« L’Éthiopie est un marché à part, on ne l’attaque pas du Kenya, comme on pourrait le faire pour d’autres pays de la région », soulignait, le 15 décembre à Business France, son directeur Afrique de l’Est, Xavier Chatte-Ruols, lors d’un atelier d’information sur le géant de la Corne de l’Afrique. Sous maints aspects, ce grand pays de plus de 102 millions d’habitants est spécifique et paradoxal. On ne cesse ainsi de vanter son dynamisme économique et sa croissance autour de 7 % ces dernières années, et, pourtant, il figure toujours dans la catégorie des pays moins avancés (PMA), avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant de 530 dollars. « Il faut se rappeler que ce pays part de loin », nuançait Pierre Sentenac, conseiller économique à Addis-Abeba.
Pour parvenir à l’horizon 2020-2023 à se hisser parmi les pays à revenu intermédiaire, avec un PIB de 1 200 dollars par habitant, « un objectif crédible, mais l’Éthiopie a des fragilités politiques », tempérait l’ambassadeur de France Frédéric Bontems – c’est par la planification de type soviétique, concrétisé par le plan de croissance et de transformation (GTP), que le parti au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire (EPRDF), entend y parvenir. C’est donc par l’investissement public que le gouvernement veut transformer l’économie et les conditions de vie de la population.
La bureaucratie est omniprésente et, pour la contourner, le gouvernement a choisi de créer des guichets uniques dans des parcs industriels accueillant des investisseurs étrangers. En même temps, certains secteurs sont interdits aux opérateurs internationaux, comme la grande distribution. De même, l’Éthiopie n’ayant toujours pas adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), elle impose des droits de douane élevés, par exemple, de 250 % dans l’automobile. « En général, les tarifs douaniers fluctuent de 0 à 35 %. Mais il faut encore ajouter des droits d’accise, qui varient entre 10 et 100 %, et la TVA de 15 % », énumérait Thierry Gougy, avocat partenaire d’East Africa Gate Consulting.
Vers une réforme électorale pour représenter l’opposition
« Le taux moyen des droits de douane est de 25 %. Mais sur les produits de luxe, les tarifs sont particulièrement élevés, par exemple de 100 % pour les eaux de toilette et les parfums et on peut encore arriver à 150 % avec les autres taxes », précisait Sana Ghabri, chef du projet Informations règlementaires Afrique/Proche et Moyen-Orient à Business France. Les procédures douanières sont souvent compliquées. « Nous devons combattre la mauvaise administration et la corruption », affirmait à Paris Taye Atske-Selassié, secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères. En même temps, l’Administration assure au pouvoir, aux mains de la minorité tigréenne, sa stabilité.
A la tête de l’État depuis la chute du régime du lieutenant-colonel Mengistu en 1991, l’EPRDF, déjà affaibli par la disparition de son leader historique Meles Zenawi en 2012, est confronté depuis 18 mois à des troubles sociaux, liés à des pertes d’emplois et des expropriations de terrains pour réaliser le GTP. Face à la grogne des deux ethnies majoritaires représentant ensemble environ 70 % de la population, Oromos et Amharas qui se disent discriminés, le gouvernement a décrété l’état d’urgence. « Je ne dis pas que nous sommes un pays stable », déclarait encore avec une franchise étonnante Taye Atske-Selassié, « elle est relative » et, pour lui, il faut encore « une classe moyenne pour asseoir la démocratie ».
En place depuis à peine deux mois, le nouveau gouvernement plus technocratique de Haïlémariam Dessalegn a promis de mettre un terme, de fait, au parti unique, face à une opposition qui n’est pas structurée, en modifiant le mode électoral. « La réforme doit introduire la proportionnelle et la majorité simple et nous devons aussi nous doter d’un système électronique. Ce nouveau dispositif pourrait alors être lancé aux municipales dans un an », a estimé le secrétaire d’État.
Les bailleurs de fonds ne sont pas naïfs. Addis-Abeba est régulièrement accusé d’étouffer les contestations et de bafouer les droits de l’Homme, mais ils espèrent, quand même, que les réformes promises, permettant notamment une meilleure représentation de l’opposition, seront lancées. L’Éthiopie est le géant de la Corne de l’Afrique, un pays à majorité chrétienne dans une région perturbée à dominante musulmane, et peut constituer un pôle de stabilité majeur. « C’est une course contre la montre, un pari du gouvernement de créer une classe moyenne éduquée qui permettra d’ouvrir le jeu politique. L’Éthiopie à une vision économique et politique et la communauté internationale, de son côté, fait le pari d’appuyer les réformes », reconnaissait Frédéric Bontems.
Le défi de la formation et du chômage
Le géant de la Corne de l’Afrique demeure un pays agricole, sujet aux aléas climatiques. L’an dernier, il a subi sa pire sécheresse depuis une cinquantaine d’années. Pour résoudre cette crise, l’Agence américaine pour le développement international (USAID) a versé plus de 700 millions de dollars depuis 2014. Cette année-là, l’aide publique au développement (ADP) se montait au total à 3,2 milliards de dollars.
Les bailleurs de fonds ont tous leurs priorités, qui s’inscrivent dans le GTP : la Banque mondiale, soutien au secteur privé, infrastructures, etc. (41 projets, soit 8 milliards de dollars) ; la Banque africaine de développement (Bad), infrastructures à 68 % (21 projets, soit 1,54 milliard) ; l’Union européenne, agriculture, santé, énergie, routes, etc. (745 millions) ; l’Agence française de développement (AFD), développement urbain, infrastructures, énergie, etc. (362 millions). Toutefois, quels que soient les appuis financiers, l’essor de l’Éthiopie risque d’être freiné par le manque de main d’œuvre qualifiée. Un risque qui s’ajoute à l’existence d’un chômage élevé, nourri par une démographie importante.
« Nous avons laissé tomber nos universités, nous n’avions pas conscience de la formation et sommes à l’heure actuelle en train de réinvestir dans ce domaine », a assuré Taye Atske-Selassié, qui conduisait une mission d’une dizaine d’entreprises à Paris. Les représentants des 70 sociétés françaises présentes dans la salle de conférence de Business France n’ont pas réagi quand on leur a proposé d’interroger le ministre, préférant poser des questions techniques aux experts réunis (Business France…). Preuve sans doute que la politique les intéresse moins que les opportunités d’un marché émergent.
François Pargny
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Pour prolonger :
–Éthiopie / Textile : comment Addis-Abeba protège son industrie avant d’adhérer à l’OMC
–Économie/ Développement : les avancées dans les PMA sont faibles, notamment en Afrique
–France / Afrique : l’entrepreneur algérien I. Rebrab fait un carton au Medef avec ses priorités stratégiques
–Chine / Commerce : le concept géant de route de la soie englobe l’Asie, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe