Tous les acteurs présents au forum franco-irakien de la Chambre de commerce franco-arabe (CCFA), le 26 juin, ont été unanimes : dans l’Irak « utile », la sécurité n’est plus un obstacle au développement d’activités économiques, depuis la victoire contre Daech, officiellement annoncée par le Premier ministre Hayder Al-Abadi, le 9 décembre dernier.
Organisé à la demande du président de la Fédération des chambres de commerce irakiennes, Jaafar Al Hamdani, le forum de la CCFA, intitulé « L’Irak : le temps de la reconstruction II – Nouveau partenariat », est arrivé au bon moment après la conférence des donateurs au Koweït, en février 2018, et les élections législatives en mai dernier. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, était d’ailleurs à Bagdad le 27 juin pour relancer les relations bilatérales (voir plus bas).
Z. Weiss : « il ne faut pas attendre que tout aille pour le mieux »
Seule fausse note que n’ont pas manqué de révéler les dirigeants irakiens qui avaient fait le déplacement : plusieurs hommes d’affaires irakiens n’ont pas obtenu de visa pour séjourner à Paris. Résultat, alors que la CCFA en attendait 35, dans les faits, ils étaient une quinzaine venus à la rencontre du secteur privé de l’Hexagone.
Si, contrairement à ce qui était annoncé sur le programme du forum aucun responsable de Total n’a fait de présentation, Schneider, très actif en Irak comme le groupe pétrolier, et la Saur, qui regarde ce pays très attentivement depuis l’Arabie Saoudite, où cette société dispose d’une forte implantation, ont marqué leur intérêt pour les futurs projets dans leurs domaines respectifs.
Selon Ziad Weis, directeur Moyen-Orient-Afrique du Nord du groupe de BTP NGE, « il ne faut pas attendre que tout aille pour le mieux, les conditions sont déjà bonnes pour s’intéresser aux projets de reconstruction. Si possible il faut venir avec un financement et pendre des partenaires locaux pour des raisons de coût et de connaissance du marché. Mais surtout il ne faut pas attendre, car, en Irak comme dans tout le Moyen-Orient, préparer des projets demande du temps ».
W. Al Mawsaoui : il faudrait « plus de 400 milliards de dollars »
Les besoins de reconstruction de l’Irak sont estimés à 88 milliards de dollars sur 10 ans, « dont 22 milliards en urgence pour réhabiliter les services publics de base (eau, électricité) et permettre le retour des populations déplacées », précise sur son site le Service économique de l’ambassade de France à Bagdad. Cette somme ne concernerait que « les trois grandes régions dévastées par la guerre, Al-Anbâr, Ninive et Salâh ad-Dîn, mais il faudrait, en fait, plus de 400 milliards de dollars, dont 70 % pour les seuls marchés de la reconstruction et des infrastructures », selon Waleed Al Mawsaoui, sous secrétaire irakien au Commerce. Quoiqu’il en soit, les besoins sont énormes.
D’après le Service économique français, « le plan stratégique pour la reconstruction de l’Irak sur la décennie 2018-2028 comporte cinq piliers : gouvernance, réconciliation, dimension humaine de la reconstruction, infrastructures et relance de l’économie » et, lors de la conférence des donateurs, « les engagements financiers de la communauté internationale ont atteint près de 30 milliards de dollars, dont 15,5 milliards de prêts et 11,5 milliards sous forme de crédit à l’exportation ».
Les dernières manœuvres du souverainiste Moqtada el-Sadr
« Grâce à la Banque mondiale, à l’Asean et à d’autres, nous sommes dans un programme de correction et de réforme de la législation et de lutte contre la corruption », a pointé Jaafar Al Hamdani, qui s’est également réjoui que, sur le plan politique, la stabilité soit aussi revenue après les élections législatives de mai. « Malgré quelques incidents, a-t-il déclaré, le vote par le peuple permet maintenant le retour de la démocratie dans la région ».
L’optimisme de rigueur à Paris du président de la Fédération des chambres de commerce irakiennes ne peut totalement effacer une certaine inquiétude sur la stabilité de la situation politique. Si les élections législatives se sont tenues, certains résultats territoriaux sont encore contestés à ce jour et les dernières manœuvres politiques du leader Moqtada el-Sadr bousculent le paysage. Après être arrivé en tête des législatives, allié aux communistes (leur liste a obtenu 54 sièges sur un total de 329), le dirigeant nationaliste a changé de cap, en se rapprochant du Premier ministre Hayder Al-Abadi.
Aujourd’hui, il semble que les deux responsables veuillent s’allier à Hadi Al-Ameri, lequel est, pourtant, présenté comme l’homme de Téhéran. Objectif : former une grande coalition disposant d’une majorité absolue au Parlement.
Par ailleurs, une autre échéance électorale doit être suivie de près : les élections des gouverneurs en novembre 2018 pourraient donner de nouvelles indications sur l’évolution politique du pays. C’est d’autant plus important pour les hommes d’affaires que, « dans le cadre de la régionalisation, les gouvernorats ont acquis des compétences en matière d’éducation, de santé ou d’infrastructures », a confié au Moci un fin connaisseur de l’Irak.
W. Al-Handhal : « trois millions de logements » sont nécessaires
Le chantier de la reconstruction est « titanesque », a fait valoir Vincent Reina, le président de la CCFA, selon lequel 26 000 habitations sont à reconstruire. Pour le président de l’Association des banques irakiennes, Wadeaa Al-Handhal, ce sont, en fait, « trois millions de logements dont son pays a besoin ».
En matière de développement durable, Bagdad s’est doté d’un plan stratégique dénommé ‘Vision 2030′ comptant 102 projets, portant sur des zones vertes et récréatives (24), des sites d’enfouissement (15), des projets d’eau potable (12), d’assainissement de l’eau (10), des zones résidentielles (10), des routes et des ponts (8), etc.
« Nous allons encore créer des zones commerciales, comme à Mossoul, ou développer le tourisme dans les marais irakiens et réhabiliter certaines zones, par exemple autour du lac Sawa », a énuméré Istabraq Al-Shouk, sous-secrétaire du ministre de la Construction et du logement.
Dans l’énergie, l’Irak est confronté à plusieurs défis : un manque de production électrique, un retard dans le domaine gazier qui se traduit notamment par le torchage que veut réduire à néant Bagdad pendant la période de son plan quinquennal 2018-2023, des importations de produits raffinés qui comptent aujourd’hui pour un tiers dans la consommation domestique et que l’Irak veut aussi réduire à zéro.
Le gouvernement met en avant toute une série de projets de raffineries, souvent sous forme de BOOT (Build Operate Own Transfer). Pour les infrastructures, les Irakiens se disent ouverts à des partenariats public-privé (PPP).
Alstom gagne, la volaille française revient
D’après Waleed Al Mawsaoui, les seuls secteurs où la France serait présente sont le pétrole et l’énergie électrique, ce qui expliquerait que « la France marche en queue de peloton dans les relations économiques ».
« La part de marché n’est, certes, que de 1 % », mais « les entreprises se mobilisent », a nuancé Juliette Oury, responsable au bureau Moyen-Orient de la direction générale du Trésor (DGTrésor). Elle a notamment rappelé que 23 entreprises françaises étaient présentes dans une délégation du Medef à la conférence des donateurs au Koweït et qu’un Pavillon France sera monté à la prochaine Foire internationale de Bagdad du 10 au 19 novembre prochain.
« Lors de la visite du Premier ministre irakien en France en octobre 2017, ont été posées les bases d’un nouveau partenariat bilatéral », s’est également réjoui Vincent Reina. Ce dernier a rappelé qu’un prêt de 430 millions d’euros a ainsi été promis à l’Irak, qui a aussi obtenu 24 millions d’euros pour des projets d’écoles, d’hôpitaux, de routes entre autres.
Le 6 décembre 2017, deux protocoles d’accord ont été signés par Alstom Transport pour la mise en œuvre du métro aérien de Bagdad sur 20 kilomètres et le développement du système de métro de Bassorah, qui comprend deux lignes surélevées d’environ 30 km chacune.
Le lendemain de ce forum, le 27 juin, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, et Jabbar Ali Hussein Al-Luiebi, ministre du Pétrole irakien, ont présidé la 16ème session de la commission mixte économique franco-irakienne à Bagdad. Une réunion qui n’avait pas été tenue depuis deux ans.
A cette occasion, les deux dirigeants politiques ont annoncé la fin de l’embargo sur la volaille française, qui datait de décembre 2015 pour cause de grippe aviaire. Bagdad vient ainsi de lever officiellement ses sanctions. Pour la filière tricolore, c’est l’espoir de rétablir un courant d’exportations, qui représentait 100 millions d’euros par an.
François Pargny
Pour prolonger :
France / Irak : Paris commence à prendre position pour la reconstruction
Et notre fiche Irak