Le capital-investissement serait l’avenir des PME en Afrique et les acteurs français de ce secteur veulent se positionner comme partenaires des entrepreneurs, africains et français. Ainsi, qu’elles soient africaines ou françaises, la conférence de Place Invest for Growth in Africa, évènement phare de la deuxième édition d’Ambition Africa (Bercy, 30-31 octobre), a tenté de leur apporter des raisons d’y croire et des réponses à leurs besoins de financement.
Introduite par le ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, cette conférence a été montée par le Club Afrique de France Invest, qui réunit plus de 300 sociétés de gestion (comme Investisseurs et Partenaires, AfricInvest, Amethis, Bpifrance, Méridiam, Partech Africa, Proparco…), en coopération avec l’ AVCA (African Private Equity and Venture Capital Association), l’Association africaine du capital investissement, basée à Londres.
Pour Business France, l’organisateur d’Ambition Africa qui étend son réseau en Afrique, et France Invest, qui veut encourager ses membres à s’engager dans ce continent, les intérêts convergent. En fait, leur objectif, lors de cet événement, était double : d’une part, encourager le partenariat entre PME africaines et françaises, et, d’autre part, mettre en relation entreprises et fonds de capital-investissement.
Paris veut être la capitale de la finance verte
Au-delà, chacun est conscient que la place de Paris a une carte à jouer dans des financements spécialisés de l’autre côté de la Méditerranée. Compte tenu de ses affinités naturelles et de sa présence en Afrique, Paris a l’ambition d’être un hub européen en matière de capital investissement vers ce continent.
Déjà, la capitale dispose d’un atout en matière de finance verte. Interrogé par Thierry Déau, le Pdg de la société d’investissement indépendante Meridiam, Seddik El Fihri, partenaire et directeur associé chez BCG (Boston Consulting Group), a affirmé que, « parce que la France était pionnière en matière de développement durable, les acteurs naturellement en Afrique se tournent vers Paris ».
S’agissant du continent africain, a remarqué Hany Assaad, cofondateur du fonds d’investissement privé Avanz Capital, « il y a beaucoup de sociétés qui croissent plus vite que leurs pays ». Pour sa société, qui cible « des PME et plus, mais pas les grandes sociétés, » sur plusieurs continents, « la diversification est importante » et donc « l’Afrique est le futur ».
Un jugement partagé par Khady Koné-Dicoh. Pour la directrice d’investissement chez Amethis, basée à Paris, l’environnement en Afrique est particulièrement porteur : ce continent « est la zone avec la plus forte croissance de la planète », avec des pays qui affichent des taux au-delà de 5 %. En 2020, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire devrait dépasser les 7 %, le Ghana les 6 % ou encore le Maroc 4 %.
En outre, sur une population globale de 1,2 milliards d’individus, à 40 % urbanisés, un tiers constituerait la classe moyenne. Une proportion qui monterait à 40 % à l’horizon 2030, alors que le nombre d’habitants franchirait les 1,8 milliard. Enfin, progressivement, l’Afrique sera moins dépendante des matières premières et de la fluctuation de leurs cours, consommant plus de biens de consommation ou de services financiers.
Amethis : le premier LMBO dans l’Uemoa
Amethis se félicite des succès qu’elle a su remporter en Afrique. Khady Koné-Dicoh a cité l’exemple de Petro Ivoire, un distributeur de bouteilles de gaz, de carburants et lubrifiants. Entré dans le capital en 2013, le fonds d’investissement en est sorti cinq ans après, en décembre 2018, cédant sa participation via un rachat d’entreprise par son management par effet de levier (Leveraged Management Buy Out).
Cette opération, la première jamais réalisée dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), a permis à la famille fondatrice de reprendre le contrôle de la société. « Nous sommes sortis de la société avec 2,8 fois notre investissement », était ravie de dévoiler Khady Koné-Dicoh.
Pour autant, si l’Afrique est rentable, la stratégie doit être adaptée. Ce continent étant composée d’une mosaïque de 54 pays, Amethis a appris à gérer le risque monétaire de deux façons : d’abord, son portefeuille est à 40 % dans la zone du franc CFA ; ensuite, le fonds d’investissement se focalise sur des entreprises résilientes au risque monétaire.
Les atouts des fonds : le capital, le réseau, l’organisation de la gouvernance
Dans le prolongement de la conférence Invest for Growth in Africa, la parole était donnée à quatre dirigeants d’entreprises ayant eu recours avec succès à des fonds de capital-investissement :
– Mohamed El Mandjra, le fondateur d’Oncologie Diagnostic du Maroc (ODM), un groupe de cliniques et de centres de diagnostic spécialisés, ayant bénéficié de l’appui de Proparco.
– Bertrand Talbotier, président du distributeur pharmaceutique Piex, dont l’actionnariat comprend plusieurs établissements financiers : Bpifrance, BNP Paribas Développement, les fonds AfricInvest et Trocadero Capital Partners.
– Philippe Egraz, directeur général de l’Office pharmaceutique malgache (Opham), soutenu par le fonds de capital-investissement Adenia Partners.
– Mamadou Sanankoua, le directeur général de Conergies, groupe spécialisé dans la climatisation et le froid, appuyé jusqu’en 2018 par un autre fonds, Investisseurs & Partenaires (I & P).
Tous quatre ont mis en valeur, comme apports essentiels des fonds de capital-investissement, le capital, le réseau et la structuration de la gouvernance de l’entreprise (création d’un Conseil d’administration, d’organes exécutifs, d’une direction financière…).
M. El Mandjra (ODM) : « nous avons ainsi acquis de la visibilité »
« On a besoin d’argent, de capital pour développer un business model. Ce qui n’était pas possible sans capital-investissement au Maroc, où on n’est pas encore mâture sur le plan bancaire et reste très conservateur », relatait le fondateur d’ODM. Par exemple, précisait Mohamed El Mandjra, qui a lancé l’entreprise en 2014 à Casablanca, « on vous demande des garanties physiques, ce qui est évidemment impossible quand on développe une affaire qui n’existe pas ».
Pour se développer, ODM a bénéficié du réseau de Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AFD) dédiée au financement du secteur privé. « Nous avons ainsi acquis de la visibilité sur des géographies, étendu nos contacts à des fournisseurs et clients qu’on n’avait pas », a relaté encore le fondateur de la société. Enfin, selon lui, « mieux structurer la gouvernance a été très utile pour tout le monde ».
Pour sa part, Bertrand Talbotier s’est associé à la société française de capital-investissement LBO France pour reprendre en 2017 le distributeur pharmaceutique Piex, basé aux Ulis. LBO France est entré comme partenaire majoritaire dans Piex, PME présente en Afrique depuis 40 ans, réalisant à l’époque un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros. Fin 2019, ce montant dépassera 130 millions d’euros, après l’achat en juillet d’une petite société et un début de diversification hors de la zone d’Afrique francophone.
« Nous avions besoin de capital, d’expertise et de solidifier le socle de notre gouvernance. AfricInvest nous a donné accès à un grand nombre d’information sur le monde, a ouvert son réseau », se félicitait Bertrand Talbotier.
Opham : une nouvelle stratégie a été mise en place
Autre témoignage, celui de Philippe Egraz, qui a racheté Opham en 2016 avec comme partenaire majoritaire le gestionnaire de fonds de capital investissement Adenia Partners, Un partenariat essentiel pour moderniser une société dont l’actionnariat était jusqu’alors totalement familial. « Pour relancer Opham, il fallait des fonds et réformer la base du management, ce que nous a apporté Adenia Partners », a détaillé Philippe Egraz lors de l’événement à Bercy.
Une nouvelle stratégie a donc été mise en place. Elle devait être partagée par tous : les actionnaires, mais aussi les équipes. Et elle devait être adaptée à un contexte économique difficile à Madagascar, les médicaments devant être abordables pour la population. C’est pourquoi Opham a investi dans les génériques.
Directeur général de Conergies, basé au départ à Bamako, Mamadou Sanankoua s’est, de son côté, réjoui de l’appui apporté par le fonds I & P, entré comme partenaire minoritaire en 2012. « C’est cette année là qu’un coup d’État a éclaté au Mali, ce qui nous a obligé à accélérer notre diversification vers la Côte d’Ivoire, qui était prévue plus tard dans notre plan de développement », a raconté Mamadou Sanankoua.
I & P a accompagné l’entreprise, laquelle réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 7 millions d’euros, dont 80 % en Côte d’Ivoire et 20 % au Mali. Conformément à ses engagements, le fonds est sorti de la société au bout de six ans, en 2018.
Cette année, l’électricien français EDF a acquis 49 % des actions de Conergies. Différents projets sont dans les cartons : Bénin, Togo, etc. Enregistré à Maurice, le spécialiste de la climatisation et du froid envisage d’atteindre un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros dans les cinq ans.
François Pargny