Dans un pays comme l’Éthiopie, dont le dynamisme ne se dément pas (près de 10 % de croissance par an en moyenne depuis une décennie) au point d’attirer de grands noms comme H & M et, peut-être demain, Décathlon, qui viennent y délocaliser une partie de leur production, la construction d’infrastructures de communication performantes est un enjeu considérable. Le développement d’un réseau ferroviaire et des capacités énergétiques suffisantes font partie des priorités du gouvernement. Lors d’un atelier d’information de Business France * sur ce vaste pays de la Corne de l’Afrique (1 137 000 km2), le 15 décembre, Damien Le Bayon, ingénieur résident adjoint chez Systra, a pointé l’ambition d’Addis-Abeba de « desservir par le rail son industrie » et de « se connecter en priorité à Djibouti, l’Éthiopie étant enclavée, puis au Soudan et au Kenya ».
Le plan de l’État, qui vise 2 000 km de voies ferrées dans une première phase, 5 000 avec une deuxième phase, « est très très ambitieux, mais il y a une cohérence », ajoutait-il, rejoignant ainsi le plaidoyer, rapporté dans la LC du 8 décembre **, de l’Algérien Issad Rebrab, P-dg de Cevital, en faveur d’un réseau ferroviaire traversant l’Afrique du nord au sud, c’est-à-dire de l’Algérie à l’Afrique du Sud, complété par de bonnes infrastructures énergétiques. Pour sa part, l’Éthiopie rêve d’un réseau d’est en ouest, c’est-à-dire de la mer Rouge au Golfe de Guinée. Ainsi, entend-elle construire ses 5 000 km de voies ferrées d’ici à 2020, en commençant avec un réseau vers le Soudan au nord, le Kenya au sud et le Soudan du Sud à l’ouest.
Addis-Abeba sécurise son corridor d’importations avec Djibouti
Première réalisation, la ligne de 754 km d’Addis-Abeba à Djibouti construite en quatre ans par les sociétés chinoises China Civil Engineering Construction Corporation (CCECC) et China Railway Engineering Corporation (CREC) pour un montant total de 3,4 milliards de dollars, et dont la gestion a été confiée à CCECC pour une période de cinq ans renouvelables. « Cette ligne récemment inaugurée a bénéficié d’un financement 100 % chinois », selon Damien Le Bayon. Elle remplace la voie qui avait été construite par la France du temps de la colonisation, mais qui était tombée en déshérence.
Djibouti – Addis-Abeba est le corridor d’importation de marchandises de l’Éthiopie par voie maritime. Les deux capitales ont, par ailleurs, signé un accord pour la mise en opération en 2018 d’un oléoduc de Damerjog, à Djibouti, vers des installations de stockage à Awash, dans le centre de l’Éthiopie. Un projet de 1,4 à 1,5 milliard de dollars, confié aux entreprises Black Rhino, société du fonds Blackstone spécialisée dans l’acquisition et le développement de projets d’infrastructure et d’énergie en Afrique dont le siège est à Maurice, et Mogs (Mining and Oil & Gas Services), société basée en Afrique du sud.
Un projet dont s’est réjouie Patricia Buisson-Hays-Narbonne, adjointe du directeur Méditerranée océan Indien de Total, qui exploite 170 stations-service en Éthiopie. Avec un regret toutefois : « le dépôt de carburants que nous avons construit au sud de la capitale n’est pas relié par le rail à la nouvelle voie Djibouti – Addis-Abeba » a déploré la responsable du groupe français, qui a « investi 10 millions d’euros dans ce dépôt moderne, aux standards internationaux, investi également dans la formation et l’accompagnement pour obtenir des ressources qualifiées et encore importé du matériel sur place, malgré les problèmes de devises et les contraintes liées aux douanes ». La consommation de carburants gagnant 10 % tous les ans, Total a vu grand, son dépôt d’hydrocarbures et de GPL représentant une capacité de 8 000 litres, quand la demande actuelle est de 1 000 litres. Aujourd’hui, ce seraient 600 camions qui transporteraient le carburant par la route, ce qui représenterait chaque année quelque 30 000 kilomètres de trajet à partir de Djibouti.
La Chine omniprésente dans le fer
Une deuxième voie ferrée, dont Systra a obtenu la supervision, doit relier Awash à Hara Gebeya en moins de 4h45 au lieu de 6h10 par la route, dans une région en plein essor autour des villes de Dessié, Kombolcha, Shewa Robit et Hayk, au nord de l’Éthiopie. Pour la réalisation de l’ouvrage, la Société éthiopienne des chemins de fer a signé un contrat de 1,7 milliard de dollars avec la société turque Yapı Merkezi. Le financement est européen. « Il y a des fournisseurs et des sous-traitants de plusieurs pays qui ont apporté leur garantie, via leurs agences de crédit à l’export, et ont pu démontrer qu’ils pouvaient présenter une offre pas plus cher que celle de la Chine », a exposé Damien Le Bayon. Néanmoins, China Communications Construction Company (CCCC) a entamé la construction d’un tronçon de 220 km vers le nord de Hara Gebeya à destination de Mekelle, dans le cadre d’un contrat de 1,5 milliard de dollars.
Enfin, ce sont encore les Chinois qui ont empoché le contrat du métro léger, ou Light Rail Transit (LRT) d’Addis-Abeba, premier tramway électrifié d’Afrique subsaharienne mis en service en septembre 2015. En effet, si la supervision des travaux avait été confiée à une société suédoise, China Railway Engineering Corporation (CREC) a assuré la construction de l’ouvrage et la fourniture de matériel et l’exploitation a été attribuée à la Compagnie du métro de Shenzhen. Ce projet de 485 millions de dollars a été financé à 85 % par un prêt de l’Exim Bank of China.
L’intérêt de la Chine pour l’Éthiopie ne se limiterait pas au rail. Dans le cadre de la route de la Soie (***), initiative géante pour relier la Chine jusqu’à l’Europe et l’Afrique par terre et par mer, la voie maritime concernerait les côtes d’Afrique de l’Est et très directement l’Éthiopie. Récemment, l’entreprise publique chinoise China Merchant Holdings a affiché son souhait d’acquérir 40 % de l’entreprise publique Ethiopian Shipping and Logistics Services Entreprise (Else), qui détient le monopole du transport vers l’Éthiopie et la gestion de la flotte et des ports secs du pays.
Certains projets chinois commencent à inquiéter la communauté internationale pour les investissements financiers qu’ils nécessitent, en particulier la ligne de chemin de fer Djibouti – Addis-Abeba, dont le remboursement pourrait s’avérer difficile pour les finances publiques éthiopiennes. Certes, le géant de la Corne de l’Afrique séduit les investisseurs étrangers. D’après l’Ethiopian Investment Commission (EIC), 72 projets d’investissement d’un montant total estimé à 701,5 millions d’euros seraient lancés depuis le début de l’année budgétaire 2016/2017. Toutefois, la dette publique et la dette extérieure sont élevées, représentant respectivement 54,2 % et 30,2 % du produit intérieur brut.
Devenir le leader de l’énergie verte en Afrique
L’État doit gérer une pénurie de devises, ce qui se traduit par des retards de paiement parfois conséquents, de l’ordre d’un an concernant, par exemple, Tractebel (groupe Engie), dans le cadre de l’érection du grand barrage de la Renaissance, que « l’Éthiopie finance elle-même », soulignait Frédéric Bontemps, l’ambassadeur de France à Addis-Abeba.
Les bailleurs de fonds internationaux ont, en effet, refusé d’injecter 4,8 milliards de dollars dans un projet dont le gouvernement se refusait à étudier l’impact environnemental. Selon certains experts, la vente à l’étranger de l’énergie produite par le Nil Bleu pourrait rapporter 730 millions d’euros par an aux caisses publiques. La Chine, en outre, aurait garanti l’achat pour 1,8 milliard de dollars de turbines et de systèmes électriques.
L’énergie est, de fait, un autre chantier pharaonique de l’ancienne Abyssinie. « Aujourd’hui, ce pays a 5 200 mégawatts (MW) installés, ce chiffre doit passer à 17 300 MW en 2020. Les objectifs sont, d’une part, de livrer le marché local et d’exporter pour avoir des devises, et, d’autre part, d’utiliser le potentiel hydroélectrique, mais aussi de diversifier les sources avec notamment le solaire et la géothermie », a indiqué Magali Pialat, responsable de Business France Éthiopie.
En attendant la mise en service du barrage de la Renaissance, qui doit produire 6 000 MW, Addis-Abeba a choisi de développer l’éolien. Juliette Le Pannérer, chef de projet Développement urbain à l’Agence française de développement (AFD), citait ainsi la ferme éolienne d’Ashegoda, au nord de la capitale, projet de l’entreprise français Vergnet soutenu par l’AFD. Privé d’hydrocarbures, l’Éthiopie se pose déjà en leader de l’énergie verte en Afrique. Un deuxième parc éolien, Adama II, est lancé et on parle d’une troisième initiative à a la frontière avec Djibouti. « A Ashegoda, il y a une possibilité d’extension, le potentiel est énorme dans tout le pays et la géothermie peut être un autre moteur », a détaillé Juliette Le Pannérer.
D’après une étude de la Geological Survey of Ethiopia (GSE), le potentiel de l’Éthiopie en matière d’énergie géothermique s’élève à 10 gigawatts. Un potentiel qui s’ajouterait aux 45 GW que le pays peut produire grâce à ses ressources hydrauliques et son fort taux d’ensoleillement.
Le Service économique à Addis-Abeba a recensé toute une série de projets, appels à manifestation d’intérêt lancés par Ethiopian Electric Power (EPP) pour la construction de centrales électriques (centrales photovoltaïques de Metehara (projet le plus avancé), d’Humera et de Mekele sur financements privés ; fermes éoliennes d’Adama III, de Debre Birhan et d’Aysha sur financements publics ; et projets hydroélectriques de Tams et Chemoga Yeda sous forme d’IPP (Independant Power Producer) ; et appels d’offres à venir dans le cadre de l’initiative Scaling Solar de la Société financière internationale (SFI), filiale de financement du secteur privé de la Banque mondiale. La SFI réalise les études de faisabilité pour le développement de 500 MW de centrales solaires. Par ailleurs, dans le cadre du programme Wind Data Collection, 20 sites devraient faire l’objet d’appels d’offres en IPP dans le domaine éolien.
François Pargny
* Lire au sommaire de la LC d’aujourd’hui : Éthiopie / Focus Export : ce qu’il faut savoir de l’environnement politique et économique
** France / Afrique : l’entrepreneur algérien I. Rebrab fait un carton au Medef avec ses priorités stratégiques
*** Lire dans la LC du 1er décembre : Chine / Commerce : le concept géant de route de la soie englobe l’Asie, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe et Chine / Route de la soie : la France écartée des sillons chinois ?
Pour prolonger :
–Éthiopie / Textile : comment Addis-Abeba protège son industrie avant d’adhérer à l’OMC
–France/Éthiopie : Matthias Fekl en visite à Addis-Abeba pour soutenir les entreprises françaises