Les restrictions d’exportation prises en urgence par les gouvernements sur certains produits médicaux essentiels pour lutter contre la pandémie de Covid-19 ont pris une telle ampleur dans le monde que les institutions internationales comme le FMI, l’OMC et les Nations unies commence à sérieusement s’en inquiéter. D’autant que ces restrictions touchent également les produits alimentaires.
80 pays ont pris des mesures de restriction d’exportation
Selon un rapport publié par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) le 23 avril, au total 80 pays – dont ceux de l’Union européenne et les Etats-Unis– ont pris des mesures de restriction temporaire des exportations de dispositifs médicaux par crainte d’en manquer eux même.
Mais seulement 39 (dont les 27 de l’UE) l’ont notifié à l’OMC. Résultat : les pays qui n’en produisent pas ont le plus grand mal à s’en procurer, notamment les pays en développement, et le plus grand flou règne sur leur disponibilité sur le marché mondial. A ce jour, seul le Bangladesh a mis fin à son interdiction d’exportation de masques de protection.
Le rapport de l’OMC évite de pointer du doigt tel ou tel pays mais les exemples tirés de l’actualité récente ne manquent pas : on a vu l’Inde restreindre ses exportations de médicament génériques comme le paracétamol, la Russie suspendre ses exportations de certaines variétés de blé (jusqu’au 1er juillet), le Vietnam interdire ses exportations de riz… L’UE a collectivement mis sous contrôle ses exportations de dispositifs médicaux sensibles dans le cadre de la pandémie (en France, ils sont soumis à une procédure d’autorisation similaire à celle des biens à double usage civil et militaire).
Masques, respirateurs, dispositifs de protection…
Dans son rapport, l’OMC donne quelques détails sur les produits concernés et le nombre de pays qui appliquent des restrictions à l’export : les masques et dispositifs de protection du visage (73 pays), les vêtements de protection (50 pays), les gants (47 pays), les produits désinfectants (28 pays), les médicaments (20 pays), les produits alimentaires (17 pays), les dispositifs médicaux et respirateurs (10 pays), les tests Covid (6 pays), le savon (3 pays), le papier hygiénique (2 pays)…
Ces produits spécifiques représentent chaque année 300 milliards d’importations mondiales. Ce qui donne une idée de l’ampleur du phénomène et des besoins des pays importateurs. Beaucoup font partie de la liste des produits décrétés essentiels conjointement par l’OMS et l’OMC pour lutter contre la pandémie Covid-19.
Les règles de l’OMC autorisent les restrictions d’exportation si elles sont temporaires et justifiées. Mais dans le cas présent, ces mesures ont été prise sans grande transparence (13 notifications à l’OMC, dont l’UE qui représente 27 pays) et surtout, elles ont été instaurées en même temps par un très grand nombre de pays, ce qui fait craindre une pénurie globale, pire que le mal, et une flambée des prix.
Combattre le Covid-19 les mains liées
Dans une prise de position plus récente, la Cnuced (Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement) enfonce le clou : dans un document intitulé « Combattre le Covid-19 avec les mains liées » (Fighting Covid-19 with hands tied), elle appelle à un meilleur équilibre entre les « intérêts nationaux » et la « survie collective globale », alertant sur la fragilité dans laquelle se trouvent de nombreux pays en développement pour lutter contre l’expansion de la pandémie.
Et de pointer du doigt les grands producteurs mondiaux de produits et dispositifs médicaux. Selon la Cnuced, les échanges mondiaux de produits médicaux représentent 2000 milliards de dollars chaque année, soit 5 % du volume du commerce mondial de marchandise.
Or, les exportations sont concentrées dans quelques pays : l’Allemagne, les Etats-Unis, la Suisse représentent 35 % des exportations tous produits confondus. Pour les dispositifs de protection individuels, les trois premiers fournisseurs mondiaux sont l’Allemagne, les Etats-Unis et la Chine, avec 40 % des volumes exportés.
Le 24 avril dans un communiqué, l’OMC et le FMI ont appelé conjointement au maintien de politiques commerciales ouvertes dans le contexte de la crise sanitaire mondiale, appelant à une meilleure coopération et coordination des Etats dans ce domaine. Une façon de rappeler les engagements pris par les grandes puissances du G20 lors de la dernière réunion des ministres du Commerce du 30 mars, pour que ces mesures de restrictions d’exportations soient « ciblées, proportionnées, transparentes et temporaires » et ne créent pas de nouvelles barrières au commerce.
L’OMC a prédit une année noire pour le commerce mondial, avec une chute des échanges mondiaux qui se situerait dans une fourchette large de -13 à -32 %. L’Institut Oxford Economics vient de publier des prévisions qui tablent sur un recul de -10 à -15 % du commerce mondial de biens et services, bien plus importantes que celle enregistrée en 2009 (-10 %), au lendemain de la grande crise financière. Reste à savoir si cet appel sera entendu alors que le nationalisme économique a repris des couleurs.
C.G