Après avoir menacé de frapper l’Union européenne (UE) de droits de douane de 50 % dès le 1er juin, le président Donald Trump a rétropédalé, dimanche 25 mai, au cours d’un entretien téléphonique avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Le dernier signe en date que, dans ces négociations tumultueuses, les Vingt-Sept, en dépit des divisions certaines qu’on leur prédisait, parviennent à rester suffisamment unis face à Washington … jusqu’ici. Revue de détail dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
Donald Trump souffle le chaud et le froid sur le Vieux Continent. Après avoir menacé, vendredi dernier [23 mai], de frapper l’UE de droits de douane de 50 % dès le 1er juin, le président américain a rétropédalé, le dimanche suivant, au cours d’un coup de téléphone avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
« Elle vient de m’appeler et elle a demandé une prolongation de la date après le 1ᵉʳ juin, et elle a dit qu’elle voulait entamer des négociations sérieuses, a ainsi déclaré le leader du clan MAGA [Make America Great Again] devant la presse. Nous avons eu une très bonne conversation et j’ai accepté de déplacer la date au 9 juillet. (…) J’ai accepté, et elle m’a dit que nous allions rapidement nous rencontrer et voir si nous pouvions trouver une solution ».
Les Européens auront donc un peu plus d’un mois supplémentaire pour négocier un accord avec Washington, soit à l’échéance prévue initialement, mais ils restent menacés par les droits de douane de 50 % en cas d’échec. Ce nouveau coup de théâtre vient encore renforcer l’incertitude qui entoure les discussions transatlantiques.
« La réalité, c’est qu’aujourd’hui, on ne sait pas où on va, expliquait samedi [24 mai] un fonctionnaire européen. Pour autant, nous maintenons l’objectif de faire aboutir ces discussions ; le partenaire de négociation compliqué dans l’affaire, ce n’est pas nous. Les Américains empêchent d’avancer sur la substance des discussions, jusqu’à donner l’impression qu’eux-même n’ont pas de cap ».
Intérêts divergents, président imprévisible
Cette impression s’explique par le caractère hétérogène de la coalition qui soutient Donald Trump, selon Nicolas Köhler-Suzuki, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors.
« Schématiquement, on a d’un côté le clan MAGA, qui a horreur des déficits commerciaux, souhaite rapatrier les emplois dans l’industrie, prône l’isolationnisme et veut un dollar faible pour soutenir les exportations américaines », explique-t-il.
« D’un autre côté, il y a les ‘tech bros’, qui ont des intérêts très différents, poursuit le chercheur. Ils soutiennent la mondialisation, aimeraient faire tomber les régulations du numérique européennes, et sont frustrés par ce qui se passe aux États-Unis, avec la continuation par Donald Trump de la politique anti-trust menée sous Joe Biden. Enfin, il y a l’establishment républicain, dont le soutien financier est crucial pour M. Trump, et qui préfère un dollar fort, des impôts faibles et la dérégulation ».
Trois groupes aux intérêts divergents, et, au milieu, un président imprévisible. « Qui parvient à avoir l’oreille de M. Trump peut réussir à influer sur la politique sur un temps très court, ce qui crée une politique complètement erratique, poursuit Nicolas Köhler-Suzuki. Et c’est face à cela que l’UE doit négocier… ».
L’UE n’a toujours pas déclenché sa riposte
Attente ou attentisme ? Reste que plus de 4 mois et demi après l’investiture de M. Trump, et en dépit de la mise en place de droits de douane de 10 % sur la quasi-totalité des produits européens, de 25 % sur son acier et son aluminium ainsi que sur son secteur automobile, aucune contre-mesure européenne n’est aujourd’hui effective.
Celles qui avaient été décidées ont en effet été suspendues le 10 avril, à la suite du report pour 90 jours des droits de douane dits « réciproques » de la Maison Blanche.
Une abstention européenne, que certains qualifient d’attentisme, mais qui paraît assez logique à Nicolas Köhler-Suzuki. « La position d’attente de l’UE s’explique par le fait que le temps joue en sa faveur, analyse le chercheur. L’UE a beaucoup à perdre, mais sait que la deuxième partie de l’année marquera l’entrée en campagne pour les élections de mi-mandat aux États-Unis. Or, les sondages montrent que les électeurs n’approuvent pas vraiment la politique commerciale de M. Trump, alors même qu’ils n’ont pas encore senti les effets en termes d’inflation, grâce aux stocks constitués par les entreprises ».
Cette période d’attente a aussi permis aux Européens d’observer le mano a mano entre Washington et Pékin, et de comprendre que l’emballement des marchés, en particulier obligataires, pouvait constituer une limite au protectionnisme américain.
Rester dans une logique de dialogue
« On sent du côté de la Commission une volonté de rester dans une logique de dialogue, comme l’a encore illustré ce week-end l’appel d’Ursula von der Leyen avec Donald Trump, explique pour sa part l’eurodéputée MoDem, Marie-Pierre Vedrenne, membre de la commission du Commerce international du Parlement européen. Cela montre que l’UE veut rester un marché ouvert et un acteur prévisible. Cela dit, si on veut faire disparaître ces barrières américaines, il va nous falloir soit un accord, soit des contre-mesures sévères et assez rapides ».
Pour l’eurodéputée bretonne, les Européens doivent mettre toute leur panoplie sur la table pour mieux peser. « On doit pouvoir parler de taxation des services, du numérique, de mesures de rétorsion sur les brevets, pour pouvoir agir à un maximum de niveaux et répondre avec des mesures de rétorsion ciblées et proportionnées », estime-t-elle.
L’ampleur des représailles reste un sujet peu consensuel parmi les Vingt-sept, qui parviennent toutefois à afficher un front uni.
Giorgia Meloni joue le jeu
« La principale crainte était que l’Europe se désunisse, or l’unité est intacte à date. Je suis surpris que les observateurs, si prompts à critiquer, ne le reconnaissent pas, fustige le fonctionnaire européen déjà cité. Absolument tout le monde nous expliquait que l’UE allait se fissurer, que chaque pays irait négocier son propre bout de gras à Washington : ce n’est en rien le cas ».
De fait, celle qui attisait le plus ces craintes, la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni, proche idéologiquement de Donald Trump, et dont le pays fait partie de ceux qui ont le plus à perdre dans une guerre commerciale avec Washington, continue néanmoins de défendre l’intérêt européen.
« Giorgia Meloni joue la carte de l’interlocutrice privilégiée avec M. Trump, tout en sachant qu’elle doit le faire dans l’intérêt du marché intérieur pour ne pas perdre sa crédibilité », analyse Marie-Pierre Vedrenne.
Pour mener à bien les négociations, il faudra maintenir cette unité, dans un contexte de tension qui ne fera que croître d’ici à la date fatidique du 9 juillet.
Pression des entreprises
« L’administration américaine va certainement appuyer très fort là où elle verra une faiblesse, pour tenter de briser l’unité de l’UE, explique Nicolas Köhler-Suzuki. Mais du côté des États membres, il y a une grande conscience que leur capacité de négociation dépend de cette unité. Autre point positif : l’UE n’a besoin que d’une majorité qualifiée des Vingt-Sept pour adopter des contre-mesures, et non de l’unanimité ».
Pour le chercheur, la pression viendra plutôt des entreprises, qui tenteront de mettre la pression sur les gouvernements pour éviter les droits de douane. Le risque : signer un accord qui, à l’instar de celui trouvé par le Royaume-Uni avec les États-Unis, accepterait de fait le principe des droits de douane dits « réciproques », et donc le démantèlement du système des échanges internationaux dont dépend énormément l’UE par ailleurs.
À court terme, l’enjeu est très lourd pour les Européens : selon les calculs de l’Institut syndical européen (ETUI), jusqu’à 720 000 emplois dans l’UE, principalement dans le secteur manufacturier, pourraient être menacés si le président américain, Donald Trump, imposait des droits de douane de 20 % sur les exportations européennes. Les conséquences sur l’emploi d’un taux de 50 % n’ont quant à elles pas encore été calculées.