A l’occasion de la journée crédit 2024 organisée par l’AFDCC (Association française des credit manager et conseil), le 22 novembre, un intéressant point a été fait sur le projet de réforme de la législation européenne sur les délais de paiement interentreprises, qui vise à durcir les règles pour mieux protéger les PME. La route est encore longue. Revue de détail.
La proposition de mise à jour de la directive de 2011 sur les retards de paiement* de la Commission européenne, présentée en septembre 2023 par l’ancien commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton, vise à durcir les règles en matière de délais de paiement interentreprises dans l’Union européenne (UE) et à en harmoniser l’application. Elle propose en particulier de réduire le délai légal de 60 à 30 jours dans la version initiale du texte, et à mieux encadrer la « liberté contractuelle » laissée aux entreprises par la directive.
Depuis sa présentation, elle suscite de nombreux échanges dans les milieux du credit management, rendus sceptiques par le relatif échec de la précédente directive. Et les milieux d’affaires français sont plutôt hostiles à un délai légal de 30 jours, comme en témoigne la levée de boucliers suscitées par ce projet fin 2023 auprès de fédérations telles que Medef ou CPME.
Directive révisée ou règlement ?
Depuis, la proposition a été examinée par le Parlement européen, qui en a atténué certains aspects via des amendements. Mais rien n’est encore fixé : le texte attend à présent d’être examiné par le Conseil. En outre, sa forme définitive n’est pas encore certaine : directive révisée ou règlement ?
Le choix ne sera pas anodin : un règlement – option poussée par la Commission – s’applique uniformément dans tous les États membres sans besoin de le transposer ; une directive, au contraire, nécessite une transposition dans la législation de chaque État membre qui dispose ainsi d’une marge de manœuvre en matière de délai et de contenu. Certains se contentent de transposer le cadre légal commun, d’autres vont plus loin. Si c’est l’option d’un règlement qui est choisie, la procédure d’adoption nécessiteta un délai : examen des deux instances de gouvernance de l’UE, puis adoption définitive en « trilogue » (instance réunissant les représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission).
Le texte est encore loin de sa version définitive
Où en est cette procédure ? « Cela n’a pas beaucoup avancé sous la présidence hongroise, nous espérons une accélération avec la présidence polonaise à partir de janvier 2025 » a reconnu Antonella Correra, Legal & Policy Officer à la Commission européenne, dans une intervention depuis son bureau de Bruxelles en visioconférence devant un parterre de professionnels du credit management réuni par l’AFDCC pour sa journée crédit annuelle, le 22 novembre. « Dans notre proposition initiale, nous donnions un délai de 12 mois pour sa mise en œuvre mais le Parlement européen a augmenté ce délai à 24 mois pour les PME » a-t-elle précisé.
Autrement dit, ce nouveau règlement, qui pourrait subir également des amendements de la part du Conseil, est encore loin de sa version définitive.
Ce qui n’a pas empêché Antonella Correra, qui, dans ses fonctions, s’occupe de la mise en œuvre de la directive de 2011 et du projet en cours de révision, de faire un vibrant plaidoyer en faveur d’un durcissement du cadre légal des délais de paiement dans l’UE, et donc du nouveau texte.
« Les retards de paiement sont l’éléphant dans la pièce »
« En dix ans, la prise de conscience que les retards de paiement sont l’éléphant dans la pièce a progressé » a-t-elle assuré. Comme les petites et moyennes entreprises renâclent à appliquer les pénalités de retard prévues dans la directive de 2011 par crainte de perdre leurs clients, les grandes entreprises en profitent « pour négocier des délais injustes afin de protéger leur trésorerie », quitte « à tromper leurs actionnaires sur l’état de leurs comptes », pointant du doigt la grande distribution. Le Britannique Tesco s’était fait épinglé pour de telles pratiques au Royaume-Uni il y a quelques années.
Comme les retards de paiement se répercutent facilement sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement, « payer à l’heure, c’est le moyen le plus efficace de soutenir les entreprises » a-t-elle encore estimé. Antonella Correra a cité le chiffre de « 10 milliards d’euros » comme estimation du montant moyen des factures impayées dans l’Union européenne. Selon elle, « c’est un fléau, un problème endémique » : 500 factures sont émises chaque seconde mais seulement la moitié payées à échéance, avec un risque accru de faillite des créanciers si le retard s’allonge (80 % de risque de faillite s’il excède un mois).
A l’heure actuelle, selon certaines études que la fonctionnaire a citées, en moyenne, le délai demandé dans l’UE est de 45 jours, mais le délai de paiement réel est de 62 jours, soit 17 jours de retard. « Avec le nouveau règlement, nous voulons passer d’une culture de paiement basée sur la liberté contractuelle à une culture de paiement basée sur une approche plus responsable et juste ».
Clarification de ce qu’est un délai « totalement injuste »
« La directive de 2011 n’est pas suffisamment équipée pour traiter ces problèmes de comportements de paiement », a souligné la fonctionnaire. Car la « liberté contractuelle » prévue par ce texte est devenue une « liberté totale ». Elle manque aussi de plusieurs leviers importants tels qu’une définition claire de ce qu’est le délai « grossly unfair » (« totalement injuste », ou encore abusif) que la directive mentionne, ainsi qu’un mécanisme contraignant d’application de la législation (« enforcement »).
La proposition de nouveau règlement vise à corriger ces insuffisances à travers une mise à jour. Parmi les points les plus commentés chez les professionnels du credit management, outre la limitation du délai légal à 30 jours, le nouveau texte propose une liste de pratiques de paiement considérées comme « totalement injustes ».
Concernant la controverse sur ce délai de 30 jours imposé, qui hérisse les partisans de la liberté contractuelle qui le jugent irréalistes, Antonella Correra s’est montrée inflexible : « il faut avoir un cap », ajoutant que le gain de liquidité estimé se chiffre en dizaines de milliards d’euros à l’échelle européenne (15 Md pour la France). Il faut en outre « faire respecter la Loi ». D’après elle, l’Espagne, pays connu pour ses délais de paiement très longs, serait parvenue à réduire de moitié les retards de paiement en introduisant, en octobre 2021, un mécanisme de sanction et un dispositif de liste publique de mauvais payeurs dans sa législation…
Pour l’heure, une chose est sûre : les professionnels du credit management doivent encore prendre leur mal en patience.
Christine Gilguy
* Directive 2011/ 7/UE du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales entre entreprises privées