Stif, PME industrielle familiale installée à Saint-Georges-sur-Loire, dans le Maine-et-Loire, affiche des taux de croissance de startup depuis deux ans. A l’origine de cette expansion : un système breveté de protection anti-explosions dédié aux unités de stockage d’énergie d’origine renouvelable (ENR). En passe de devenir une ETI, elle compte profiter de son avance technologique pour devenir leader mondial de cette niche.
Pour ses quarante ans d’existence, Stif, fabricant d’outillage industriel, s’offre une allure de startup. Sa spécialité historique est la production de composants pour la manutention de produits en vrac. Mais depuis une dizaine d’année, grâce à un brevet cédé il y a une quinzaine d’années par un de ses client contre l’effacement de sa dette, elle s’est diversifiée dans les systèmes de protection contre les explosions de poussières industrielles, marché porteur depuis l’explosion de l’usine chimique AZF à Toulouse. Un système qu’elle a eu le génie d’adapter à la protection contre les incendies de batteries.
Résultat : depuis deux ans et demi, son activité explose littéralement, et sans mauvais jeu de mot. Son chiffre d’affaires consolidé, de 35 millions d’euros en 2023, devrait plus que doubler cette année pour atteindre près de 60 millions d’euros (M EUR), soit « une très forte croissance » commente modestement son P-dg José Burgos, fils du fondateur de l’entreprise, Manuel (photo en couverture). Déjà au premier semestre 2024, il atteint 27,7 M EUR, en hausse de 69,3 % par rapport au 1er semestre 2023. Et 80 % de ses ventes sont réalisées à l’international !
A l’origine de cette expansion soudaine ? Un produit innovant développé par Stif, à la suite d’une demande d’un de ses clients, Saft Battery, une filiale du groupe Total Energies. Celle-ci recherchait une solution pour renforcer la sécurité incendie de ses unités de stockage d’énergie d’origine renouvelable (ENR) installées dans des conteneurs. Dans le jargon du secteur des ENR, on les appelle les « BESS » pour Battery Energy Storage System. L’idée était de voir si les solutions de protection contre les explosions de poussières industrielles proposées par Sift pouvaient être adaptées à cette nouvelle problématique. C’était le cas. « Nous avons alors découvert un nouveau marché à très fort potentiel » souligne José Burgos.
« Nous voulons devenir le leader mondial de cette niche »
La solution mise au point par l’équipe Recherche & Développement (R & D) de Stif se présente comme un panneau amovible qui se fixe sur les conteneurs de BESS. Si une batterie explose ou prend feu, le panneau s’ouvre et oriente le souffle et les flammes vers l’extérieur, évitant que l’incendie ne se propage aux autres batteries. Autrement dit, il réduit fortement les dommages collatéraux. Le produit phare est le Dual-Vent, qui permet également de ventiler l’installation.
« Le principe est similaire à celui de nos solutions pour les explosions de poussières industrielles, nous avons adapté le système aux BESS grâce à notre R&D interne » résume José Burgos. Le marché qui s’ouvre à cette innovation est colossal car selon lui, « avec le développement du stockage pour palier l’intermittence de ces énergies renouvelables, la croissance des BESS est exponentielle dans le monde entier ».
Tesla a été le premier grand acteur international à être convaincu par la solution de Stif. Depuis, les commandes affluent : Sungrow, Nidec sont devenus des clients réguliers. En Asie, le plus gros fabricant mondial de batteries au monde, le Chinois CATL, est devenu également un client, de même que Byd, son compatriote constructeur de véhicules électriques. Au Japon, un premier contrat a été signé avec Hitachi et en Europe, Stif vient de démarrer un contrat avec Siemens Energy dont les responsables, selon José Burgos, « adorent notre produit ».
« Avoir eu Tesla au tout début nous a beaucoup aidé » reconnaît le dirigeant. Mais c’est sans fausse modestie qu’il détaille son ambition : « Nous sommes sur un marché de niche mais nous avons pris de l’avance en nous positionnant sur le stockage de l’énergie », explique-t-il. Car pour le moment, les concurrents de Stif, dont deux aux États-Unis et un en Allemagne, sont uniquement positionnés, selon le dirigeant, sur la protection contre les explosions de poussières industrielles. De quoi justifier une grande ambition. « Nous voulons devenir le leader mondial de cette niche » ajoute José Burgos.
Lever des fonds pour investir aux États-Unis et en Chine
Très vite après la découverte de ce nouveau marché, les dirigeants de Stif ont dû faire face aux problématiques de toutes les PME en forte croissance avec une vision mondiale de leur développement : il faut investir rapidement dans de nouvelles capacités de production et la force commerciale pour renforcer son avance sur la concurrence. « Nous avions identifié un besoin de financement important car nous voulions être sur le marché global » explique José Burgos.
Pas question pour lui et son père de faire appel aux banques car l’entreprise avait déjà contracté un gros emprunt. Pas question non plus d’ouvrir le capital, toujours contrôlé par la famille Burgos, à des actionnaires minoritaires type fonds d’investissement. D’où la décision d’entrer en bourse, sur le marché Euronext.
Ce fut chose faite en décembre 2023, malgré un contexte économique et financier peu favorable . « Nous avons été l’une des six entreprises françaises à entrer en bourse en 2023, se réjouit José Burgos. Nous voulions 12 millions, nous en avons réussi à en lever 9. Mais depuis, le titre a bien progressé ». Vérification faite, le titre Stif a pris plus de 230 % depuis le début de l’année…
Ces fonds visaient notamment à permettre au groupe familial de financer la création d’unités de production de ses systèmes BESS dans les marchés stratégiques, en particulier aux États-Unis et en Chine, où sont basés les leaders mondiaux de cette activité. « Nous voulons produire au plus près de nos grands clients », souligne José Burgos, qui observe que la montée du protectionnisme est une justification supplémentaire de tels investissements. « En Chine, une implantation locale est obligatoire et aux États-Unis, ils en prennent le chemin ». Et pour mettre toutes les chances de succès de leur côté, les dirigeants ont décidé d’associer des partenaires locaux de confiance à ces projets d’implantation, leur offrant des parts minoritaires dans les sociétés locales.
C’est donc chose faite aux États-Unis : Stif vient d’investir 3 millions d’euros dans une unité de production située près de San Antonio, au Texas, dont le premier client est l’usine de BESS de Tesla, située près de San Francisco, en Californie. Installée dans des locaux loués par l’entreprise, elle est pilotée par le partenaire distributeur de Stif outre-Atlantique, qui en est devenu associé. Si l’entreprise n’a pas encore déposé de demande pour bénéficier des subventions du programme IRA (Inflation Reduction Act), José Burgos n’en écarte pas l’éventualité.
En même temps, Stif a lancé la création d’une deuxième unité en Chine, à Shanghai, en association avec un partenaire singapourien. Le projet est en cours.
En passe de devenir une jeune ETI industrielle
Stif est ainsi en train de devenir une ETI industrielle en forte croissance, à la tête de bientôt cinq sites de production dont le plus important en France, trois en Asie (deux en Chine, et un en Indonésie) et bientôt un aux États-Unis.
Son site historique de Saint-Georges-sur-Loire, à une trentaine de kilomètres au sud d’Angers, emploie 140 personnes sur 12 000 m2. Avant même les nouveaux développements pour le marché des BESS, l’entreprise avait déjà créé de petites unités de production en Indonésie (surtout pour les composants d’engins de manutention) et en Chine pour servir le marché local. « Nous atteindrons bientôt 200 personnes et nous allons embaucher dans les prochains mois, surtout aux États-Unis » précise José Burgos.
Membre de la French Fab et du programme public ETIncelles lancé fin 2023 pour aider les PME à devenir des ETI, Stif mène, pour le moment, sa barque sans grande aide extérieure. « Jusqu’à présent, ETIncelles ce sont des réunions et du conseil, souligne José Burgos. C’est un dispositif qui peut être efficace mais nous n’en avons pas eu besoin jusqu’à présent ».
De fait, ses résultats témoignent d’une transformation accélérée de son modèle économique : alors que l’activité historique des composants pour la manutention stagne, en deux ans à peine, le marché des BESS est passé de 10 % à 50 % du chiffre d’affaires et les dirigeants estiment qu’elle pèsera 80 % d’ici 2027, même si la partie protection contre les explosions de poussières est également en croissance. Les États-Unis représentent déjà 40 % de l’activité !
Christine Gilguy