Jusqu’à présent sous-traitant de l’industrie de pointe avec ses micro-écrans high tech, Microoled a décidé de changer de braquet et de lancer son propre produit, des lunettes intelligentes à réalité augmentée (AR) pour le grand public et les industriels. Dans ce grand saut, cette PMI grenobloise vient de recevoir un coup de pouce du CES de Las Vegas, qui lui a attribué un prix de l’innovation.
Sous-traitant des industries de pointe, Microoled n’est ni une startup ni un nouveau venu sur le marché international : en une quinzaine d’années, ce concepteur et fabricant grenoblois de micro-écrans OLED (pour Diode électro-luminescente organique en français), des composants qui s’intègrent dans des caméras embarquées ou des lunettes de toutes sortes, s’est déjà fait un nom sur cette niche mondiale où ses clients sont de grands intégrateurs ou des industriels de la défense et de la sécurité comme Thales ou Safran.
Ayant déposé 260 demandes de brevets depuis sa création il y a 15 ans, en partie développés avec le CEA, fabriquant ses propres micro-processeurs à partir de galettes de silicium, la PME grenobloise exporte déjà 97 % d’un chiffre d’affaires qui a atteint 23 millions d’euros (2021), dont 50 % en Asie, 15 % aux États-Unis et le reste en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. Une des fiertés de la société, dans son métier historique, est de savoir ses micro-écrans intégrés dans du matériel de l’armée américaine, référence qui justifie l’existence d’une filiale aux États-Unis.
« Google l’a rêvé, MicroOled l’a fait »
Et pourtant, c’est au CES de Las Vegas, grand-messe de l’électronique grand public mondiale, qu’elle vient de se distinguer : elle y a décroché un prix de l’innovation pour un nouveau produit issu de sa R&D, Engo 2, des lunettes à réalité augmentée (AR) dédiée aux sportifs. « Google l’a rêvé, Microoled l’a fait » s’amuse Éric Marcelin Dibon, P-dg de Microoled, un peu moqueur en évoquant les échecs rencontrés jusqu’à présent par les géants de la tech américaine dans le marché naissant mais « décevant » de la réalité augmentée.
Une distinction qui marque aussi une diversification et une étape importante de la transformation de cette PME d’une centaine de salariés, de sous-traitant à fabriquant de produits finis. « Nous montons dans la chaîne de valeur car avec cette nouvelle activité, nous entrons dans un marché davantage B to C » confirme le dirigeant, toujours aux manettes de cette société avec son cofondateur et associé allemand Gunther Haas.
Connectables à divers terminaux (montres de sport, smartphone, micro-ordinateur de vélo) grâce à une plateforme technologique propriétaire mais ouverte dénommée Activelook® (développée par la division du même nom de Microoled), ces lunettes permettent de fournir à un sportif, en temps réels, divers types de données sur son activité en cours : temps, vitesse, distance parcourue, etc. L’utilisateur les organisent à sa guise dans un tableau de bord qui s’affiche dans son champ de vision naturel, sans le gêner. Finies les pertes de temps ou ruptures de concentration liées à la consultation d’une montre ou d’un smartphone en pleine course, par exemple.
Cerise sur le gâteau : ces lunettes sont ultra- légères (30 g) et les plus économes en énergie du marché, « 30 fois moins consommatrices que la concurrence » se félicite Eric Marcelin Dibon. De quoi séduire des sportifs aguerris et passionnés, comme les marathoniens ou les athlètes de triathlon, prêts à investir quelques centaines d’euros dans ce type d’équipement de pointe pour améliorer leurs performances.
Un nouveau cas d’usage qui justifie un développement en propre
Pour cette PME plus habituée aux marchés BtoB moins médiatisés, ce prix arrive à point nommé pour donner un maximum de visibilité à ces lunettes futuristes à moindre frais : Microoled les a lancées en décembre 2022, un mois à peine avant le CES de Las Vegas. Mais avec peu de moyens en termes de communication et de marketing : « Comme c’est un nouveau cas d’usage, nous avons décidé de les commercialiser en direct, via un site Internet dédié » explique Eric Marcellin.
Le fait que ces lunettes soient un nouveau cas d’usage explique aussi pourquoi la société a préféré développer d’entrée son propre produit plutôt que de travailler avec des lunettiers ou des marques d’équipements sportifs. C’est un vrai pari sur l’avenir. « Cela fait plusieurs années que nous développons cette technologie, avec son moteur, les micro-écrans et les applications, souligne le dirigeant. En termes d’investissement, on est déjà sorti de notre zone de confort ».
Depuis son lancement en décembre, plusieurs centaines de lunettes Activelook® ont déjà été vendues via son site Internet, selon Eric Marcelin Dibon, grâce principalement au bouche-à-oreille : « on a pas mal communiqué avant le CES et on a développé une communauté de sportifs qui ont testé le produit ». Les ventes décollent lentement mais sûrement aux États-Unis, où la PME dispose d’une équipe de commerciaux externalisée. Elles décollent aussi en Europe, notamment en France, Allemagne, Royaume-Uni, Suisse et dans les pays nordiques.
La visibilité donnée au CES de Las Vegas devrait booster ces ventes. D’autant plus que la plateforme Activelook® étant ouverte, elle permet à des développeurs de créer leurs propres applications. D’ores et déjà, Engo 2 peut se connecter sans problème à des montres Apple Watch, Garmin ou Suunto.
Doubler le chiffre d’affaires d’ici 2025-2026
Décidée à s’incruster sur cette nouvelle niche mondiale à son rythme, la PME a d’ores et déjà développé une version de ses lunettes pour l’industrie, ActiveLook® Enterprise. Elle a été lancée en avant-première lors du dernier Sido de Paris, salon européen dédié à l’internet des objets (IoT), l’intelligence artificielle et la robotique, en novembre 2022. « Les entreprises achètent nos lunettes AR pour faire des tests ou permettre à leurs employés d’avoir des informations simples en temps réel » explique Eric Marcelin Dibon.
Pour Microoled, le développement du marché pour ces lunettes AR pourrait permettre de doubler le chiffre d’affaires de l’entreprise d’ici 2025-2026 tant à l’échelle mondiale, le potentiel est immense, notamment dans le sport. « Le marché du sport est énorme »,selon le P-dg. Sans compter les besoins des entreprises à l’heure de l’industrie 4.0.
Dans l’immédiat, l’entreprise, dont les deux fondateurs contrôlent encore 45 % du capital, le reste étant détenu par des fonds de capital-développement (dont Ventech et Supernova), doit augmenter ses capacités pour faire face à la demande et continuer à innover pour améliorer ses produits. Une levée de fonds est en préparation dans cet objectif. « Nous voulons la boucler cette année » conclut le dirigeant.
Christine Gilguy