Durement touché par les effets de la pandémie sur ses exportations, l’horloger alsacien Pierre Lannier a revu de fond en comble sa stratégie à l’international. Une démarche qui est allée de pair avec une relocalisation de la production en France et une montée en gamme qui ouvre de nouveaux marchés à cette PME patrimoniale créée par les grands-parents de la nouvelle directrice de l’export.
« Le Moyen-Orient, avec l’Arabie saoudite et l’Egypte, la Serbie, la Croatie, la Hongrie, le Kazakhstan, l’Indonésie, le Japon, le Vietnam, la Corée, l’Equateur, le Mexique et puis les Etats-Unis et l’Allemagne, deux marchés que nous avons dû quitter et sur lesquels nous sommes en train de revenir. » A entendre son P-dg Pierre Burgun égrainer les pays où ses montres sont distribuées, on peine à imaginer l’impact de la crise sanitaire sur l’activité à l’international de cette PME de 110 personnes installée à Ernolsheim-lès-Saverne, dans le Bas-Rhin.
Pourtant, les montres Pierre Lannier (17 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022) ont vu leur activité à l’international bouleversée par la pandémie. Non seulement le chiffre d’affaires à l’export est passé de 25 % à 15 %, mais l’entreprise a dû complètement (et rapidement) revoir ses priorités en termes de prospection de marchés. « Avant le Covid-19, nous étions présents dans 50 pays et la Chine était notre premier marché, rappelle le dirigeant. Le chiffre d’affaires est passé de 1 millions à 70 000 euros. Il a fallu aller chercher d’autres relais de croissance et la pandémie a eu un effet d’accélérateur de projets à l’international, comme celui de retourner en Allemagne ».
La pandémie a paradoxalement relancé l’export
Après le départ à la retraite du directeur de l’export, Pierre Burgun, dont les parents ont fondé la société il y a 45 ans, a recruté sa fille Laura pour lui confier le pilotage de la stratégie à l’international de l’entreprise familiale.
« Ce n’était pas prévu, mais je cherchais quelqu’un qui parle couramment allemand et Laura est franco-allemande. C’est vrai que, quand ça fonctionne bien, c’est un plus de travailler en famille, ça va plus vite, on est en totale confiance. Mais je la laisse faire à sa manière, sinon ça ne marcherait pas. » Bilingue, donc, et diplômée en marketing international à la Neoma business school, la nouvelle directrice de l’export est passée par les départements produits de Louis Vuitton, Chanel et Raidillon Watches.
Autre pays dans le viseur du dirigeant, qui y a ouvert une filiale en 1988 avant d’en repartir quelques années plus tard : les États-Unis. Mais cette fois l’horloger français ne compte pas s’implanter dans le pays et mise plutôt sur l’e-commerce, qui a littéralement explosé à la faveur de la crise sanitaire. Autre argument de choix pour séduire les consommateurs américains : le nouveau modèle, baptisée de son année de naissance, 1977.
Changement de positionnement centré sur le Made in France
A la fin des années 1990, Béatrice et Jean-Paul Burgun, les parents de l’actuel P-dg prennent le secteur à rebours en ouvrant une nouvelle unité de production non pas en Chine, comme la concurrence le fit, mais à Madagascar. En 2010, seuls 25 % de la production sont assurés en France. La encore l’effet accélérateur de la pandémie a précipité la relocalisation en France, amorcée cependant avant le début de la crise sanitaire. « En 2022, notre atelier en Alsace a réalisé 65 % de la production et nous sommes montés à 75 % au premier semestre de cette année », précise le dirigeant.
Un changement de braquet qui a une conséquence : le prix. Alors que celui des 300 modèles varie de 100 à 300 euros, avec une moyenne de 140 euros, la nouvelle tocante affiche… 1977 euros. « Et à ce prix là on ne gagne pas d’argent, mais on n’en perd pas non plus. »
Alors qu’en France, la marque est dans le top 3 des montres à moins de 500 euros, elle parie donc sur une montée en gamme pour séduire de nouveaux clients à l’international. Fabriqué en France, ce nouveau modèle mise également sur l’aura du Made in France à l’étranger. Pour Pierre Burgun, « le fabriqué en France est un très gros atout dans des pays comme la Chine ou l’Arabie saoudite, et sur tous les marchés où la France est associée à l’univers du luxe ». La 1977 est certifiée « origine France garantie » et sera déposée en tant que marque au cours du premier semestre 2024.
Un vent de réindustrialisation
Pour parvenir à une part de production locale de 96 %, Pierre Burgun a pris son bâton de berger et est allé voir tous les fabricants de composants en France. « Les 4 % restants ce sont le cadran, qui est suisse, car aucune entreprise française n’en produit plus, et je n’ai trouvé qu’un fabricant de mouvement français, l’entreprise franc-comtoise Pequignet. Sans cette pièce maîtresse, nous n’aurions pas pu être labélisés. »
Une deuxième entreprise spécialisée dans les mouvements est arrivée sur le marché : France Ebauches, une entreprise née en 1967 et reprise par Festina en 2017. Face à la demande, la production de calibres et de mouvements renaît. « Il y a une véritable dynamique de l’horlogerie française en ce moment, s’enthousiasme le dirigeant. Nous voyons arriver de nouvelles marques et la filière se relance ».
A l’inverse de beaucoup de secteurs, l’horlogerie de connaît par de crise de recrutement en raison d’un bon réseau d’établissements de formations. Et le secteur a le vent en poupe à l’international. La France est en effet le 5ème exportateur de montres et le quatrième de bracelets et de composants.
Sophie Creusillet