Avec Trade Match, l’application digitale gratuite lancée le 13 février par Euler Hermes, le numéro 1 mondial de l’assurance-crédit ouvre un peu plus ses bases de données statistiques et ses évaluations de risques d’impayés à l’export à un large public.
« Nous sommes engagés dans une démarche d’open data, qui vise à partager nos données et nos prévisions avec notre écosystème. La seule limite : il s’agit de données agrégées et anonymes, qui permettent de fournir des indicateurs d’évolution des risques », commente Georges Dib, économiste chez Euler Hermes en charge du commerce international.
Le Moci a testé l’outil, qui devrait plaire aux adeptes des projections statistiques : au terme d’un test rapide, il permet en effet pour 70 pays et 17 secteurs, de croiser des données sur les opportunités commerciales (flux d’exportation passés et à venir) avec les évaluations de risques pays et de risques sectoriels.
En quelques clics, l’internaute peut ainsi avoir une idée globale de l’exposition aux risques d’impayés d’une ou plusieurs destinations et les croiser avec les évaluations par secteur : plus la couleur est verte, plus le risque est faible, plus elle va vers le rouge (en passant par le jaune et l’orange), plus le risque est élevé.
La perte d’importations chinoises pourrait atteindre 94 milliards
Un regret toutefois : l’impact du coronavirus et l’épidémie de Covid-19 venus de Chine n’est pas encore intégré, en cette fin de mois de février, dans les projections en ligne actuellement, qui remontent à fin 2019.
Il faudra attendre les révisions trimestrielles en cours, fin mars, pour voir quel est son impact sur les échanges mondiaux. « Nous procédons à des mises à jour de nos prévisions sur une base trimestrielle : d’ici un mois, l’impact du Coronavirus sera pleinement pris en compte dans les données pays et secteurs accessibles sur Trade Match », explique Georges Dib.
Les premières tendances qui émergent des révisions en cours sont évidemment négatives. La perte pourrait atteindre 94 milliards de dollars au premier trimestre 2020 selon les précisions apportées par Georges Dib, dont nous donnons les détails dans un autre article consacré aujourd’hui aux conséquences du coronavirus sur les importations chinoises et ses principaux fournisseurs.
Avec les effets en chaîne qui se diffusent dans les supply chain internationales d’un certains nombre de secteurs industriels, perturbant la production et la distribution des produits, l’impact de cette crise sanitaire sur le commerce mondial sera loin d’être négligeable. Les prévisions initiales d’Euler Hermes, remontant à décembre 2019, tablaient sur une légère reprise en 2020 : + 1,8 % en volume (après +1,2 % en 2019) et + 2,6 % en valeur (après -1,9 % en 2019). Elles devraient être revues à la baisse à l’issue des révisions en cours.
En attendant, que révèle Trade Match sur la France ?
Globalement, la France a tiré son épingle du jeu jusqu’à présent : ses exportations ont atteint 668,6 milliards de dollars en 2019, la situant au cinquième rang des pays exportateurs mondiaux et l’année 2020 s’annonçait comme celle d’une reprise, certes modeste, mais positive.
Euler Hermes tablait sur une progression des exportations françaises de 2,5 % cette année, avec une demande supplémentaire adressée à ses exportateurs de l’ordre de 10,2 milliards de dollars en 2020.
Dans le top 20 des destinations, 13 pays sur 20 à risque faible
Comment se présente le top 20 des destinations d’où émanera cette demande supplémentaire pour 2020 du point de vue du risque pays ?
Plutôt bien orienté, avec une majorité de pays, 13 sur 20, affublés de la couleur verte du risque pays faible : il en est ainsi notamment pour l’Allemagne, les États-Unis, la Belgique et l’Espagne, les quatre premières destinations qui absorberont à elles seules 3,68 milliards de dollars d’exportations françaises supplémentaires, soit 36 % du surplus de demande adressée à la France cette année.
Autres destinations à risque faible dans le top 20 : Suisse, Pays-Bas, Pologne, Japon, Luxembourg, Irlande, Suède, Portugal et Canada.
Quelques sources d’inquiétudes, toutefois, pour les sept autres pays qui forment ce top 20. Quatre affichent la couleur jaune du risque pays moyen, dont l’Italie, 5e meilleure destination à l’export, mais aussi Singapour au 12e rang, l’Inde au 16e et le Brésil au 18e rang.
Trois destinations du top 20 sont affublées de la couleur orange du risque pays sensible, qui désigne les pays dont la situation économique et financière est plombée par des faiblesses structurelles et dont les perspectives sont mauvaises : la Russie, au 14e rang, Hong Kong au 15e et la Turquie au 20e rang.
A noter que la Chine ne figure pas dans ce top 20 des destinations 2020 pour la France, ce qui signifie que la demande supplémentaire qu’elle adresserait aux exportateurs français serait faible ou nulle. Ce qui s’explique par le ralentissement de l’économie chinoise, sensible et aggravé par la guerre commerciale avec les États-Unis bien avant que ne survienne la crise sanitaire.
Un seul secteur à risque faible : la pharmacie
Autres indicateurs que met en avant Trade Match : les perspectives par grand secteurs. Le tableau est, cette fois-ci, moins alléchant au premier abord.
Dans le top 10 des secteurs phares des exportateurs français en 2020, un seul affiche la couleur verte rassurante : le secteur pharmaceutique, qui, avec 1,2 milliard de dollars d’exportations supplémentaires, est au deuxième rang du top 10, derrière les logiciels (+ 1,8 milliard) et devant la chimie (+ 1 milliard). La crise sanitaire en cours ne devrait pas contredire a priori cette tendance, à moins que les principes actifs produits en Chine et fournis à l’industrie française ne viennent à manquer…
Tous les autres secteurs présentent des profils de risques plus élevés. Sont ainsi en jaune (risque moyen), les logiciels (1er), la chimie (3e), les transports (équipements et services, respectivement 4e et 5e), le papier (7e), l’automobile (8e) et l’électronique (9e). La construction (6e) et la métallurgie (10e) sont en orange, soit en risque sensiblement plus élevé.
L’industrie française est-elle donc mal positionnée dans le contexte actuel ?
« De nombreux secteurs d’activité industriels sont en fin de cycle économique, frappés par le ralentissement économique très important en cours sur le plan mondial. C’est ce qui explique pourquoi notre évaluation de risque s’est dégradée pour nombre d’entre eux », nuance Georges Dib.
L’outil Trade Match peut ainsi donner une vision différente selon qu’on accède aux données par le biais du risque pays ou par le biais des risques sectoriels.
« Lorsqu’on prend le top 20 des destinations d’exportations de la France par grands secteurs, cela peut donner l’impression que les principaux clients de la France présentent des risques dégradés –majoritairement en risque moyen- car il s’agit de données agrégées de 17 secteurs d’activité dont beaucoup sont en fin de cycle, à l’instar de l’aéronautique ou de l’automobile », détaille George Dib.
« Mais lorsqu’on prend les destinations par pays des exportations françaises, du point de vue du risque pays, elles sont beaucoup plus sûres, avec un grand nombre de pays européens. Du point de vue de l’exposition au risque pays, les exportations françaises restent très bien orientées », conclut l’économiste.
Il sera intéressant de voir comment évolueront ces indicateurs une fois intégrées les données du premier trimestre, avec les effets du coronavirus. Rendez-vous fin mars.
Christine Gilguy