Société nantaise pionnière de la production d’hydrogène vert, lauréate du palmarès 2023 du Moci dans la catégorie startup, Lhyfe est embarquée dans une course contre la montre pour installer des sites de production et signer des contrats commerciaux dans les marchés les plus prometteurs d’Europe. Objectif : être prête à livrer lorsque la vague commencera vraiment à déferler. La stratégie est méthodique, la vision est à long terme, et évidemment internationale.
[Mis à jour le 8/04/2024 avec les résultats publiées le 28 mars par Lhyfe]
« Actuellement, nous n’avons plus un seul gramme d’hydrogène à vendre » reconnaît Taia Kronborg, Chief Business Officer de Lhyfe. Pas de stock chez ce producteur émergent d’hydrogène vert, déjà implanté dans 11 pays européens. Car il n’investit pas dans des sites de production avant d’avoir sécuriser ses futurs clients mais aussi les sources d’électricité renouvelable nécessaire à l’hydrolyse. Autrement dit, son portefeuille commercial suit le déploiement de ses projets de production. Et cela va vite depuis le lancement de son premier site industriel relié à un parc éolien en 2021. Impossible de faire le compte ici de tous les accords et projets engrangés depuis, mais les grands axes stratégiques sont bien clairs.
Taia Kronborg développe. Côté débouché, c’est naturellement la vague montante des usages de l’hydrogène vert, c’est-à-dire produit grâce à des sources d’énergie renouvelable (ENR). A grands traits, elle concerne la mobilité et l’industrie, avec des segments de marchés qui démarrent vite, d’autres qui iront plus progressivement.
Dans la mobilité, le marché en phase « d’amorçage »
Dans la mobilité, où sont concernés les véhicules privés, utilitaires et les bus, le marché est en phase « d’amorçage », encore balbutiant et éparpillé. C’est une enseigne de la grande distribution qui s’équipe en chariots élévateurs à hydrogène, ou des sociétés de taxis comme Hype, qui ont noué un partenariat avec Stellantis pour s’équiper en véhicules à hydrogène. Mais le plus important reste à venir.
« Ce qui va vraiment tirer le marché, ce sont les camions lourds qui vont arriver vers 2027 », explique la CBO. Parmi les solutions pour décarboner le transport lourd, l’Union européenne mise en effet sur ce carburant vert et elle a imposé par voie législative que des stations à hydrogène vert soient installées sur les grands axes routiers européens tous les 150 km d’ici 2030. Autrement dit, pour un producteur indépendant comme Lhyfe, il faudra se tenir prêt à fournir dès que ce réseau de distribution sera en place.
Dans l’industrie, des débouchés segmentés entre différents secteurs
Dans l’industrie, là encore les débouchés sont en croissance, mais segmentés entre les acteurs qui ont besoin de petites quantités, par exemple dans la chimie, et ceux qui ont des besoins beaucoup plus massifs comme les industriels de l’ammoniac ou les producteurs d’acier vert. Des projets plus conséquents commencent à émerger pour créer des infrastructures de production et de distribution d’hydrogène vert dans des bassins industriels, bénéficiant d’un soutien appuyé des autorités françaises et européennes.
Un exemple parmi d’autres, Lhyfe a annoncé le 18 mars avoir décroché un soutien financier de l’État français (subvention pouvant aller jusqu’à 149 millions d’euros), pour la construction d’une usine de production d’hydrogène vert d’une capacité d’électrolyse installée de 100 MW près du Havre. Le fruit de deux ans de travail. L’usine, qui a été reconnue par la Commission européenne comme PIIEC (Projet important d’intérêt européen commun), pourra produire jusqu’à 34 tonnes (t) d’hydrogène vert/jour à proximité du Grand Canal du Havre, l’une des plus grandes zones industrialo-portuaires d’Europe. L’un de ses futurs clients pourrait d’ailleurs être l’usine havraise du groupe chimique Yara, qui veut être neutre en carbone en 2050.
Sécuriser ses sources d’approvisionnement en ENR
Les choses vont donc vite pour la jeune pousse de 200 salariés aujourd’hui, qui a déjà mené avec succès, depuis sa création en 2019, plusieurs levées de fonds pour investir et mener à bien ses projets : 189 millions d’euros au total. Lhyfe est entrée en bourse en mai 2022, levant 118 millions d’euros. Ses premiers revenus commencent à tomber : 1,3 million d’euros de chiffre d’affaires en 2023, le double de l’année précédente. Mais, selon des chiffres actualisés publiés fin mars 2024 par la société, elle vise un quadruplement de son chiffre d’affaires en 2024, et 100 millions d’euros fin 2026, avec une marge d’EBITDA de 10% la même année. En termes d’exploitation, la société vise d’opérer 3 GW d’actifs d’ici 2030.
Dès sa création, Lhyfe ne se voyait pas d’autre avenir qu’au minimum européen. Déjà leader en France, où elle multiplie les projets sur tout le territoire, la jeune pousse a mené en parallèle, sans attendre, son déploiement à l’échelle européenne, via des marchés d’appel d’offre et des partenariat, avec une stratégie bien arrêtée : viser prioritairement les marchés disposant de sources d’ENR abondante pour alimenter ses sites, et bien évidemment de débouchés réels pour sa production.
« Nous ne nous attaquons pas à des pays ne disposant pas de sources d’ENR suffisantes » résume Taia Kronborg. Au sein de Lhyfe, une équipe est d’ailleurs dédiée spécifiquement au sourcing et aux achats d’électricité d’origine renouvelable pour alimenter ses usines, avec des partenariats et des contrats à long termes noués avec certains producteurs, comme récemment avec le portugais EDPR, avec le quel elle a signé un accord de portée mondiale.
L’Allemagne, « c’est la locomotive de l’Europe »
Après la France, l’Allemagne a été mis en tête des priorités. « C’est la locomotive de l’Europe, elle a annoncé un soutien massif à l’hydrogène vert » rappelle Taia Kronborg. C’est aujourd’hui son deuxième marché derrière la France. Dans l’Hexagone, elle compte un site en production et deux autres qui vont bientôt l’être. En Allemagne, trois sites de production sont en construction. En octobre dernier, elle a notamment posé la première pierre du chantier de son futur plus grand site de production hors de France, à Schwäbisch Gmünd, dans le Bade-Wurtemberg (4t/jour, soit 1 000 t/an, sur la base d’une capacité installée de 10 MW). La première d’une série d’usines que la startup entend déployer outre-Rhin dans les prochaines années.
A court terme, d’ici 2025, Lhyfe veut devenir, en France et en Allemagne, un acteur majeur de la distribution de gros d’hydrogène vert.
Puis la startup s’est attaquée aux pays nordiques, plus particulièrement le Danemark et la Suède, riches en énergies éolienne. En Finlande, elle a pris une participation minoritaire dans Flexen, un développeur de projets d’hydrogène renouvelable. Ensuite direction le Royaume-Uni, où elle vient notamment de signer un partenariat avec le développeur britannique d’ENR Source Galileo, puis l’Espagne, où elle est entrée dans le projet d’hydrogène vert Tarragona. Des projets sont également en cours en Italie et au Portugal avec des partenaires.
Les implantations de Lhyfe à l’international
–Filiales : Allemagne (2020) ; Danemark, Pays-Bas, Suède (2021) ; Espagne, Royaume-Uni, Canada (2022).
–Bureaux : Belgique, Finlande, Norvège, Portugal (2022).
Des partenariats technologiques et commerciaux avec des industriels
Afin de contribuer à l’accélération du marché, Lhyfe a, en parallèle, noué des partenariats technologiques et commerciaux avec des fabricants d’équipements industriels dans l’objectif de construire des solutions nouvelles de conversion à l’hydrogène vert.
« Notre métier, c’est de produire de l’hydrogène vert, en revanche, nous cherchons des partenariats industriels et technologiques dans plein de domaines spécifiques relevant des usages dont nous ne maîtrisons pas les savoir-faire ; convertir un brûleur au gaz en brûleur à hydrogène, par exemple », explique Taia Kronborg. « Or, les industriels qui veulent avancer dans leur transition énergétique ont pour réflexe de s’adresser en premier à leur partenaire technologique habituel ».
De tels partenariats ont par exemple été signés avec le constructeur d’engins Gaussin, Stellantis, les Chantiers de l’Atlantique, l’équipementier automobile Schaeffler ou encore ABB. Le dernier partenariat en date significatif a été celui noué en septembre dernier avec l’Italien Exogen Hydrogen Solutions (Exogen), une société d’ingénierie et de conseil spécialisée dans les solutions hydrogène pour le bâtiment. Exogen vient de mettre au point une centrale à vapeur innovante et pionnière sur le marché, baptisée HSP 3000, utilisant une nouvelle technologie de chaudière mise au point par Jericho Energy Ventures. Dans le cadre de cet accord, Exogen, Jericho et Lhyfe proposeront au marché une solution d’équipement complète et clés en main.
Le grand export « c’est à long terme »
Lhyfe prépare déjà une nouvelle vague d’implantation, mais toujours en Europe. Bien que l’entreprise ait déjà ouvert une filiale au Canada, le grand export est envisagé dans un avenir lointain. « Une société comme la nôtre ne peut pas tout faire au même moment, explique la CBO. Nous avons quelques projets au Québec et nous voyons le Canada comme un tremplin pour les États-Unis. Mais c’est à long terme. »
A court terme, la priorité de Lhyfe est de consolider ce qu’elle a déjà accompli en Europe. « Notre but premier était de construire un réseau de sites de production en France et en Allemagne pour devenir leader européen de l’hydrogène vert, conclut Taia Kronborg. Mais nous avons posé des jalons dans les marchés les plus prometteurs ».
Christine Gilguy