Le premier Forum « Vision Golfe » organisé par Business France à Bercy, les 13 et 14 juin, a réuni plus de 900 participants. Un succès d’audience qui confirme l’intérêt des entreprises françaises pour les marchés porteurs de cette région, et réciproquement, l’intérêt des autorités et milieux d’affaires du Golfe pour les savoir-faire français.
On en avait eu la confirmation lors d’un précédent événement d’affaires organisé avec succès en mars par la Chambre de commerce franco-arabe (CCFA), le Sommet économique franco-arabe : les pays de cette région sont intéressés par les savoir-faire français, notamment dans le cadre de leurs stratégies de diversification économique, mais ils attendent des approches plus partenariales.

L’hôte du 1er forum Vision Golfe, Bruno Le Maire (ci-contre), ne s’y est pas trompé en lançant un « travaillons ensemble » dans son discours d’ouverture, en présence notamment du ministre saoudien de l’Industrie et des ressources minières, Bandar Ibrahim Al Khorayef et du secrétaire général du Conseil de coopération des Etats du Golfe (CCEAG), Jasem Mohamed Albudaiwi.
Le ministre français de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qui a effectué plusieurs déplacements dans la zone ces derniers mois (Qatar, Arabie Saoudite, EAU…) estime que bien que producteurs d’hydrocarbures, ces pays ont pris la mesure des défis climatiques et jouent « un rôle décisif dans la transition énergétique ».
Pour lui qui s’est déclaré « frappé par leur engagement » dans cette lutte pour le climat, c’est une facette du « nouveau monde » qui émerge depuis que la Covid et les dérèglements climatiques ont mis fin à la globalisation sans limites. Les États du Golfe jusqu’à présent dépendant des rentes pétrolières et gazières « investissent massivement dans les énergies renouvelables » et la diversification. De quoi justifier à ces yeux le fait que les Émirats arabes unis (EAU) accueillent la prochaine Cop 28 (Dubaï, novembre décembre 2023), un pays où est née la plus grande ferme solaire du monde, exploitée par EDF.
De quoi justifier aussi une coopération et des relations économiques plus poussées entre la France et les pays du Golfe. Il y a une forme d’urgence car la compétition est rude : lors d’un récent Sommet avec la Chine tenu à Riyad, Pékin a annoncé 10 milliards de dollars d’engagement dans le cadre du plan Vision 2030 de l’Arabie Saoudite.
Sur le plan commercial, l’excédent confortable que dégageait la France bon an mal an dans ces pays de grands contrats et de consommation de produits de luxe (agroalimentaire, pharmacie, mode), s’est transformé en un déficit de -3,3 milliards d’euros en 2022, sous l’effet de l’augmentation massive de la valeur des importations d’hydrocarbures, alimentée par la flambée des cours mais aussi la fin des approvisionnements russes. Nos échanges bilatéraux sont devenus déficitaires avec les principaux marchés de la zone, sauf les EAU (ci-après).
Les échanges France-Proche et Moyen-Orient
(2022, millions d’euros et évolution en %)Proche et Moyen-Orient
Export : 14, 736 (+25,5 %) ; Import : 18 398 (+118 %)
Solde : -3 662 (2021 : +3 300 ; 2020 : + 6 000)Dont :
Émirats arabes unis
Export : 4 578 (+10,1 %) ; Import : 2 289 (+59,6 %)
Solde : +2 289 (2021 : +2 728)Arabie Saoudite
Export : 4 001 (+41 %) ; Import : 7 008 (+109,1 %)
Solde : -3 006 (2021 : -513)Koweït
Export : 988 (+68 %) ; Import : 1 744 (+342,6 %)
Solde : – 756 (2021 : +194)Qatar
Export : 901 (-7,5 %) ; Import : 3 749 (+435 %)
Solde : – 2 848 (2021 : +275)
Bruno Le Maire, qui n’a pas perdu de vue le volet attractivité de l’événement, a rapidement rappelé la stratégie d’accélération de la réindustrialisation et de décarbonation de l’économie menée par son gouvernement, notamment dans le cadre de France 2030 et les 54 milliards d’euros d’investissement prévus par l’État.
Pour le ministre, « les grandes stratégies sont similaires : nous voulons être parmi les leaders des technologies de demain ». Et d’appeler à l’ouverture de nouvelles coopérations dans les domaines tels que l’hydrogène vert, l’énergie nucléaire ou encore les matériaux critiques pour la transition énergétique, sur lesquels certains pays du Golfe comme l’Arabie Saoudite veulent investir massivement dans l’exploration-production. Invité par le ministre saoudien Bandar Ibrahim Al Khorayef à venir au prochain Futur Minerals Summit de Riyad, en janvier 2024, Bruno Le Maire en a accepté le principe.

Ces propos résument bien la volonté de la France de passer à la vitesse supérieure dans ses relations économiques avec les pays du Golfe, tant en matière d’opportunité à l’export que d’attraction des investissements dans son programme de réindustrialisation verte. Laurent Saint-Martin, le directeur général de Business France (ci-contre), ne s’y est pas trompé en soulignant que le « Golfe est une priorité depuis longtemps » mais qu’il manquait, pour le démonter, un « événement flagship ».
C’était l’objet de ce premier Forum « Vision Golfe », avec un programme dense de conférences thématiques et sectorielles (transition énergétique, smart cities, santé, agroalimentaire, industrie 4.0, intelligence artificielle, logistique, numérique, grands projets…) et près de 1000 rendez-vous individuels organisés sur deux jours. « Il y en aura beaucoup d’autres » a promis le responsable. Sur les 900 participants, un tiers venaient du Golfe, un résultat prometteur.
Reste qu’il y aura quelques détails pratiques à ajuster pour transformer cet essai. Et en particulier la question de la simplification des visas pour les visiteurs venus des six pays du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar), évoqué par Jasem Mohamed Albudaiwi : alors que les hommes d’affaires européens peuvent bénéficier d’un visa CCG valable dans les six États membres, les ressortissants du CCG ne bénéficient pas des mêmes facilités dans l’Union européenne, et en particulier du visa Schengen. Un chantier à faire progresser au niveau européen…
Christine Gilguy