Près de 80% des émissions de carbone à l’échelle du globe sont imputables aux supply chain. L’atteinte du « net zéro carbone », ce Graal de l’équilibrage entre émissions et absorptions de CO2, représente donc un défi de taille pour l’ensemble des transporteurs et chargeurs. Sur les cent mille milliards de dollars (voire plus) qui seront nécessaires pour atteindre cet objectif ambitieux selon le BCG et la GFMA (Global financial markets association), entre vingt-cinq et cinquante devront être orientés vers les PME. C’est un des enseignements majeurs de l’étude « Delivering net zero supply chains : the multi-trillion dollar key to beat climate change » publiée ce jour par le cabinet international de conseil en stratégie Boston Consulting Group (BCG) et la banque HSBC
A quelques jours du lancement de la COP 26 de Glasgow sur les changements climatiques (31 octobre – 12 novembre), l’étude publiée ce jour par le cabinet international de conseil en stratégie Boston Consulting Group (BCG) et la banque HSBC montre que la décarbonation des chaînes d’approvisionnement est encore un vœu pieu.
Ces acteurs représentent encore 80 % des émissions de CO2 dans le monde. Selon les scientifiques, pour atténuer les retombées du changement climatique, il faudrait commencer par réduire de moitié les rejets industriels annuels d’ici 2030 et s’engager dans une diminution de l’activité humaine en éliminant les gaz à effet de serre et en retrouvant des niveaux d’émission préindustriels d’ici 2050.
Cet objectif passe notamment par un fort accompagnement des PME qui représentent plus de 90 % des sociétés dans n’importe quelle supply chain donnée.
Réussir à délivrer cet investissement à des millions de PME isolées constitue un challenge en termes d’accès au marché et d’appétence au risque.
Ces entreprises ont besoin de formation, de subventions et de technologies, entre autres, pour utiliser ces fonds de la façon la plus efficace pour décarboner leurs émissions. Décarboner la supply chain n’est pas qu’une question de coût ou de technologie. Il faut aussi impulser des changements de business models et de culture organisationnelle.
Les PME ont besoin de mesures incitatives pour réduire leur empreinte carbone, de ressources financières pour couvrir les coûts correspondants, de formation pour que tout cela fonctionne ainsi que de plateformes technologiques pour les aider à surmonter les obstacles sur lesquels elles vont immanquablement buter.
Des initiatives spécialement dirigées vers elles sont déjà en place comme le SME Climate Hub porté par la Chambre de commerce internationale(ICC)et d’autres associations ou coalitions internationales en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique comme l’Exponential Roadmap initiative, le We mean business coalition et la United nations race to zero campaign.
Le cas des filières automobile et textile
Les auteurs de l’étude se sont penchés sur deux filières bien distinctes dans leurs caractéristiques industrielles : le textile et l’automobile.
La première est un secteur très fragmenté et reposant en majeure partie sur des PME, tandis que la seconde est très consolidée et repose sur des locomotives industrielles de grande taille. Selon Elm Analytics, l’automobile aux Etats-Unis regroupe 140 constructeurs, près de 5 000 équipementiers de rang 1, près de 25 000 fournisseurs de rang 2 et plus de 200 000 autres sociétés. Si toutes ces entreprises réduisaient leurs émissions, le gain environnemental serait spectaculaire d’après le cabinet de conseil et la banque d’affaires.
La vulnérabilité des supply chain constitue une faiblesse structurelle, leur interdépendance peut aussi être source de progrès. Faire travailler ensemble acheteurs, fournisseurs et pairs du secteur est ainsi plus aisé. D’importants gisements d’amélioration se nichent dans les objectifs de niveau 3 (ou « scope 3 » en anglais) qui correspondent aux émissions indirectes, liées à l’extraction de matériaux achetés par l’entreprise pour la réalisation du produit ou aux émissions liées au transport des salariés et des clients venant acheter le produit. Les auteurs de l’étude évaluent les émissions de niveau 3 à environ 85% des rejets totaux imputés à la supply chain automobile et 95 % pour ce qui concerne celle du textile.
Des plans d’action plus clairs
Réduire l’empreinte carbone de chacune de ces deux industries nécessite des stratégies très différentes. Ces dernières années, les plans d’action pour décarboner leurs chaînes d’approvisionnement respectives sont non seulement devenus plus clairs, mais aussi plus réalisables.
La plupart impliquent d’intervenir sur tout le cycle de vie du produit (recours à une électricité décarbonée), de la fabrication des matières premières (utilisation de fibres de polyester recyclé dans le textile, procédés de teinture moins polluants, etc.) à la livraison du produit fini aux consommateurs, en passant par l’élimination pure et simple de certains intrants.
Par rapport au textile, l’automobile offre, selon les auteurs, moins de possibilités d’amender le process de fabrication, même chez leurs fournisseurs. Un gain de réduction des émissions de 25 % se loge ainsi dans les matériaux non recyclables utilisés pour fabriquer le produit et non dans la ligne d’assemblage. Certaines terres rares entrant dans la fabrication des composants de batteries posent ainsi problème.
Quelles pistes d’action pour mieux faire ?
Le BCG et HSBC recommandent de s’inspirer des sept grands principes suivants pour entamer cette urgente transition vers des supply chain plus compatibles avec la préservation de l’environnement :
- Remettre à plat la conception du produit plutôt que se contenter d’optimiser de façon incrémentale les procédés existants.
- Adopter une approche collaborative. Les supply chain sont asymétriques. D’un côté, elles ont des collaborateurs compétents, formés et des ressources de qualité supérieure et de l’autre, il y a une myriade de PME plus petites et moins développées parsemées tout le long de la chaîne de valeur qui ont besoin d’aide et d’accompagnement. Pour réussir, cet ensemble d’acteurs doivent partager connaissances, technologies, investissements et ressources.
- Développer les capacités nécessaires au changement. La transition fait apparaître de manière criante les éventuelles lacunes en matière de compétences et de connaissances, qui sont souvent plus importantes au sein des fournisseurs de type PME. Le développement de capacités dans ces domaines couplé à des programmes de formation contribueront à accélérer le changement.
- Investir dans des technologies propres. Atteindre le « net zéro carbone » d’ici 2050 nécessite des investissements en R&D ainsi qu’une étroite collaboration entre industrie, science et finance pour accélérer les délais de mise sur le marché de produits innovants.
- Mieux structurer les données. Il est nécessaire de créer des systèmes capables de collecter des données opérationnelles tout au long de la chaîne d’approvisionnement pour permettre des mesures ESG transparentes, comparables, cohérentes et largement diffusables et diffusées. Cela inclut les consommateurs finaux afin qu’ils puissent disposer des informations nécessaires lors de l’achat.
- Réfléchir de façon holistique à la politique et aux normes. Si on n’adopte pas une conception globale des politiques, normes et pratiques de marché, les entreprises se retrouvent soumises à des exigences en constante évolution de la part de leurs partenaires, ce qui favorise un foisonnement de la complexité et des coûts. Il faut uniformiser plus. Les chaînes d’approvisionnement ne connaissent pas les frontières nationales et ont besoin de politiques ambitieuses mais fondées sur des normes communes opérationnelles, donc réalisables.
- Faciliter le financement. Disposer de capitaux ciblés, bien définis à un coût raisonnable est un catalyseur clé. Mais les banques ne peuvent pas le faire seules. Elles ont besoin d’accéder à des mécanismes facilitant les coopérations (par exemple, la syndication), le co-investissement avec les entreprises et la mise en place de partenariats public-privé (PPP) pour aider à fournir les financements là où ils sont le plus nécessaires. Pour cela, il faut des structures de données appropriées assurant transparence et traçabilité du financement (à qui profite-t-il ? Comment est-il utilisé ? Et par qui ?)
Emmanuelle Serrano
Pour consulter l’ensemble des observations et conclusions de l’étude (en anglais), cliquez ci-dessous.