Organisés le 14 février à l’initiative d’Eric Woerth, député et ancien ministre du Budget qui préside la Commission des finances de l’Assemblée nationale, les 1er « États généraux du commerce extérieur » ont pu laisser une étrange impression. En effet, il aura été peut-être plus question d’investissement que d’export, lors des deux premières tables-rondes, consacrées l’une à l’Europe, l’autre à la France.
Certes, en ouverture de la manifestation, le député Les Républicains (LR) de l’Oise a rappelé le bilan du commerce extérieur peu glorieux de l’année 2018, qui venait d’être rendu public : un déficit commercial « tutoyant les 60 milliards d’euros », mais réduit à 28 milliards hors énergie au lieu de 32,7 milliards en 2017 ; et une balance des services positive à + 28 milliards.
Certes, la troisième table ronde était consacrée à la mise en place du dispositif public d’accompagnement à l’export en France et à l’étranger. Reste que pendant les trois quarts de la manifestation, les débats ont tourné autour de l’investissement.
On peut y voir trois raisons.
S. Jean : la France a un problème « plutôt de désindustrialisation »
1/- Sébastien Jean, le directeur du Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), a expliqué qu’il fallait mettre en adéquation exportations et investissements à l’étranger des grands groupes.
« Dans la zone euro, ils sont bien supérieurs pour la France, même par rapport à l’Allemagne », précisait-il. Du coup, la France n’aurait pas « un problème de compétitivité, mais plutôt de désindustrialisation ».
Interrogé, le 7 février, par Le Moci lors de la présentation des chiffres du commerce extérieur, Jean-Baptiste Lemoyne s’était refusé à opposer exportations et investissements de la France à l’étranger, jugeant notamment comme « très important sur certains marchés d’être proche du client ». Renchérissant sur le secrétaire d’État, le directeur général adjoint du Trésor, Bertrand Dumont, avait souligné qu’investir était la seule solution « sur des marchés difficiles à conquérir ». Et il citait le Brésil, « un pays très protectionniste », affirmait-il.
Enfin, le Cepii, dans une note intitulée « l’étonnante atonie des exportations françaises » (voir fichier joint en pdf), rappelle que l’investissement à l’étranger rapporte aux États et, en l’occurrence, plus à la France qu’à l’Allemagne, avec des revenus nets de l’ordre de 2 % du produit intérieur brut de la France et de 1,5 % du PIB de l’Allemagne.
Insuffisante promotion des accords de libre-échange
2/- L’actualité de la fusion Siemens-Alstom, retoquée tout récemment par la Commission européenne, a pesé sur les débats. Du coup, comme l’a déploré auprès du Moci un fin connaisseur des arcanes parlementaires et observateur des évolutions du commerce international, les orateurs se sont focalisés sur les problématiques d’investissement et ont fait l’impasse sur les accords de libre échange (ALE) récemment conclus par l’Union européenne (UE). « Il est crucial de faire la promotion de tous ces accords auprès des entreprises et de la société civile pour que toute le monde prenne conscience de leur importance », a ainsi soufflé l’interlocuteur du Moci.
Parmi les orateurs invités à s‘exprimer, Pierre Chabrol, chef du bureau de Politique commerciale, stratégie et coordination au Trésor, a bien été le seul à mettre ces négociations commerciales en valeur. Or, comme il l’a remarqué, le taux d’utilisation des préférences commerciales de l’ALE UE-Corée est inférieur dans l’Hexagone par rapport à l’Allemagne. Ce qui montre les efforts à faire pour promouvoir ces accords.
La France y a tout à gagner : l’ALE UE-Corée du Sud lui a déjà permis de passer d’un déficit à un excédent commercial avec la Corée. Entre 2010 et 2018, les exportations tricolores chez ce partenaire asiatique ont bondi de 35 %. Même le CETA avec le Canada, dont la France est un grand bénéficiaire depuis son entrée en vigueur provisoire, n’a pas été. Pas plus que le JEFTA avec le Japon, dont même le représentant de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), Arnold Puech d’Alissac, sollicité dans les couloirs de l’Assemblée, reconnaissait le grand intérêt pour les agriculteurs et les éleveurs français.
Europe : une politique commerciale, incluant l’investissement
3/- La première table-ronde portait sur l’Europe et, aujourd’hui, la politique commerciale à Bruxelles comporte outre les exportations toute une série d’aspects liés à l’investissement (marchés publics, propriété intellectuelle, etc.). La nouvelle génération des ALE, de plus en plus ambitieux, comprennent, en effet, un volet investissement qu’il faut faire ratifier par les Parlements nationaux (compétence nationale).
Intervenant à la suite de Sébastien Jean, Laurence Daziano, professeur d’économie à Sciences Po, a préconisé que l’UE fasse mieux valoir ses intérêts défensifs et offensifs. Pour ce faire, il faudrait, selon elle, qu’elle se dote d’un Conseil de sécurité commerciale réunissant grandes entreprises et États membres. De façon concrète, ses membres pourraient traiter de l’investissement, la protection de la propriété intellectuelle ou encore l’accès aux marchés publics.
Selon elle, l’UE ne deviendra un acteur mondial que si elle s’efforce de répondre avec efficacité à six défis majeurs : les lois d’extraterritorialité américaines; les investissements directs étrangers en Europe, notamment chinois; les accords bilatéraux; la lutte contre le réchauffement climatique avec l’imposition d’une taxe carbone aux frontières de l’UE; l’appui à l’industrie européenne avec la création d’un Buy European Act; et enfin la protection de la propriété intellectuelle, grand enjeu actuel du bras de fer entre Washington et Pékin.
Le défi et la préoccupation de la RSE
Reste que d’autres sujets cruciaux de la politique commerciale européenne ont été abordés lors de ces « États généraux du commerce extérieur ».
Alors que l’on se montre aujourd’hui très soucieux dans la société civile de responsabilité sociale et environnementale (RSE), Pierre Chabrol a ainsi montré que Bruxelles prenait en compte la RSE dans ses préoccupations. Ainsi l’ALE avec la Corée, entré en vigueur le 1er juillet 2011, prévoit que cet État se mette aux normes internationales dans ce domaine, en adoptant toute une série de conventions décidées au sein de l’Organisation internationale de travail (OIT). « Récemment, selon le responsable à Bercy, Bruxelles a demandé à Séoul des explications, parce que les mécanismes de règlement conformes aux normes de l’OIT n’ont pas été mis en place ».
« Une politique économique responsable sur le plan social ou environnemental, c’est très bien », a reconnu Laurent Mignon, président du directoire du Groupe BPCE. Mais, en même temps, « il ne faut pas être naïf et abreuver les sociétés de cours de morale » a-t-il ajouté. Selon lui, « nos grands concurrents – de la Chine aux États-Unis, en passant par le Japon – développent une vraie politique commerciale, créent des filières compétitives ».
Et d’ajouter que les compétences de la Commission européenne, au regard du dossier Alstom-Siemens, devaient être revues. Il ne faudrait pas être « trop dogmatique ». Il faudrait aussi que « pour chaque pays européen qui a une ambassade à l’étranger, on puisse se mettre ensemble en créant un lieu commun ».
Desserrer le carcans imposé aux banques
Outre la fusion avortée d’Alstom et Siemens, Laurent Mignon a cité le secteur bancaire en Europe et l’a comparé à son homologue outre-Atlantique. Aux États-Unis, les six premières banques détenaient une part de marché (PDM) de 40 % en 2009. Cette PDM serait passée aujourd’hui à 60 %. Entre temps en Europe, les six premières banques, qui y possédaient 18 % de PDM, n’ont pas progressé.
Pour lui, les marchés sont fragmentés dans l’UE, il faut donc une véritable union bancaire, car « si on a un secteur bancaire puissant, on finance l’Europe ». À cet égard, Laurent Mignon a estimé que, si les mesures prises au moment de la crise ont été « très bonnes », « les règles imposées aux banques sont trop strictes et ne leur permettent pas de financer ».
Aux États-Unis, a-t-il également observé, les banques auraient plus de liberté, alors qu’en Europe ont les « serre ». Selon lui, « il ne s’agit pas de revenir en arrière, mais de regarder où est le bon curseur », parce qu’il faut un secteur bancaire qui puisse aider surtout dans les moments difficiles ».
François Pargny
*Lire dans la LC d’aujourd’hui : Parlement / Export : le député E. Woerth en promoteur du commerce extérieur