeur. Nous sommes sur une nouvelle dynamique après la visite d’Emmanuel Macron au cours de laquelle il a beaucoup été question de culture et d’histoire.
La semaine suivante le ministre délégué en charge du Commerce extérieur Olivier Becht sera en visite au Maroc. Nous aidons la Chambre de commerce et d’industrie franco-marocaine, qui est notre partenaire Team France Export, à mobiliser une délégation d’entreprises qui l’accompagneront. L’autre gros événement d’ici à la fin de l’année sera le Sommet de la francophonie de Djerba, en Tunisie, en présence du président de la République Emmanuel Macron. Dans ce cadre nous accompagnons des entreprises françaises de l’Edtech qui développent des solutions numériques pour l’éducation et la formation. Une trentaine d’entreprises françaises feront le voyage et participeront à un colloque pour l’espace francophone en Afrique, qui donnera lieu à un livre blanc avec de nombreux partenaires.
« Le programme est dense pour nos deux régions, signe d’un grand intérêt pour l’Afrique de la part de nos entreprises. »
Le Moci. Et en Afrique subsaharienne ?
M.C. Pour vous donner un ordre d’idée, nous organisons environ 70 événements par an dans les 4 grandes filières sectorielles dans lesquelles nous intervenons. Cette semaine, la Région Normandie emmenait une dizaine d’entreprises en Côte d’Ivoire.
La semaine suivante, nous organisons avec Ethiopian Airlines une opération de type « Vendre à » destinée à inciter les PME à se positionner auprès de ce grand compte. Cette compagnie de premier plan en Afrique a notamment des besoins précis pour l’aménagement intérieur de ses avions, la manutention au sol et un vaste panel d’activités connexes. Après un recensement de ses besoins, nous avons sélectionné des entreprises que la compagnie aérienne choisit in fine de rencontrer ou non. Sur les 15 entreprises qui ont été présentées, toutes ont été retenues.
En octobre, le ministre Olivier Becht sera en Côte d’Ivoire avec une délégation d’entreprises. En Afrique du Sud, dans le secteur du numérique, nous organisons en novembre un pavillon français sur le salon Africa Com au Cap avec une quinzaine d’entreprises. En décembre, nous aurons au Sénégal une délégation d’une vingtaine d’entreprises de l’accélérateur Afrique de Bpifrance dont c’est la deuxième promotion. Le programme est donc bien dense pour nos deux régions, signe d’un grand intérêt pour l’Afrique de la part de nos entreprises.
M.B. Les « Vendre à » sont des opérations intéressantes pour les entreprises car elles permettent de mutualiser les ressources sur une zone en vendant une filière à un ou plusieurs opérateurs et non plus à un seul pays. Par exemple, en juin, nous avons organisé une opération ciblant les opérateurs nationaux d’hydrocarbures. Nous avons passé deux jours en Algérie avec la Sonatrach et nous sommes allés ensuite en Tunisie rencontrer l’opérateur Tunisien Etap, ainsi que la NOC [National Oil Compagny, ndr], l’opérateur Libyen. Comme nous ne pouvions pas aller en Lybie, pour des raisons de sécurité, nous les avons invités à Tunis. Sur quatre jours, les entreprises de la filière ont pu rencontrer les opérateurs algériens, tunisien et libyen. C’est vers ce type d’action ciblées que nous nous dirigeons.
Propos recueillis
Par Sophie Creusillet