« Climate emergency », « severe moral crisis » : c’est du « rôle crucial que l’ICC peut jouer » pour faire en sorte « que le commerce marche pour les peuples et la planète » que Paul Polman, président de la Chambre de commerce internationale (ICC) a choisi de parler dans son intervention en clôture de la dernière assemblée générale du comité français de cette institution, ICC France.
Un discours militant et pas si fréquemment entendu dans l’enceinte de cette institution internationale privée, dont le siège est à Paris.
En première ligne pour défendre la libéralisation des échanges contre le protectionnisme, plutôt perçue comme servant les intérêts des grands groupes multinationaux, l’ICC compte 45 millions de membres dans le monde, via ses comités nationaux. Son rôle depuis un siècle, sous l’influence surtout des anglo-saxons, a été en effet d’abord de promouvoir le libéralisme des échanges commerciaux, certes régulés par des règles et bonnes pratiques privées dans le commerce international, qu’il s’agisse de contrats, techniques bancaires ou d’arbitrage.
« Nous avons besoin de nous tourner vers des modèles à plus long terme »
Y intégrer la prise en compte de l’environnement et du bien être des populations, contribuer à « repenser le capitalisme », promouvoir une « croissance inclusive » et des modèles de production « circulaires et régénératifs », est un discours nouveau dans la bouche d’un président de l’ICC. Et c’est le pari de Paul Polman, ancien patron emblématique d’Unilever d’origine néerlandaise, de le défendre depuis l’arrivée à la tête de l’institution en juin 2018.
La fondation Imagine, qu’il a lancée cette année à peine retraité de son ancien groupe, a pour but de promouvoir auprès du secteur privé dans le monde entier des pratiques de développement durable. Mais avant de prendre sa retraite, il avait déjà imposé à son groupe d’intégrer les préoccupations de développement durable dans toutes ses activités, lui fixant même un prix fictif du carbone (35 USD / Tonne) pour mieux mesurer les retombées économiques de ses investissements dans ce domaine.
« Nous avons besoin de nous tourner vers des modèles à plus long terme », a insisté Paul Polman, appelant à promouvoir les ODD (Objectif de développement durable) des Nations unies et à développer des partenariats entre acteurs privés et entre ces derniers et les acteurs publics et gouvernementaux pour accélérer leur mise en œuvre.
L’ICC a d’ores et déjà franchi un cap en ayant obtenu en 2016 un statut d’observateur auprès de l’Assemblée générale de l’ONU. Il est vrai que le secteur privé est appelé à jouer un rôle majeur dans l’accomplissement de « l’agenda 2030 » des Nations unies. Tout comme dans l’agenda climat lancé lors de la COP 21, avec l’Accord de Paris.
ICC France pour une « meilleure articulation entre climat et commerce »
Ce discours, dont on peut consulter la version écrite en anglais (voir document attaché à cet article), montre à quel point la prise de conscience de la nécessité d’agir pour lutter contre les désordres actuels de la planète, qu’il s’agisse de climat ou de croissance des inégalités de revenus, a fait son chemin dans les milieux d’affaires internationaux.
Dans la ville qui a accueilli la Cop 21 et dans un pays dont le président vient de s’opposer à un accord de libre échange avec le Mercosur en raison du non respect par le gouvernement brésilien de ses engagements pour préserver la forêt amazonienne –une prise de position approuvée par Paul Polman, malgré les réticences de certains comités nationaux de l’ICC-, il a plutôt été bien accueilli. D’autant plus qu’ICC France a particulièrement œuvré pour le statut d’observateur auprès de l’Assemblée générale de l’ONU, en mobilisant la diplomatie française sur ce dossier.
Philippe Varin, le président du comité français de l’ICC, par ailleurs président du conseil d’administration d’Orano (ex-Areva), a salué ce discours « inspirant ». Dans son éditorial en introduction du rapport d’activité 2018 du comité, dressant le bilan des actions accomplies, il cite celle « d’étendre l’influence d’ICC France au sein de l’ICC sur les priorités de nos membres : digitalisation du Trade finance, réforme de l’OMC, meilleure articulation entre climat et commerce… ».
Il n’a pas été contredit dans l’assistance, dans laquelle étaient présents plusieurs membres de son conseil d’administration, dont des personnalités aux convictions « pro-régulation du commerce mondial » et « pro climat » avérées comme les anciens ministres Anne-Marie Idrac (centre-droit) et Matthias Fekl (socialiste), ou encore le président des Conseillers du commerce extérieur (CCE) Alain Bentéjac.
En ordre de marche pour jouer sa partition
Pour l’heure, ICC France est en ordre de marche pour jouer sa partition. Sous l’impulsion de Philippe Varin, celle-ci est marquée depuis son arrivée à la présidence en 2017 par la volonté de contribuer à l’amélioration des performances des entreprises françaises à l’international grâce aux outils et aux règles permettant de sécuriser leurs échanges, mais aussi le rapprochement avec l’industrie et les pouvoirs publics français et le renforcement du leadership de la place française en matière d’arbitrage international.
L’intégration d’ICC France cette année au sein des plateformes de solutions du dispositif public d’accompagnement des PME à l’export « Team France export » illustre ce positionnement. De même que sa volonté de renforcer la coopération avec les chambres de commerce en matière de formation, marquée par la nomination de Pierre Goguet, président de CCI France, tête de pont du réseau consulaire, à la vice-présidence de son conseil d’administration.
ICC France espère ainsi se rapprocher du tissu des PME et ETI françaises afin de développer ses activités de formation : l’arrivée des nouvelles règles Incoterms 2020, en vigueur à partir du 1er janvier 2020, sera l’occasion de mettre en œuvre concrètement cette stratégie. ICC France a lancé la formation d’experts agréés de ces nouvelles règles dès le printemps. Reste à convaincre les CCI territoriales de renforcer cette coopération.
François Georges en mission pour promouvoir les règles de l’ICC en Afrique
Côté gouvernance, peu de changements au sein du conseil d’administration à l’issue de l’assemblée générale du 16 septembre. Philippe Varin a été reconduit sans surprise pour trois ans au conseil d’administration qu’il continuera donc à présider. Deux autres membres ont été également reconduits, dont le président de CCI France Pierre Goguet, en tant que vice-président, et Arnaud Van Eeckhout, secrétaire général de Bouygues, comme membre*.
En revanche, François Georges, qui a dirigé le comité français de l’ICC pendant dix ans en tant que délégué général, a passé la main à Emmanuelle Butaud-Stubbs, femme expérimentée en matière de problématiques industrielles et de commerce international mais aussi de lobbying (ex-déléguée générale de l’Union des industries textiles-UIT), en juillet dernier.
Alors que son bilan a été salué lors d’un cocktail en marge de l’assemblée générale, François George ne prendra qu’une semie-retraite : à la demande de Philippe Varin, il va s’atteler à la tache de promouvoir les règles de l’ICC en Afrique francophone, qui ne compte à ce jour aucun comité national affilié à l’institution internationale. Première mission à Dakar du 23 au 25 octobre, lors des Rencontres Africa, accompagné de Christoph Radtke, un juriste expert en matière de règles Incoterms, pour lancer les nouveau Incoterms 2020 auprès des chargeurs africains et tenter de pousser l’idée de créer des comités africains de l’ICC.
Christine Gilguy
*Composition du conseil d’administration d’ICC France au 16/09/2019 :
-Président Philippe Varin (Président du Conseil d’Administration, Orano) ;
-Vice-présidents : Pierre Goguet (Président, CCI France) et Noëlle Lenoir (Associée, Kramer Levin Europe) ;
-Vice-président trésorier : Jacques Le Pape, Inspecteur Général des Finances.
– Membres :
Marie-Anne Barbat-Layani, (Directrice Générale Fédération Bancaire Française) ; Alain Bentéjac (Président, Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France et Co-Président d’Artelia) ; Adeline Challon-Kemoun (Directeur Marques, Développement Durable, Communication & Affaires Publiques-Membre du Comité Exécutif, Groupe Michelin) ; Philippe Delleur (Senior Vice President Public Affairs, Alstom) ; Matthias Fekl, (Associé, KGA Avocats) ; Virginie Guérin, Directeur des Affaires Publiques, Renault) ; Anne-Marie Idrac (Ancien Ministre, Senior Adviser, Cabinet SIA Conseil) ; Jean-Claude Karpelès (Délégué du Président chargé du développement international et des affaires européennes, CCI Paris Île-de-France) ; Martine Karsenty-Ricard (Associée J.P. Karsenty & Associés) ; Helman Le Pas De Sécheval (Secrétaire Général Veolia Environnement) ; Christine Lepage (Directrice de l’International, Medef) ; Eve Magnant (Vice-Présidente, Directrice de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise Publicis Groupe) ; Arthur Muratyan (ancien Directeur Juridique Groupe, Sanofi) ; Alain Papiasse (Membre du Comité Exécutif BNP Paribas) ; Jean-Marie Salva (Avocat, DS Avocats) ; Guy Sidos (Président-Directeur Général, Groupe Vicat) ; Denis Simonneau (Délégué Général aux Relations Institutionnelles L’Oréal) ; Pierre Todorov (Secrétaire Général EDF) ; Laurent Vallée (Secrétaire Général Carrefour) ; Arnaud Van Eeckhout (Secrétaire Général, Bouygues).