L’augmentation du nombre de restrictions au échanges, amorcée en 2020, bouleverse les chaînes d’approvisionnement des secteurs de la tech, de la transition énergétique et de l’agro-alimentaire. Elle inquiète nombre d’observateurs. L’assureur-crédit belge Credendo fait le point dans une récente note sur la multiplication de ces freins au commerce international.
Selon le FMI, le nombre de restrictions commerciales mises en en place chaque année a presque triplé depuis 2020. « Ces mesures protectionnistes impactent vivement le commerce mondial étant donné qu’elles limitent le volume des échanges, impliquent une augmentation des coûts pour les entreprises et perturbent les chaînes d’approvisionnement », relève dans une note l’assureur-crédit belge Credendo, spécialiste de la couverture des transactions commerciales internationales.
L’OMC s’en est déjà alarmé, comme d’autres observateurs du commerce international à l’instar de la Chambre de commerce internationale (ICC) ou du Cepii en France, s’en parler des inquiétudes nées en Europe du programme de soutien américain à ses industries vertes. Force est de constater que la mondialisation et la liberté des échanges ont du plomb dans l’aile.
La tech est particulièrement concernée par ce type de mesures. Initiées pour des raisons d’ordre géopolitique, elles hypothèquent l’avenir de secteurs entiers au niveau mondial.
Ainsi des tensions sino-américaines qui se concentrent sur les micro-processeurs. De crainte de voir l’Empire du Milieu accéder à des puces utilisées dans des domaines sensibles comme l’armement ou l’intelligence artificielle, les États-Unis ont pris une série de mesures restrictives ces derniers mois, à commencer le contrôle des exportations de puces de pointe.
Washington a encore annoncé fin juin que la liste des produits concernés pourrait être amenée à s’allonger. En outre, les entreprises américaines ont désormais obligation de signaler tout investissement en Chine dans les domaines liés aux semi-conducteurs et à l’intelligence artificielle.
Les secteurs de la tech particulièrement touchés
D’autres pays ont également pris des mesures. Les Pays-Bas et le Japon ont ainsi instauré des contrôles sur leurs exportations de machines servant à la fabrication de puces de pointe.
Début juillet, Pékin a répliqué en annonçant des restrictions sur les exportations de gallium et de germanium, deux métaux notamment utilisés dans la fabrication de puces. Les entreprises chinoises doivent désormais demander au ministère du Commerce l’autorisation de les exporter.
Le gallium et le germanium sont des métaux utilisés dans la production de puces, de câbles à fibres optiques, de véhicules électriques et pour toute une série de produits de télécommunication. Ils sont également utilisés dans les industries de la défense et des énergies renouvelables, notamment dans les cellules photovoltaïques et les LED. La Chine est le leader mondial dans la production de ces deux métaux. Elle représente environ deux tiers de la production mondiale de germanium et environ 80 % de la production mondiale de gallium. Le Japon, la Corée du Sud, l’Inde et Taïwan en sont les principaux importateurs.
Selon Credendo, il reste à voir dans quelle mesure les contrôles des exportations affecteront effectivement les exportations chinoises de ces deux métaux. « Si les exportations de gallium et de germanium ne sont que légèrement limitées, des solutions alternatives pourront être trouvées, bien que cela demandera un certain temps d’ajustement aux entreprises », anticipe Credendo. Les États-Unis, le Canada, la Belgique et la Corée du Sud pourraient devenir des fournisseurs alternatifs. Les importants stocks constitués par la Corée du Sud pourraient, du moins temporairement, ralentir la survenue de pénuries. Dans le cas contraire, les prix grimperaient en flèche.
La transition énergétique pourrait pâtir d’un manque de matières premières
Dans le domaine de la tech, l’Inde n’est pas en reste. Début août, elle a instauré des restrictions à l’importation d’ordinateurs portables et de tablettes pour soutenir la production domestique de matériel informatique. Dorénavant, les entreprises doivent avoir une licence pour exporter ce type de matériel en Inde.
La multiplication des restrictions entrave également les échanges de matières premières critiques (incluant les terres rares) dont la transition énergétique ne peut se passer. Selon l’OCDE, elles ont quintuplé depuis 2009. Actuellement, 10 % du commerce mondial des matières premières critiques est concerné par au moins une mesure restrictive. Credendo souligne que de plus en plus de pays imposent des barrières à l’export afin de favoriser l’activité domestique.
C’est le cas de l’Inde qui a purement et simplement interdit les exportations de nickel en 2020 et d’autres matières premières comme la bauxite et le cuivre depuis cet été. Face à la demande grandissante pour ses ressources naturelles, la Namibie a également imposé des interdictions à l’export : le lithium non transformé, le cobalt, le manganèse, le graphite et les terres rares.
Le changement climatique pousse au protectionnisme
Enfin, le commerce mondial de produits agricoles et alimentaires, mais également les fertilisants, est évidemment marqué en profondeur par les conséquences de la guerre en Ukraine. Alors que ces produits ne faisaient l’objet que d’une restriction début 2022, leur nombre s’élevait à 68 mi-juillet.
Les céréales de la mer Noire, qui ont créé d’importantes tensions en Europe de l’Est (Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie) ne sont pas les seules denrées concernées.
En effet, aux facteurs géopolitiques, s’ajoute le changement climatique qui conduit de nombreux pays à restreindre leurs exportations pour protéger leurs stocks. C’est le cas de l’Inde qui a décidé en juillet dernier d’interdire les exportations de riz blanc non basmati et de riz cassé, soit la moitié des ventes internationales. Cette initiative du plus grand exportateur de riz au monde (40 % du marché mondial) tire les prix à la hausse, de l’ordre de 20 % d’après Credendo. Selon l’assureur-crédit, cette décision pourrait conduire la Thaïlande et le Vietnam à entreprendre la même démarche. L’inquiétude climatique sur l’impact du phénomène climatique El Niño pourrait donc se doubler d’une montée en flèche du prix du riz.
Ce (sombre) tableau ne serait pas complet sans l’évocation d’une autre conséquence du dérèglement climatique sur le commerce international : les restrictions de transit par le canal de Panama en raison de la sécheresse. « A titre indicatif, les taux de fret des porte-conteneurs entre Shanghai et New York ont augmenté de 37 % entre fin juin et fin août », précise la note de Credendo.
Sophie Creusillet